Réponse de Me Elaniou à Hassan Jaffar

Tous les récits connaissent un jour leur pour et leur contre. Celui, érigé sur le mongozi Ali Soilihi, a eu ses « pro » et ses « anti » depuis 1978. Ce texte, remontant à août 2003 et signé Me Elaniou, auteur de Ali Soilihi ou l’indépendance dans la citerne (Komedit), en réponse aux attaques du journaliste Saïd Hassan Jaffar, fait partie des nombreuses tentatives de relecture de l’expérience révolutionnaire menée par le fils Mtsashiwa. Le site du Muzdalifa House trouve essentiel de rassembler quelques-unes des contributions consacrées à cette période oubliée de l’histoire comorienne en ligne. Au nom de la mémoire en partage.

Enfin ! Enfin ! Ils se découvrent ! « Dans les révolutions, disait Bonaparte, il y a deux sortes de gens : ceux qui la font, et ceux qui en profitent ». Il aurait pu ajouter: « ceux qui la font y laissent leur peau et ceux qui en profitent se terrent ». Ils se terrent parce que ce sont des hommes de « bob sens » comme dirait HASSAN JAFFAR. Ils savent que pour vivre heureux, il faut vivre cachés. Ils se terrent donc pendant la révolution, et après elle, plus encore.

La révolution ufwakuzi n’a pas échappé à la règle. Celui qui voulait la faire, probablement le seul qui y crut un jour, est mort, les autres ont brusquement disparu de la circulation. Les militaires ont jeté les armes. Ils furent les premiers à trahir. Ils ne se sont pas battus une seconde. Ils ont fui devant les mercenaires. Ils ont fait honte au drapeau. Les politiques, ministres ou autres, ont bien vite tourné casaque. Nous les retrouvons dans tous les régimes successifs qui, tous, à commencer bien sûr, par celui d’Abdallah, ont stigmatisé les crimes du ufwakuzi. Ils se sont assagis, ils ont sauvé les meubles. Enfin, les journalistes, ceux qui avaient la tâche infâme d’encenser le Mongozi jusque et y compris dans ses excès les plus fous, et qui, après, se sont planqués, pour ne pas avoir à rendre des comptes. Enfin ! Enfin ! Ils commencent à remonter en surface ! Au moins ce livre aura servi à cela !

Le peuple comorien a le droit de savoir! Il a le droit de juger ceux qui l’ont mis à genoux par les fusils ou les slogans. Alors, puisque c’est toi, mon cher Hassan, qui comparaît le premier, dis-nous tout d’abord, pourquoi tu m’as caché que tu étais soilihiste ! Pourquoi ce livre, quand je te l’ai donné à lire, bien avant tout le monde, tu l’as accueilli à bras ouverts, tu as cherché toi-même l’éditeur (en me déconseillant tous les autres, d’ailleurs !), tu m’as tenu informé de l’évolution des démarches de l’éditeur, alors que j’étais aux Comores. Pourquoi, à ce moment-là, tu ne l’avais pas trouvé abominable ? Le moment n’était pas venu de jeter le masque ? Ou peut-être te disais-tu que Chamanga n’aurait pas le courage de braver les foudres des soilihistes ? Ou était-ce, comme le sous-entend Zaid avec finesse, par amitié pour les finances de l’éditeur ? Non ? Tu te ménageais plutôt cette petite sortie, aujourd’hui, pour épater la galerie, ta galerie ? Alors! La chèvre et le chou ?

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Je ne sais pas s’ils sont épatés. Après tout, pourquoi pas, l’homme est si crédule ! Mais moi, je vais te dire ce qui m’épate, c’est que tu aies pu garder ce double masque si longtemps ! Depuis 1978 ! Tu te rends compte ? 35 ans ! Entre deux airs, entre deux chaises, entre la vie et la mort ! Sous quelle perfusion, bon Dieu ! Et moi qui avais fini par croire que tu t’étais sincèrement repenti ! Dans un sens, je comprends ! Tu as passé 3 ans, entre 1975 et 1978, à chanter les louanges d’Ali Soilihi à la radio, puis 35 ans à jouer à cache-cache avec ta conscience. Il fallait bien que ça explose un jour ! Il fallait bien que tu te soulages un jour ! Voilà exactement, mon cher Hassan, « ce que tu étais venu faire dans cette galère ! » Alors nous te prêtons le merci que tu ne nous rendras jamais ! Merci ! Voilà qui est fait !

Je disais tout au début : « Enfin ! Enfin! Il se découvre ! » J’aurais voulu dire « Enfin ! Enfin ! Le débat s’ouvre ! » Hélas ! Il n’en est rien pour le moment ! Car le journaliste qui parle ne nous a pas dit encore pourquoi entre 1975 et 1978, on n’entendait que des panégyriques à Radio-Comores, et pas d’informations ! Pourquoi il ne nous disait rien sur les citernes, les exactions du Komando Mwasi, les razzias dans les villages, pourquoi il habillait d’or et de rêves les actes les plus infâmes, comme la collectivisation des terres à double vitesse, l’ordonnance scélérate des dépenses somptuaires, l’autodafé que Hassan nie si fort aujourd’hui ! Pourquoi les enquêtes judiciaires se déroulaient en direct à la radio, le secret de l’instruction ayant été définitivement piétiné, etc.

Nous voulons avoir des informations précises sur tout cela, et les avoir de première main, puisque nous avons la chance d’avoir devant nous celui qui a été sous Ali Soilihi, le directeur de la chaîne internationale à Radio-Comores. Mais M. le Directeur nous renvoie à ses œuvres sonores à la radio, pour nous y apprendre quoi ? Rien que nous ne sachions déjà ? Autre chose que ce que nous avons entendu ? Si c’est pour réécouter les balivernes des comités ou le « sa arba wa ichirin » de sinistre mémoire ! Merci ! Ou alors aurait-on « inventé » des archives ? Manipulé les quelques rares qui restent pour qu’elles prêtent aux journalistes la voix qu’ils n’avaient plus, la voix qu’ils avaient perdue du temps d’Ali Soilih?

Hassan nous promet de « reparler » de ses « textes et bandes », car nous dit-il, « ces archives existent ». Eh bien, mon cher Hassan, c’est à ce moment-là que le débat s’ouvrira ! Car il faut bien reconnaître que pour le moment tu n’as rien réfuté du tout. Tu t’es contenté de dénégation, sans l’ombre d’une preuve, tu n’as pas prononcé le premier mot de ta brillante plaidoirie contre ce « mauvais réquisitoire ». Je l’attends. Nous l’attendons. Quand tu voudras. Où tu voudras. Comme tu voudras. Tu m’excuseras, mais tu comprendras quand même qu’il m’est très difficile d’accepter l’argument selon lequel La citernene dit rien, parce que L’élan briséa tout dit. Je te cite: « Difficile après ça, s’agissant de Ali Soilihi ou l’indépendance dans la citernede croire en une initiative courageuse ou de parler de document scientifique. Tout à l’opposé de Ali Soilihi, l’élan brisé ?de Youssouf  Saïd Soilih et El-Mamoun Mohamed Soilih, épinglé par Elaniou, et qui a pourtant connu et continue à connaître d’autres fortunes,  au même titre que d’autres publications de référence qui occupent une place de choix dans les bibliographies sérieuses ».

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Comment peux-tu écrire sérieusement une déclaration pareille ? Quand on sort de la clandestinité, faut-il absolument qu’on  fasse rire à ses dépens ? Qui ne voit là le parti pris d’un  journaliste soit-disant objectif et épris de vérité ? Tu me renvoies à une bibliographie des bons auteurs qui, eux, ont l’heur de te plaire, parce qu’ils ne disent rien ou si peu du vécu des Comoriens pendant les années sombres. Tu voudrais que je les lise ? Tu voudrais que je m’en inspire ? Ou que j’écrive comme eux ? Non ! Mais ! C’est vrai ? Aurais-tu l’intention de m’imposer des lectures ? Et qu’est-ce qui te dit que je ne les ai pas lus ? Parce que je ne les cite pas ? Je n’ai donc pas le droit d’écrire ce que je veux ? Comme je veux ? Tu me rappelles cet autre intervenant, sur le site Lematindescomores, un soilihiste en colère, lui aussi, et qui trouvait que ce n’était « pas un livre » ! Qu’est-ce qu’un livre pour un soilihiste ? Quelque chose qui lui fait plaisir? Tu m’excuseras, mais je ne peux pas comprendre que tu m’invites à aller « interwiewer » le fameux inspecteur AHAMADA. je te cite: « il serait pour le moins intéressant de savoir, si par exemple, dans le cadre des investigations entreprises pour la confection de cet ouvrage, qui se veut être un document historique, l’auteur a pris la peine, avant de s’en prendre à un certain inspecteur Ahamada, si détestable soit-il (et néanmoins toujours en vie et accessible) dans « l’affaire Dodo Tsungu Mme Fatima Abdou » [page 64] de recueillir  sa version et quel en était le traitement. Pour tout solde de tout compte, on a droit à une histoire abracadabrante qui finit par des prétendus violents sauts d’humeur du « Mongolien ».

Tu me demandes de faire des interwiews ? C’est le monde à l’envers ! Qui est le journaliste ? En somme, tu me demandes de faire à ta place le travail que tu aurais dû faire ? Tu voudrais que j’aille, avec micro et enregistreur sous le bras, demander à l’inspecteur Ahamada, pourquoi il faisait ses enquêtes sous la torture, et comment ? Est-ce que tu l’as fait, toi, quand tu étais à Radio-Comores ? Tu aurais dû ! Et maintenant, 25 ans après, il faudrait que je le fasse, moi ? A Quel titre ? Je ne veux pas faire œuvre d’historien ! Quelqu’un, dans ce forum l’a bien dit et compris ; j’ai simplement donné un témoignage. Il dérange, sans doute, mais je n’y peux rien. C’est au journaliste de recueillir d’autres témoignages, de faire des recoupements, et d’expliquer. Maintenant, évidemment, c’est un peu tard, pour l’information journalistique ; mais tu peux essayer de sauver la mémoire et les mémoires. C’est ce que tu nous as promis, je crois ? Très bien, nous attendrons ! Il n’est jamais trop tard pour bien faire!

C’est très curieux! J’ai l’impression que c’est ce que tu me reproches, d’être témoin, et témoin gênant ! Si le débat se réduisait à des « archives » (le terrain sur lequel tu voudrais nous amener), ce serait plus confortable pour vous, car les archives ne pleurent pas, elles n’ont pas de blessures, elles disent 5, 10, 100 morts ou blessés, mais cela parle si peu à l’imagination. Les chiffres situent et ne rendent rien. La douleur d’un homme qui meurt, oublié, abandonné dans une citerne, ou bien celle de la veuve, qui pleurera cet homme, ou bien celle de l’orphelin, voilà une douleur qui cogne, et l’imagination, et la sensibilité de chacun. C’est pour cela que le témoignage est irremplaçable. Tu le sais si bien d’ailleurs, que tu as tenté de jeter le discrédit sur ce témoignage, en déclarant que je n’ai pas vécu la moitié des événements que je raconte. Je te cite : « En se mettant lui-même en scène (alors que paradoxalement, la majeure partie des faits relatés a eu lieu en son absence aux COMORES), en usant et en abusant du « je » dans cet ouvrage, que d’aucuns à tort, qualifient de fidèle et d’objectif, l’auteur prend incontestablement le risque de se faire passer pour un donneur de leçon ».

En d’autres termes, tu m’accuses de faux témoignage, au motif que je n’ai pas pu vivre directement les événements que je raconte. Je croyais t’avoir tout dit sur mon départ de Moroni ! Et tu m’accuses de mauvaise foi ? Qui dans cette affaire est de mauvaise foi ? Tu sais, et tu sais très bien, que je n’ai pris le chemin de l’exil qu’en août 1977 (j’ai encore le « titre de voyage » que m’a délivré la Préfecture de Mayotte, après avoir « annulé »mon passeport, je le tiens à ta disposition !) C’est en mai 1978 que votre régime a chuté ! Cela veut dire que j’ai au contraire vécu la majeure partie des événements. De tous ceux que je relate, je crois que le massacre d’Iconi est le seul que je n’ai pas vécu aux Comores. Tous les autres malheurs m’ont frappé de plein fouet, alors que notre jeunesse, Hassan, s’en allait, en lambeaux dans les citernes, les comités, les émissions de Radio-Comores… Il se trouve, par exemple, que la manif des Moroniennes, je l’ai vue, de mes yeux, vue. On m’a dit que dès le lendemain, il y a eu la contre-manif que tu décris dans ton texte comme ayant été préparée par des « soilihistes inconditionnels ». Celle-là, je ne l’ai pas vue, c’est vrai, c’est bien pour cela que je n’en parle pas. Mais c’est à toi de nous en parler, non pas avec ton témoignage, il n’est plus de saison ! Mais avec ceux que tu auras recueillis, micro et nagra sous le bras.

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Ce sont bien les archives que nous attendons de toi, pour démontrer que La citernene « tient pas la route »,comme tu dis avec tant d’aplomb ! Les papiers que les chercheurs ont écrits, sur tel ou tel aspect de la politique ufwakuzi, pour dire qu’elle est bonne ou mauvaise ? Oui ! Pourquoi pas après tout ! Il faut bien se faire une idée ! Il n’y a pas eu de journalistes pour couvrir les événements ! Il n’y a eu que des flagorneurs ! Alors pourquoi pas ? Mais franchement ! Ces belles théories, que voulez-vous qu’elles fassent à Mtsunga ? (C’est le nom de mon client infirme, qui est mort de faim, d’oubli, de révolution, sous votre régime) J’en ai parlé dans La citerne. Mais peut-être n’a-t-il pas eu l’honneur d’être cité dans les 66 premières pages, celles que tu as lues ! Alors, tu ne « connais pas » !!! C’est très grave pour un journaliste de ne pas vouloir lire ce qui lui déplait ! Surtout quand il a autant d’autorité que toi ! Tu as en effet pour toi la formation, l’âge, l’expérience ! Un peu d’honnêteté et de courage (me permettras-tu de te rendre le compliment ?) ne te feraient pas de mal : « Tant de mauvaise foi, de diatribes, de calomnies et de tissus de mensonges instruits délibérément à charges, sans aucune preuve, à part celle, sujette à caution, susceptibles de nourrir cette récurrente campagne de haine et de désinformation, m’ont fait lâcher prise à mi-lecture, à la 66ème page. Et ce, d’autant plus, que le reste de l’ouvrage lu en diagonal, était du même tonneau, sinon pire ! »

Quand nous commencerons le débat, c’est-à-dire quand tu auras publié tes abjections, il faudra bien qu’on en discute. Je crois que cela peut prendre des jours, des heures, des pages, plus de 66 peut-être, alors vas-tu lire en « diagonale »  tout le reste? Je crois bien qu’à ce moment-là, tout le monde sera obligé de boire le calice jusqu’à la lie. Bonsoir !

Me Ali ABDOU ELANIOU, avocat au barreau de Paris, août 2003.