Une histoire du Collectif du patrimoine des Comores

Le collectif est né en France de la rencontre des associations Msaanda et Msaydiye, qui portèrent les premiers dossiers concernant la question dans l’Union. Il eu à cœur de faire reconnaître le patrimoine bâti de ces îles, dès le début des années 2000. Les premières actions auprès de l’UNESCO remontent à 2008. Conversation avec Fatima Boyer, la fondatrice et présidente du collectif.

« Si on m’avait dit en 2004, qu’aujourd’hui en 2020, nous n’y serions toujours pas, au Patrimoine Mondial. J’aurais ri » nous dit-elle d’entrée. A l’époque, armée de sa bonne volonté, de l’engouement des personnes l’accompagnant[1], le collectif avait présenté un premier dossier à l’UNESCO, visant à inscrire les monuments de l’archipel au patrimoine mondial de l’humanité. « Ce dossier était incomplet, mais nous l’ignorions » précise Fatima. Car il faut, au préalable, remplir un certain nombre de critères à caractère législatif et organisationnel,  relevant de l’État. Le collectif s’est toutefois positionné au fil des années comme un partenaire, voire un interlocuteur privilégié, auprès d’organismes internationaux.

« Nous ne sommes pas au courant des avancées de l’État comorien en cette matière » se désole ainsi Fatima Boyer. Ce dernier a monté un comité d’expertise scientifique, qui devrait aider à délimiter les sites à classer,à protéger les monuments, à attribuer le statut de « site national » aux territoires identifiés. « D’ailleurs, il est question de verser le recueil des sultanats historiques des Comores au dossier. C’est une base documentaire photographique, réalisée à l’initiative du collectif par Suzanne Hirschi, Chirazade Nafa, leurs étudiants de l’école d’architecture de Lille, des étudiants de l’université des Comores, Pierre Blondin, ainsi que d’autres partenaires, mais il est incomplet » s’agace Fatima. « Le recueil est riche en images. Et notre interlocutrice à l’UNESCO était étonnée que nos îles regorgent de tant de trésors. Mais il manque l’historique de ces bâtiments. Les historiens comoriens ont été sollicités pour apporter leur connaissance, mais ils n’ont pas répondu à notre appel ».

Le collectif partage une conviction : « la mise en valeur du patrimoine peut permettre un développement économique du pays et le label de l’UNESCO nous donnerait une visibilité internationale ». Mais le projet est sans cesse retardé. « En 2005, nous étions peu informés et nos monuments méconnus. Avec l’aide d’un expert de l’UNESCO, une première mission d’expertise a permis d’identifier les sites à sauvegarder et à délimiter le dossier, qui devrait être inscrit sur la liste du Patrimoine Mondial, site sériel « Sultanats Historiques des Comores ». Cette étude comprend les vieilles villes d’Itsandra, d’Iconi, de Moroni, de Mutsamudu et de Domoni. Depuis cette première mission, le collectif, sur proposition de Suzanne Hirschi, a proposé de rajouter d’autres sites, dont Fomboli à Mohéli, qui ne figurent pas sur la liste indicative publiée par l’UNESCO en 2007, soit deux années après la mission d’identification. 

L’ujumbe en travaux à Mutsmaudu.

L’avancée du dossier de nomination n’est cependant plus dans les mains du collectif. La règle de  l’UNESCO est d’avoir les Etats comme principaux partenaires. Aujourd’hui, l’action du collectif s’articule autour de campagnes de sensibilisation au patrimoine des îles, de formation de guide touristique, avec l’aide de Tourisme Sans Frontière, d’action de restauration et de sauvegarde du patrimoine depuis une dizaine d’année. Le patrimoine matériel des Comores est l’un des plus riches et les plus diversifiés de la Région Océan Indien, même s’il n’est pas entretenu. Les atouts majeurs, qui le différencient du patrimoine de Zanzibar, sont les bangwe, présents, principalement, à la Grande-Comore, et l’aménagement intérieur des palais, avec leurs poutres richement décorées et la diversité de leurs niches.

L’enjeu de leur sauvegarde est culturel et économique.Culturel, car ces monuments historiques témoignent d’un pan de l’histoire de l’archipel. La critique est néanmoins faite au collectif de ne s’attacher qu’à la sauvegarde du patrimoine de certaines familles mutsamudiennes. « Pourtant, c’est en 2008 que l’action de l’Ujumbe a démarré, et cela est dû au hasard. Nous étions aux Comores avec Pierre Blondin en 2008 pour participer à la mission universitaire d’identification et de relevés des sites et édifices avec l’ENSAPL. Cette mission s’est déroulée à Moroni, Iconi, Itsandra, Domoni et Mutsamudu ». Quelques jours avant l’arrivée aux Comores des étudiants, le corridor de l’Ujumbe s’est effondré. « Durant notre séjour à Domoni, nous avons appris que l’Ujumbe allait être démoli. Pierre Blondin et moi avions accouru à Mutsamudu et fait un sitting devant la maison de l’ancien chef de L’État, Son excellence le président Sambi, afin de plaider pour l’arrêt de la démolition de l’édifice et pour sa sauvegarde ».

« Après cet effondrement, nous avons répondu en 2009 à un appel à projet Watch de World Monument Fund, une ONG qui publie des listes de sites en périls et qui les dote d’un fonds pour leur sauvegarde. Nous avons pu bénéficier de leur soutien. C’est ainsi que nous avons démarré le chantier de l’Ujumbe à Mutsamudu en 2011. Ce site n’était pas notre site emblématique, mais le hasard a fait évoluer les choses, différemment. Quant à Iconi, il est dommage que les acteurs de la ville n’aient pas réussi à concrétiser leurs actions, bien que le palais ait été inscrit au World Monument Found en 2013. Malheureusement, le collectif est une association avec peu de moyen et nous avons beaucoup de mal à maintenir des antennes viables hors d’Anjouan, où j’ai nombre de contacts de par mes origines » confie Fatima Boyer.

L’enjeu économique est aussi là. Car la restauration et l’exploitation de ces édifices pourraient générer des emplois. « Sur le chantier de l’Ujumbe, les ouvriers venaient des quatre coins de l’île d’Anjouan, les matières premières telles que la chaux étaient achetées à Moya, les artisans de Ouani et les quincailleries de Mutsamudu étaient sollicités et ont bénéficié des retombées économiques du projet. Lors des chantiers et colloques organisés, nous avons logé le chef de chantier et nos hôtes à l’hôtel Papillon et à l’Hôtel Al Amal, où nous avons organisé un buffet. Des commerçants de la médina ont profité de cette activité pour vendre des collations aux équipes du chantier. Il est dommage qu’aujourd’hui les Comoriens ne voient pas le bénéfice économique qu’ils pourraient tirer de la mise en valeur de ce patrimoine. Il est triste que les responsables politiques ne s’emparent pas du sujet ».

Dévoilement des niches à l’Ujumbe de Mutsamudu.

L’action du collectif est partie du constat que nombre de monuments étaient laissés à l’abandon, à l’état de ruine ou de déchetterie. Le collectif pense que la mise en valeur de ces monuments sera une source de fierté et de richesse pour la communauté. « Le rôle du collectif a été et est toujours de solliciter auprès de divers organismes les fonds nécessaires à la reconstruction de ces monuments. Le premier a été la citadelle de Mutsamudu et le second l’Ujumbe, dont le chantier est toujours en cours. Malheureusement, le projet d’Iconi et le palais Dhwahira sont tombés à l’eau. Pour l’Ujumbe, nous avons organisé une campagne de crowfunding, afin de financer une mission de trois mois, permettant de finir la maçonnerie extérieure. Car les financements du ministère de la culture française et du World Monument Found n’étaient pas suffisants ». La réalisation de ces travaux s’appuie sur l’expertise de Pierre Blondin, architecte, et du C.H.A.M, une association intervenant dans la restauration de sites patrimoniaux en France et en Outre Mer.

Enfin, se pose aussi la question du devenir de ces monuments, une fois restaurés. Fatima confie apprendre de ses erreurs. « Pour la citadelle nous avions mené une étude de marché : une buvette implantée dans un jardin thématique de fleurs, participant à la composition des colliers, nous avait paru viable et positif pour la vie du quartier et de la ville. Bien gérée, la citadelle aurait pu générer des fonds pour son entretien. Nous avons fait l’erreur de ne pas avoir conduit la réflexion et l’exigence de la gestion du site avec la Mairie de Mutsamudu. Une fois rendu à la ville de Mutsamudu, le projet ne s’est pas concrétisé. L’usage de la citadelle est devenu saisonnier, sans que les revenus dégagés ne suffisent à son entretien. Pour l’Ujumbe, nous souhaitons échanger autour de la table avec la mairie et les occupants du quartier. Notre proposition est de faire déménager une partie du CNDRS au rez-de-chaussée pour y créer un musée, et de réserver la salle d’apparat pour des expositions, des cérémonies, des colloques à l’étage ».

Le collectif s’interroge par ailleurs sur sa difficulté à mobiliser autour de son action, aux Comores ou au sein de la diaspora. « Il faut comprendre qu’au sein du collectif, l’action est majoritairement bénévole. Les subventions servent à rémunérer les experts et les travailleurs. Ce qui a dû en décourager plus d’un. L’autre fait est que les Comores connaissent une crise identitaire. Aujourd’hui, le ministère de la culture est davantage engagé dans la réussite sportive de l’équipe de foot que dans la préservation et la valorisation de la culture. Comment penser que la population puisse s’intéresser à sa propre culture, alors que les dirigeants la négligent. Enfin, je n’achète pas cette raison qui serait que la majorité des Comoriens ne s’intéressent pas au patrimoine, parce qu’il ne parlerait qu’à une certaine classe de la population. Ces monuments ont autant de potentiel d’attractivité que le Trou du prophète ou les plages de Mitsamiouli. Je n’ai pas construit ces bâtiments. Ils sont là ! Alors plutôt que de les laisser s’effondrer, je les répare ! Que restera-t-il de notre histoire si nous laissons ces monuments disparaître ? L’ylang-ylang ne peut pas être notre seul emblème ».

Propos recueillis par Abdul Affour Jouwaline


[1] Feu Said Mohamed Djohar, président de la république, Chamsyat Adane, Marc Lanteri, Pierre Blondin, Nadia Moussa, tous deux architectes, Bourhane Abdérémane, directeur régional du CNDRS à l’époque, Françoise Leguennec-Coppens, anthropologue, Nawal Mlanao, artiste, Mariama Soibi, avocate, et bien d’autres ont accompagné la création du collectif en 2006, aux côtés de Fatima Boyer.

Photo en une de l’article: Fatima Boyer, la présidente du Collectif du patrimoine des Comores, dans une ruelle de Stone Town à Zanzibar.