Fouad punchline à retardement à l’Alliance

Fouad Salim, l’un des pionniers du stand up aux Comores, poursuit son aventure avec Ceci n’est pas un spectacle, récemment à l’affiche de l’Alliance française à Moroni. Le jeune protégé de Valery Ndongo élargir son territoire avec de nouveaux talents.

Il est l’un des pionniers du stand up à Moroni. Sur scène, il a l’air sage, le cheveu court, visage impassible. L’air surtout de ne pas trop en faire. Son humour pique au vif de l’urban bobo society comorienne, avec ses rites de petits-bourgeois en train de mater le rire décoincé de Patson sur le petit écran. Fouad Salim – et ne cherchez pas – ressemble plus à un jeune sorti de Mvuni paumé qu’à un mec qui remplit l’Alliance à coups de sketchs désopilants. Une bonne façon de ruser avec son public. Car mine  de rien, dès qu’il entame le premier sketch, le spectateur se plie. C’est que Fouad aime décrypter l’actualité en décalé. Au passage, il se moque du quotidien et des politiques en une époque, où l’on préfère liker sur facebook plutôt que se rendre en salle pour du live.

Fouad se souvient de sa première scène en 2008. Dans le rôle du slammaster pour les Slameurs de la lune. Rien à voir avec le stand up au sens strict du terme, mais la sensation, quand même, de jouer en funambule sur une pente des plus indescriptibles. « J’ai animé plusieurs soirées slam pour d’autres clubs. J’essayais toujours de mettre une touche d’humour dans mes interventions. Ce n’est qu’en 2015 que je me suis lancé dans le stand up, grâce à Pierre Barbier, le directeur de l’Alliance française de Moroni à l’époque. Il a fait venir un de ses amis, un humoriste camerounais, Valery Ndongo ». Ce dernier présente son show et propose un atelier d’initiation au genre. Fouad y prend vite goût. Avec trois autres camarades – Faykal, Madjid et Nounou – ils décident de créer le Comores Comedy Club (CCC), sous la supervision de l’Alliance française et le soutien du Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France. Un guichet unique pour un certain nombre d’artistes de la capitale.

Là, les choses se sont accélérées. « Après ma rencontre avec Pierre, avec mon mentor Valery, mon premier spectacle avec le Comores Comedy Club, il y eu mon premier voyage au Cameroun ». Pour prendre part à l’Africa Stand-Up Festival. « Des moments précieux à mes yeux ». Déterminants ! Qui rejoignent aussi sa source d’inspiration du moment. « Mon premier coup de cœur a été pour un humoriste français : Vincent Lagaf. Le le premier humoriste que j’ai vu en cassette VHS. J’avais retenu son spectacle par cœur et j’ai même déjà utilisé un de ses sketchs quand j’étais slammaster. Maintenant, j’essaie de m’inspirer de tous les humoristes que je vois ». Pour tisser du récit. Raconter son monde. Retrouver son quotidien. « Généralement, j’essaie de faire passer un message ou de parler d’un fait de société (coupures de courant, la tournante, les gens qui se croient plus intelligents que les autres, là hausse des prix, etc.) dans mes sketchs ». L’objectif est de communier avec le public, pas de l’ennuyer.

Fouad Salim.

Aux Comores, les habitudes sont en cours de construction, la logique du café-théâtre est encore en train de se rôder, les praticiens cherchent à attraper le spectateur, qui n’est pas encore dedans. Ce public a comme besoin d’un temps de formation. Mas l’une des très bonnes idées qu’a eu Fouad Salim a été de créer le Comores Comedy Club. Cela a tout de suite suscité de l’intérêt. « Le club existait déjà avant que j’aille au Cameroun ».

Par contre, à chaque fois qu’il se rend sur le Continent, il essaie d’en tirer le maximum. « Vu que j’ai la chance de côtoyer autant d’humoristes talentueux de plusieurs pays d’Afrique, mon expérience et ma vision du stand-up s’élargissent, et une fois de retour aux Comores, j’essaie de partager ces connaissances avec mes collègues du CCC ». Un bon vivier. « Au début nous n’étions que quatre, mais d’autres jeunes nous ont très vite rejoints. Aujourd’hui, le CCC a vu passer environ une vingtaine de personnes, même si certains n’y sont pas restés très longtemps. Des humoristes en herbe, il y en a aux Comores, et j’espère que l’atelier que je vais organiser du 22 au 26 août à l’Alliance française me permettra de dénicher de nouveaux noms ».

Le public, il le considère comme « une composante essentielle » du code en salle. « Et c’est encore plus vrai en stand-up, puisque nous sommes en interaction directe ». Il mesure le chemin parcouru depuis ses débuts. « Depuis que j’ai commencé cette aventure, le public a toujours répondu présent et en masse ». A tel point qu’il est obligé de jouer ses spectacles deux jours à la suite. Pour essayer de contenter son monde.

Un humour décalé.

« Nous avons la chance d’avoir un public bon enfant, bienveillant, qui se prête volontiers au jeu ». Les spectateurs se retrouvent dans ce qu’ils racontent, lui et ses potes. « Ils arrivent à s’identifier, que ce soit par rapport aux thèmes abordés ou à ma vision des choses ». Il compare avec le Cameroun. La première rencontre a eu lieu en 2017 à l’Africa Stand-Up. « L’une des choses qui m’effrayait, mais qui, en même temps, me fascinait, c’est la manière dont le public camerounais s’adresse à l’humoriste. Les Camerounais ne se contentent pas de rester spectateurs, ils sont aussi acteurs. Ça m’avait vraiment dérouté la première fois que j’ai vu ça, mais c’est tellement gratifiant, parce qu’ils sont impliqués à 200%. Je sentais qu’ils étaient dedans avec moi ».

Il pense sans doute aux nouveaux challenges en perspective. L’avenir en tous cas ne l’inquiète pas. « Je pense que c’était moi qui ne me sentais pas encore prêt à franchir le cap. Je suis quelqu’un de (trop) prudent. J’aime avancer doucement, mais sûrement. Mais maintenant que j’ai joué mon premier one-man-show, j’ai vraiment pris du plaisir et ça me motive encore plus pour la suite ». Son nouveau projet, présenté le 9 juillet dernier, se nomme Ceci n’est pas un spectacle, comme pour lancer une boutade. « À vrai dire, j’avais du mal à trouver un nom, et l’ami qui a fait l’affiche a proposé ce nom. Ça m’a plu, parce que ça collait avec ma personnalité et mes idées décalées ».

Fouad Salim ou le roi du punchline à retardement. Dans sa famille s’expriment deux talents dans le domaine du théâtre. Soumette, le premier, a déjà roulé sa bosse, dans un cheminement plus ou moins classique. La troupe de potes, le conservatoire d’Avignon, les allers-retours entre Maore et Ngazidja, dans l’attente de l’ultime succès. Fouad, qui vient après lui, se cherche encore. Il a choisi le one man show, pour exister autrement. « Je regardais des stand-up depuis tout petit, je ne comprenais même pas toutes les blagues, je voyais juste une personne sur scène, racontant des histoires drôles. Et j’aimais retenir ces blagues pour les raconter à mes tantes, oncles et parents. J’adorais les voir rire ». En prenant de l’âge, il comprend que la discipline est à la portée de tout le monde. « Je m’y suis encore plus intéressé, pour au final y atterrir ». Rien de plus simple pour un décalé qui voulait surprendre son entourage.

Ansoir Ahmed Abdou