Retour sur la seconde édition du Fuka Fest. à Mironsty. Un festival à caractère pluridisciplinaire, dont l’ambition première est de répondre au délitement d’une société longtemps tenue par les seules traces de son passé.
Un festival/ Des envies. Tel est le crédo du Fuka fest. dont la seconde édition vient de se terminer à Mirontsy, sur l’île de Ndzuani. Quatre jours d’agitation citoyenne autour d’objets culturels parfois improbables. Une performance collective, rassemblant des habitants du village, à la manière d’un flash mob, empruntant à la fois au gungu, au carnaval et à la procession religieuse. La dite performance s’est finie – hasard des rencontres ? – sur un pangahari animé, où s’est tenu, au même moment, un rituel de communion avec les djinns.
« Une coïncidence incroyable » selon le poète Anssoufouddine Mohamed, délégué général du festival. Ce dernier s’imagine là comme une manière de bénédiction, ne disant pas véritablement son nom. Une bénédiction de la part des forces invisibles, qui tiennent cet espace. Ainsi a pris forme cette seconde édition de festival, qui répond à la double envie de faire corps avec le pays profond, tout en redonnant ses lettres de noblesses à la culture. « Celle-ci répond à des nécessités, traditionnellement » confie le poète, lors d’une conférence _ Une nécessité se retrouvant notamment dans l’ancrage d’un tel événement sur son territoire d’émergence : Mirontsy[1].
Le clip de l’édition 2019 du Fuka fest.
Les organisateurs invoquent le shungu des Anciens à leur suite. La culture à leurs yeux est vue comme le lieu du partage et de la solidarité, et non comme celui du divertissement. « Elle a toujours servi de ciment social. A nous de retrouver le legs, et d’éprouver nos limites, bien réelles en la matière », déclare Soeuf Elbadawi, directeur artistique du Fuka fest. Soeuf parle d’ « utopie de cercle », insiste sur l’importance du récit à constituer au nom de la fabrique du commun. Il met aussi l’accent sur les pièges à éviter dans pareille entreprise.
« Un festival est un moment festif, mais pas que. Il doit aussi permettre de générer du changement dans nos réalités immédiates. Tout le monde veut avoir son festival dans nos villages, mais peut-être qu’il est temps de penser à des dynamiques porteuses de vie, et non à de simples programmations sans avenir. On a besoin d’un festival qui impacte nos vies, et non de vulgaires objets de divertissement ». La conviction est profonde, les attentes, nombreuses. Le Fuka fest. est une réponse au délitement, selon lui. Une réponse à l’adversité, en cette époque où tout se transforme en marchandise. Phénomène rare pour être signalé : il n’y a eu aucune relation tarifée avec le public à Mirontsy.
Lors d’une visite de l’exposition sur l’éducation avec des scolaires.
Au programme, il y a eu la projection de Baco de Oumema Mamadaly. Premier film comorien à être primé à l’étranger, Baco est une fable poético politique sur la démocratie, le pouvoir des femmes et l’esprit retors des plus jeunes. Un scénario écrit par Mamadaly père à l’époque du régime Djohar, et que nombre de Comoriens gagneraient à voir, aujourd’hui, dans la mesure où le propos rejoint les tensions de l’actualité, sur les questions de genre notamment. Ce Fuka fest. a été l’occasion pour certains acteurs du film de venir raconter comment l’aventure s’était constitué. Baco est un film, dont l’économie, fragile, interroge encore la difficulté avec laquelle s’écrit le récit d’un pays.
L’occasion a aussi généré du plaisir au sein des équipes du film. « Ces occasions sont rares de nous retrouver. Cette projection nous ramène à de bons souvenirs. Nous étions des amateurs, lors du tournage de ce film. Mais notre envie de contribuer à son existence était immense. De revoir ces images devant tout ce public m’a ému » déclare Kamal Ali Yahoudha, lors des échanges avec le public. Devenu journaliste, Ali Yahoudha avait pris part au tournage de ce film, à titre de comédien et de technicien à la prise de son. « Des métiers que j’apprenais sur le tas. Nous n’étions que des amateurs à l’époque ». Avec le résultat que l’on sait. Un succès dans l’espace francophone, avec des prix qui n’ont malheureusement pas permis aux Mamadaly, famille à l’origine du projet, de prolonger leurs rêves. « On devait tourner un deuxième film. Le scénario était écrit. Mais le premier film n’a pas ramené les financements escomptés pour le second, comme l’espérait le vieux Mamadaly ».
La fresque réalisée par les artistes Makinz et Tcharo de Swana Studio..
Ce Fuka a également été une suite de découvertes pour le public à Mirontsy. L’événement du street-art, avec deux artistes, – Makinz et Tcharo – venus de Swana Studio à Moroni fit partie de ces moments d’émerveillement. On y retient des échanges musclés avec de jeunes scolaires. Trois murs habités également, dont celui d’une cour d’école, sur laquelle ces artistes ont tracé une fresque d’espérance, avec l’image d’un enfant portant son monde à bout de bras, tel un ballon de foot (dunia mudawwara ?) pour un match à valeurs complexes. Sur le côté droit du mur, un vers en exergue. : « Renaître des brisures de lune ». Extrait d’un recueil du poète Anssoufouddine Mohamed, la phrase fait pendant, tel un verset de talisman, au « 7 ». Un chiffre sacré de la numérologie comorienne, à moins que ce ne soit mis là pour signifier l’avenir de ce gamin, qui exige à lui seul des talents de petit James Bond 007.
Réécrire le destin fracassé d’un pays nécessite un travail de fond au niveau des fictions collectives, surtout en ces temps de crise : « Nos grilles de lecture ayant changé, l’urgence du récit se fait à nouveau sentir dans la fabrique du commun. Nous sommes tenus d’être inventifs, inspirés, ingénieux » répète Soeuf Elbadawi, comme pour une prière à haute voix. Le street-art ici ouvre grand les portes de l’imaginaire, rapport à un pays qui se découvre une seconde vie à travers l’expression picturale urbaine. Principaux organisateurs de ce festival, les jeunes du Club Soirhane se sont tellement laissés séduire par la puissance de feu de cet « art nouveau » qu’il est question pour l’un des conseillers du Fuka, Ahamed Dine Combo (alias Mdukua), de prolonger ce moment, par une nouvelle invitation des mêmes artistes pour un atelier, à l’occasion de la prochaine semaine culturelle de Mirontsy en août prochain.
Le récital de l’ensemble soufi des Lyaman.
Autre moment mémorable : la présentation d’un livre – Une autre histoire de Mironsty – co écrit par ces jeunes du Club Soirhane, sous la direction du délégué général, Anssoufouddine Mohamed. « Des fragments de vie, des bouts de récits, qui naviguent entre le passé et le présent (…) l’imaginaire d’une cité de pêcheurs au destin d’insoumis. On dit que les histoires vécues, lorsqu’elles s’effacent des mémoires, condamnent des générations à les revivre avec plus d’amertume. Mais on ne dit pas ce qu’elles deviennent, lorsque de petites mains, au sein du Club Soirhane, s’en emparent pour tenter de dresser un portrait de ce qui hante leurs ombres intérieures » est-il écrit en préface.
Une expérience qui en rappelle d’autres, menées par le tandem Anssoufouddine Mohamed – Soeuf Elbadawi. Il en est qui se souviennent encore du Paris-Mutsa (Bilk & Soul), co écrit par des élèves du lycée Voltaire à Paris, du lycée Nord à Mayotte, du lycée d’Excellence à Mutsamudu et du Club Soirhane. Sauf que ce dernier opus est une tentative de récit au cœur même de cette cité côtière, où les mémoires commencent à s’oublier à force d’oraliture dézinguée.
La dernière promo du Club Soirhane a entamé ce récit à plusieurs mains, il y a un peu plus d’un an. Une aventure que certains d’entre eux sont venus raconter au public de la soirée de clôture du Fuka fest. La causerie qui s’en est suivie a permis de rappeler encore une fois l’urgence du récit dans un pays, où les seuls points de vue qui valent sont l’œuvre de chercheurs étrangers. Que disent ces jeunes face à la nécessité d’une poétique de terroir ? Que la relation avec autrui ne peut avoir lieu, si l’on ne sait pas qui l’on est, ni d’où l’on vient. Ce livre rend compte des épreuves d’une cité, qui n’a eu de cesse de se reconstruire depuis le 16èmesiècle.
« Que de bonnes choses » note un internaute à la vue des images du festival, diffusées sur les réseaux. Mais que n’a-t-il retenu l’essentiel d’une soirée, celle du samedi, où se sont succédés récital et prière collective dans la cour de l’école primaire de Mirontsy, en hommage aux victimes du Visa Balladur ? Ce soir-là, M. Combo, maire de Mirontsy, et M. Affraitane, secrétaire général du gouvernorat de Ndzuani, jouèrent de concert pour inaugurer la première stèle dédiée à ces morts que seule la traque en mer de la PAF française explique. Les discours furent brefs, mais intenses. L’émotion partagée à l’idée que l’on puisse, un jour, oublier ces corps flottant dans le « silence de l’occupation » laissent entendre que le pays est enfin prêt à assumer ces morts dans la mémoire collective.
Le maire de Mironsty et le secrétaire général du gouvernerait de Ndzuani, lors de l’inauguration de la stèle en mémoire des victimes du Visa Balladur.
En 2014, l’artiste Soeuf Elbadawi a reçu l’autorisation d’ériger une stèle pour ces mêmes noyés sur la Place de France à Moroni. Pour des raisons inconnues, des gendarmes sont allés le lui interdire. Savoir que ce projet finit aujourd’hui par réapparaître sous une forme inattendue dans une cour d’école de Ndzuani est une victoire certaine pour les familles des victimes. « C’est pour que nos enfants n’oublient pas » indique Anssoufouddine Mohamed à la suite de l’inauguration. « Un geste qui va probablement interroger notre silence à tous face à la tragédie » suggère Soeuf Elbadawi. Un simple fait qui grandit l’événement du festival, en lui accordant une profondeur et une légitimité que personne ne soupçonnait sur ce territoire.