Un livre pour la mémoire

4Etoiles, une jeune maison d’édition comorienne, vient de publier De la Marine française à la Révolution comorienne. Un livre-témoignage, où l’ancien bras droit du président Ali Swalihi, Aboudou Mohamed Youssouf, raconte ses faits d’armes.

Nombreux sont les Comoriens, depuis la colonisation, qui quittent le pays, pour différentes raisons, la principale étant la recherche d’une vie meilleure, non pas qu’elle soit impossible dans l’archipel mais comme dit le proverbe, l’herbe est toujours plus verte dans le jardin d’à côté. Ces exilés sont de trois sortes. Il y a ceux qui ne reviennent jamais de leur voyage, sauf pour être enterré. Ceux qui font l’aller-retour entre le pays d’accueil et leur terre natale, afin d’accomplir certaines obligations coutumières, ou pour afficher leur réussite, vraie ou supposée. Puis il y a ceux qui finissent par rentrer de façon définitive, et tentent de se réintégrer dans la société d’origine. S’ils ont encore de l’énergie, ceux-là tentent de se rebâtir une vie ou entrent dans les affaires publiques, pour contribuer au développement de leur pays.

Aboudou Mohamed Youssouf peut être classé dans cette dernière catégorie : « Je pensais à mes parents, à ma mère en particulier que j’ai laissée à Ngazidja. Mon retour au pays [était] une bonne chose pour elle (…) Et puis cette vie stable, cette vie de famille à laquelle je rêvais, elle m’attendait peut-être là-bas, qui sait ? » Fils d’un notable, fonctionnaire à la descendance nombreuse, mais unique enfant de sa mère, il part s’installer avec elle à Madagascar, avant d’atteindre sa dixième année. N’ayant pas le goût de l’école, il la quitte et s’engage dans la Marine coloniale. « Je devais avoir 14-15 ans. Ma mère fut déçue et insista pour m’inscrire à des cours particuliers. J’ai erré un temps, en essayant de trouver une activité lucrative. Un jour, j’ai croisé un vieil ami, en uniforme de la Marine française. Cela m’a tout de suite séduit. J’ai eu une sorte de déclic. « Voilà ce que je veux faire ! », me suis-je dit ».

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Après avoir fait plusieurs fois le tour du globe, il s’installe à Toulon dans les années 1960. Très vite, Aboudou Mohamed Youssouf ressent comme un manque, non pas du pays, dit-il, mais de la présence de sa communauté. Il décide alors de passer ses week-ends et jours de repos à Marseille, où la communauté comorienne commence à se rassembler : « Des Marins, essentiellement, pour ne pas dire exclusivement ». La nostalgie s’atténue. « J’étais fier d’être comorien, bien que je n’eusse pas d’amour particulier pour le pays. A cette époque, c’était avant tout les Comoriens qui m’intéressaient, bien plus que les Comores  ». La rencontre qui change sa vie se déroule à Paris, néanmoins. Il s’y rend souvent, en effet, pour élargir son réseau. « Beaucoup de politiciens Comoriens de passage à Paris se retrouvaient avec des étudiants, des intellectuels et d’autres Comoriens vivant à Paris, au Grand Hôtel, situé dans le septième arrondissement, pour discuter du pays. » C’est lors d’une de ces rencontres, qu’il se fait remarquer, par un politicien comorien, du nom d’Ali Swalihi Mtsashiwa.

Le futur guide de la Révolution comorienne. Celui-ci le convainc de rentrer aux Comores avec des mots simples : « le pays va avoir besoin de gens comme toi ». Aboudou ne sait pas alors que le futur Mongozi est en train de recruter pour son utopie révolutionnaire. Mais il n’hésite pas à s’engouffrer dans l’horizon qu’il dessine, bien qu’avec une certaine méfiance. « Sa demande m’intriguait fortement, mais qui était-il vraiment ? Que me voulait-il ? De plus en tant que militaire, nous n’avions pas à nous mêler de politique et je craignais qu’on aille dire à mes supérieurs que je faisais de la politique ». Nous sommes alors en 1972. Ali Swalihi, encore ministre à l’Equipement, lui confie des missions au pays, bien que de manière officieuse. « Il me demandait entre autres d’aller superviser, ou plutôt de surveiller les travaux que les ouvriers de la chaussée effectuaient […] Il m’envoyait prendre du matériel et le ramener à différents endroits pour aider les agriculteurs de son mouvement, MRANDA ».

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En 1975, les Comores arrachent leur indépendance. Ali Swalihi l’implique davantage dans son processus de conquête du pouvoir, en lui assignant plus de missions « à risques ». C’est surtout lui qu’il choisit pour être son chauffeur le 3 août 1975, lors du coup d’Etat. Ali Swalihi ne le mett pas totalement au courant. « Il m’a dit de faire le plein d’essence et de l’attendre devant la station à 14h […] Lorsqu’il me rejoignit dans la voiture, il me dit : « nous avons réussi, démarre ! » Je ne lui ai même pas demandé où il voulait qu’on aille, je l’avais deviné, j’ai alors mis le cap en direction de la Radio nationale ». Aux premiers jours de la révolution, le mongozi responsabilise Aboudou Mohamed Youssouf sur un ministère (miliki daula), avec d’autres camarades. L’ancien militaire devient un homme de confiance pour celui qui sera élu président du nouvel Etat indépendant en janvier 1977. La suite, plus connue, est moins rose. La révolution ne dure pas. Ali Swalihi est assassiné un 29 mai en 1978. Et c’est donc tout naturellement qu’Aboudou Mohamed Youssouf est désigné « ennemi d’Etat » par les réacs du nouveau régime d’Ahmed Abdallah.

Il lui est reproché d’avoir collaboré avec le « Diable », principalement. « Comment ça, il n’a rien fait de mal ? Un enfant issu de la bonne bourgeoisie de Moroni, ayant osé se lier à ce Satan d’Ali Swalihi, qui était contre notre religion et nos traditions ? », s’entend répondre sa famille, en tentant de le faire sortir de prison. Il s’ensuit une vie ponctuée par des allers retours en prison, suite à des arrestations arbitraires. Le nouveau régime voit des ennemis partout. Mise sur la terreur et les chiens de guerre. « Ils avaient tétanisé toute la population. Ils ont tué des opposants de manière ostentatoire. Cela a suffi pour calmer les velléités d’opposition, du moins pour un temps. » Pour avoir la paix, notre homme va devoir, une fois encore, quitter son pays natal. Pour un exil forcé en France.

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C’est ainsi qu’Aboudou Mohamed Youssouf raconte sa vie, qui reste liée à l’une des périodes historiques parmi les plus troubles des Comores. Dans un style simple, aisé à lire. Une écriture agréable. A partir de laquelle il relate des anecdotes, laissant entrevoir cette période révolutionnaire sous un angle original et différent. Mdjomba Aboudou, comme le surnomment ses proches, nous donne ainsi à voir un Ali Swalihi, situé loin des manœuvres décrites par les historiens, d’habitude. Un livre-témoignage qui interroge sur la difficulté d’une certaine génération d’acteurs politiques à rendre compte de leur vécu passé. Ce qui permettrait, probablement, de nourrir le feu de la mémoire collective. En bon militaire, Aboudou Mohamed Youssouf (81 ans) a rendu service aux enfants de cet archipel par la publication de ce premier ouvrage.

Kari Kweli

Aboudou Mohamed Youssouf, De la Marine française à la Révolution comorienne, 4Etoiles Editions, 2017.