Moroni Culture 2013

A Moroni, 2012 a été riche en surprises. Deux festivals en une seule année, le FACC pour les arts contemporains, le CIFF pour le cinéma. Deux nouveaux projets de lieu culturel au service d’une dynamique de capitale, avec le CCAC en pôle position. Des partenaires inespérés pour les artistes du cru, l’Etat entre autres. Des professions de foi inimaginables de la part de certains faiseurs. Il n’en fallait pas plus pour laisser croire à une embellie sur le front culturel…

Cependant, nous restons méfiants et prudents à la fois. Car l’illusion et les jeux d’esbroufe, on en a soupé depuis des années. Et il y a deux choses sur lesquelles nous ne transigeons plus, à moins de vouloir creuser des tombes. Deux choses qui  ne se négocient point : l’indépendance d’esprit et la logique du faire-sens. Il y va de notre liberté de créer en cet archipel que nombre de gens confondent avec un jeu de société aux bouffons bien accrochés sur un plateau de lave.

Que la culture ait un rôle à jouer dans le quotidien de nos concitoyens, cela est un fait indiscutable, oui ! Mais qu’elle se confonde avec une quelconque frénésie festive et sans contenus, en cette époque où nous épousons des « façons de dire » qui n’ont jamais été « nôtres », là,  non ! L’artiste comorien (seulement?) ne peut produire et ne doit se produire, en se déconnectant du réel en partage et en ne repensant qu’à  son ascension promise sur un marché de dupes.

Aux camarades tentés de frayer avec l’inacceptable, tenus qu’ils sont en haleine par de vulgaires promesses d’au-delà des mers, nous redisons donc l’essentiel ici, à savoir que les Comoriens nous regardent plus que jamais. Avec eux, s’interroge le monde alentour. De quelles histoires allons-nous et avons-nous besoin de parler avec ce public si proche ? Saura-t-on manier nos butins de guerre, en les ancrant solidement dans leur paysage de lune mal-fagotée ? Nos expressions contemporaines de la culture ne sont que « butins de guerre » dans l’ensemble. Et qu’en est-il de la maturité du « dire », lorsqu’on est le rejeton de Tumpa le frondeur ?

Au Muzdalifa House, nous essayons de recomposer avec l’équation troublante de cet esclave se jouant du paysage dessiné par le maître. La dignité de Tumpa encore et toujours mais sans le mépris et l’arrogance des vainqueurs. Reste à savoir si nous saurons nourrir les attentes d’un public au visage raidi par la crise, à défaut d’offrir des tours de magie susceptibles de tromper la fratrie. Doit-on le rappeler ? Le Muzdalifa House n’existe que depuis quatre ans, dans un quartier, Sanfili, qui appartient à la légende de Hankunu, là où l’herbe pousse. Il y a longtemps qu’il aurait dû exister à Moroni. Car on y expérimente des chemins de lune depuis fort longtemps désertés.

On y interroge notre passé, en bousculant le présent, avec les obsessions du lendemain. Le théâtre, la musique, le cinéma, les arts plastiques, la photographie, la littérature et bien d’autres « formes de suspension du temps » auraient pu n’être que prétextes pour y retisser du lien, y nourrir un débat sans concessions, y croire en la nécessité de tenir debout contre le « syndrome du fait accompli », énième avatar du pourrissement colonial. Nous contribuons ainsi à rendre notre vieille cité vivante, en y introduisant des idées de résistance contre les esprits défaits. Raison pour laquelle nous nous sentons moins démunis face aux nouveaux mirages de l’ailleurs.

soeuf elbadawi