Mwezi WaQ. ou la véritable histoire de.

Sorti en novembre 2012, l’album « Chant de lune et d’espérance » vient d’être primé samedi 23 mars 2013 au  Babel Med festival à Marseille par le jury de l’Académie Charles Cros : « Coup de coeur Musique du monde catégorie mémoire vivante ». Une reconnaissance de la profession pour un projet inattendu, initié, il y a deux ans, au Muzdalifa House.

Un concept, plutôt que le nom d’un groupe. Aux Comores, Mwezi wa signifie « lune de », ce qui se rapporte à l’histoire d’un archipel que les ancêtres venus d’Orient baptisèrent « îles de lune » sur les cartes. Un blaze qui, tel un slogan, traduit la volonté «  de faire reluire un astre de poésie » sur le quotidien mal-fagoté d’un peuple indianocean. « Un ensemble de musiques et de chants, étroitement enlacés au quotidien » pouvait-on lire dans une chronique signée Labesse au journal Le Monde, à la date du 27 novembre dernier. « Un nouveau témoignage de la richesse et du foisonnement musical aux Comores » disait le journaliste.

Sorti en novembre dernier chez Buda Musique, édité par RFI, distribué par Universal et soutenu par Washko Ink., l’album se réclame d’un ancrage populaire, empruntant à la fois au sacré et au profane pour satisfaire aux besoins d’une festa comorienne d’un genre nouveau. Les chansons y parlent d’un pays encore debout malgré les tutelles foireuses et les temps d’incertitudes. Treize titres taillés à même la lave de cette terre insulaire où les influences, multiples, réservent de très belles étrangetés, à commencer par ce titre en ouverture, ramené du temps des hwimbia misi (chant de pêcheur à la ligne) grâce à une archive sonore jusque-là oubliée du commun des mortels. Un album qui reste décontracté, passionné, passionnel, piquant, fiévreux par moments, et  foncièrement acoustique. Avec une maturité et une poésie qui surprennent…

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La dizaine de musiciens qui se sont retrouvés autour de ce projet, initié au Muzdalifa House en 2011, avaient le projet de « s’emparer du legs » pour lui redonner un second « souffle », en faisant leurs les interrogations d’un pays en crise. D’où le titre de ce premier Mwezi WaQ., « chant de lune et d’espérance ». Pour la petite histoire, sachez que Mwezi WaQ. est un collectif à géométrie variable, rassemblant des musiciens aussi différents et aussi inspirés que Soubi, virtuose incontesté du ndzendze, devenu joueur de gambusi, Kosty, néo-transfuge du twaarabu et brillant guitariste pop, ou encore Baco, oiseau des quatre mondes, parti de Mayotte pour défendre le zangoma style dans le vaste tumulte de la sono mondiale.

Il y a là aussi Nkenke, un des principaux acteurs du folk des années Boul, Nico, percussionniste féru de reggae et de mouvances roots, Fouad Mwepvambi Tadjiri, également guitariste, tous deux issus de la jeune garde montante de la scène moronienne, Balandra, gadzaïste aux impros percutants, et Hacen Djeghbal, un complice de Baco. Tous se retrouvent aux côtés de Soeuf Elbadawi, auteur et comédien, passé au chant « par accident » dit-il. « C’est un projet longtemps suggéré à des camarades, connus pour être des musiciens de la place. J’espérais juste en être, en les accompagnant, pouvoir écrire deux ou trois chansons, chanter un couplet par plaisir, sans plus. Mais le scénario ne s’est pas déroulé comme prévu ».

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Réaliser ce premier Mwezi WaQ.  relève néanmoins de la même dynamique ayant nourri les trois précédents albums produits par Soeuf Elbadawi pour le compte du label parisien Buda Musique : « Une histoire d’amitié et de découverte, en réalité ». « Musiques traditionnelles des Comores », « Zaïnaba Chants de femmes des Comores », « Ali.amani chants soufi des Comores », albums sortis respectivement en 1998, 2004 et 2008, trouvent un écho inattendu en ces « chants de lune et d’espérance », qui repensent l’héritage musical de l’archipel dans une approche contemporaine, stimulante, assez maline. « Il n’était pas dans notre projet de remixer du vieux son et de la nostalgie à bon prix. Le jeu consiste plutôt à inscrire la référence au passé dans un présent trouble, où il est question de nécessités politiques, d’instincts de survie et d’espérances tues. Une musique qui parle au Comorien d’aujourd’hui et qui contribue à élargir le cercle. Nous nous adressons aussi au monde alentour ».

Au car(ni)val des défenseurs d’une époque marquée par le mimétisme et le conformisme, Mwezi WaQ. oppose une manière d’échapper au figé ancestral, en ne s’appuyant sur le legs que pour mieux se projeter dans l’ailleurs. Un ailleurs, certes, improbable, mais rendu jouissif par une certaine fraicheur dans l’interprétation. Les musiciens embarqués dans Mwezi WaQ. perturbent par ailleurs des genres et des formes établies localement et donnent à entendre, surtout, un matin de tous les possibles, dans un pays où l’horizon, d’ordinaire, semble en tous points fermé. Une surprise à la fin de l’album. Un ghost de shigoma sorti tout droit des entrailles sonores de feu Radio Comores. Le patrimoine musical des Comores ne pouvait rêver plus bel hommage…

H. Mohamed

Enregistré à Moroni au Studio Chebli, mixé à Paris par Baco Mourchid chez Hiriz Studio (excepté les deux titres mis en boite par Emmanuel Rousseau), « Chants de lune et d’espérances » est téléchargeable en ligne, sur le site du label producteur notamment : Buda Musique. Il est disponible chez les disquaires. Les  amateurs seront ravis de découvrir ce bel objet, accompagné d’un livret très documenté de 28 pages, textes et photos en français et en anglais. Vous pouvez aussi le commander par l’intermédiaire du Muzdalifa House, en écrivant à muzdalifahouse13@yahoo.fr. Un article sur Mwezi WaQ. signé Bertrand Lavaine est disponible sur le site musique de Radio France Internationale. Il s’intitule : Mwezi WaQ. la possibilité d’une musique comorienne. Vous pouvez aussi aussi écouter un extrait du disque dans L’Afrique enchantée, la fabuleuse émission enjaillée de Soro Solo et de Vladimir Cagnolari sur France Inter, datée du 24 février 2013, dédiée aux pêcheurs de l’Afrique et de l’Océan indien, cette fois-là. L’extrait, hwimbia misi, passe à la huitième minute de cette émission, 8’48 pour être exact.