Annoncé dans ce blog comme étant l’un des événements heureux de l’année 2012, le Festival des Arts Contemporains (FACC) a été une occasion rare de rendre hommage à la personne de Mbaraka Sidi, un pionnier comorien dans l’art de la photographie. Une soirée lui a été consacrée, sur une proposition du Muzdalifa House.
Grâce aux efforts de Fatima Ousseni, mécène et co-organisatrice, avec le plasticien Denis Balthazar, de ce premier rendez-vous des arts à Moroni, un anthropologue, Damir Ben Ali, un membre de la famille, Ali El-Mihidhoir Saïd Abdallah, ainsi que le public, plus ou moins amateur, surtout intéressé par le questionnement de la mémoire au travers d’un personnage devenu illustre pour avoir fixé l’image de plus d’une génération, se sont retrouvés un soir de juin au Muzdalifa House, pour y évoquer l’extraordinaire parcours de ce faiseur d’images.
La rencontre au Muzdalifa House.
Un témoin de premier ordre ! Voilà ce que Mbaraka Sidi a été pour son époque. Qui n’a pas rêvé, nous dit-on, de se faire tirer le portrait par ce jeune dandy, issu de la médina moronienne ? En bon pionnier, il savait capter les regards convenus, les vaines conciliations des coulisses à pouvoir, les dires à demi-mot de ces contemporains, en fixant leur geste d’un coup de klik klak, et ce, à des moments clés de l’histoire comorienne. Le général De Gaule, les princes déchus, les nouvelles autorités du pays, le monde ne marche… Qui mieux que lui pour photographier l’absurdité portant les rêves de grandeur et de puissance de ses contemporains dans l’arène des grands ? Qui mieux que lui pour retracer en images les connivences troublantes d’une adversité coloniale en parade sous ces tropiques insulaires ?
Sa famille.
Mbaraka Sidi n’était pas l’homme d’un discours pré-établi. Le supposer serait réducteur à tous les niveaux. Mais ses images, il est vrai, parlent d’elles-mêmes et traduisent une forte envie chez lui de garder pied sur le socle commun, la famille. Il trouvait toujours matière à inscrire la fratrie dans ses images, entretenant l’esprit du groupe, dans l’intimité comme dans la sphère publique, mêlant aussi souvent que possible ses proches aux plus grands. Metteur en scène avisé d’un quotidien sans cesse revisité, Mbaraka Sidi avait aussi l’art et la manière de générer de la curiosité parmi les siens. La mystique du photographe dans toute sa splendeur ! Sa réputation courait de village en village. Décalement et émerveillement en perspective, Mbaraka Sidi jouait à surprendre ses concitoyens avec sa boîte magique. Il était aussi de ceux qui préservent le regard de la foule et des pio-pio.
Damir Ben Ali et Ali El-Mihidhoir Saïd Abdallah au Muzdalifa House.
Sans doute qu’il faudra prendre un peu de recul pour mieux saisir sa démarche, disposer d’un fond d’images beaucoup plus complet, mettre à profit les souvenirs de ces clients d’un jour, pour intégrer la complexité d’une œuvre et lui faire retrouver sa digne place dans le récit encore à écrire des arts nouveaux apparus dans ce pays, au siècle dernier. Les images privées, traduisant la fascination des élites pour cet art de la photographie – encore en pleine émergence de nos jours – seront probablement à collecter au nom d’une mémoire en partage à constituer. Il en est qui se souviendront de cette époque où le génie populaire racontait que l’on pouvait vous voler une âme avec un simple petit doigt appuyé sur un boîtier noir.
Image d’époque.
Ceux qui se pliaient (malgré tout) aux fantaisies de ce jeune photographe, issu d’un milieu social sensiblement aisé, sont néanmoins en train de voir s’effriter les quelques images gardées de ce passé singulier, faute de moyens et de techniques adéquates pour les conserver. Collecter au plus vite ces images, les restaurer, révélerait pourtant plus d’une chose sur l’âme de ce pays. Un travail qui s’annonce difficile et complexe, vu la situation dans laquelle se trouve le musée national, aujourd’hui. Par ailleurs, il y a cette grande question, adressée à sa famille : accepteront-ils de se prêter au jeu et de fournir les éléments manquants d’une histoire à mettre en partage ? Il fut beaucoup question, lors de cette première édition du FACC, des difficultés rencontrées par les organisateurs pour réunir quelques-unes des œuvres de Mbaraka Sidi, dans la perspective de ce rendez-vous. Il fut question également d’un neveu du maître, photographe lui-même, qui se serait emparé du fond restant de ses travaux, d’une manière exclusive, se refusant complètement à le rendre accessible, au grand public. Le sentiment de voir un bout de la mémoire d’un pays partir en fumée…
De Gaulle.
A-t-on oui ou non le droit de défendre le travail de Mbaraka Sidi, en le considérant comme étant une part importante du patrimoine national ? Pourra-t-on sortir son travail des sphères rivées auxquels il est condamné, afin de lui redonner sa digne place dans la mémoire collective ? Dans un paysage culturel aujourd’hui à moitié sinistré, où quelques individus arrivent à s’accaparer du bien de tous pour leur seul intérêt, sans avoir à se justifier le moins du monde, la question méritait d’être posée, deux fois plutôt qu’une. Menacée d’éparpillement, l’œuvre constituée de son vivant par Mbaraka Sidi oblige sérieusement à repenser au pillage des mémoires en partage dans l’archipel. Que sont devenues les milliers d’images que cet artisan passionné a laissé, sans héritier désigné, dans son petit studio, sis au Traleni, à Badjanani ? Que racontaient-elles du destin commun ? En programmant cette soirée, le FACC a permis d’enclencher le débat sur la réhabilitation du « père » de ce qui deviendra peut-être un jour la « photographie comorienne ».
Soeuf Elbadawi