Mwezi WaQ. Chants de lune et d’espérance

C’était le 5 janvier à Moroni, au Muzdalifa House, à Sanfil’iho Hankunu, Muzdalifa House. Nous étions quelques-uns à être invités à un show-case ayant pour objet la découverte de Mwezi WaQ. Album issu d’un collectif, animé par Soeuf Elbadawi, composé de Soubi, de Kosty, de Nico et de Fouad Ahamada Tadjiri. Mélange d’artistes confirmés, piliers de la scène locale et de créateurs en devenir.

C’était il y a trois mois et la soirée prenait forme autour de trois idées à savoir une explication de la philosophie du projet, une écoute live de quelques morceaux de l’album, une conversation libre entre musiciens et publics, le tout prolongé d’un repas pris en commun. Réminiscences de soirées parisiennes durant lesquelles le même Soeuf nous faisait découvrir les dernières créations littéraires et musicales d’artistes et auteurs comoriens. Nawal, Fahoudine Mzé…

A 23H00 sonna la fin de soirée, chacun repartant avec un Mwezi WaQ. sous le bras pour une écoute plus intime, loin des éléments de langage et de décodage fournis par les artistes. Face à face sans protocole avec l’œuvre. Jugement critique de ce qui nous est proposé en essayant de dévêtir l’oreille et l’âme de l’uniforme fait d’hypocrisie et de salamalecs dont on les habille ordinairement de ce coté-ci du monde.

Trois mois après la découverte de l’opus : satisfaction et frustrations.

Le mélomane que je suis a mangé certaines des 13 plages + 1 (chanson cachée) de Chants de lune et d’espérance d’une oreille gourmande.

Ka2

J’ai mâché goulument, l’air pensif, Hwimbia mise et le 14ème morceau caché. Véritable machine à remonter le temps et notre identité. Tout ce que j’ai été et ne suis plus. Sonorités familières, entendues mille fois qui me réconfortent, me rendent nostalgique. Cocon, fait de mots et de sons, dans lequel je me sens bien, si «classiquement» comorien. Ce comorien d’avant l’émigration…

J’ai sucé jusqu’à l’os Djazba, lointain écho du travail qu’a proposé Bobby Mc Ferrin dans « Circle Songs », Expérimental Blues of Moroni, fondé sur une mélodie traditionnelle, étirée jusqu’à flirter avec les sons balkaniques grâce au phénoménal travail de décontraction mélodique de Baco, Undroni Blues, chanson folk parfaite s’inspirant d’une ritournelle traditionnelle, alliant mélodie imparable et paroles engagées, moquant le nationalisme de cité, le « villagisme » toujours en vigueur aux Comores en ce début de 21ème siècle. Jusqu’à l’os, jusqu’à la moelle, j’ai abusé de ces sons qui font montre du potentiel de libération, de création, de modernité des artistes comoriens.

J’ai goûté Mkolo de Soubi et Soeuf, comme l’on picore un met familier aux papilles. Ce, en ayant l’esprit « rempli » de nos mères, de nos pères, qui ont tant vibré sur ces sonorités.  Souci, un des maitres du ndzendze de par chez nous, est une sorte de Boubacar Traoré, de Kante Manila, et à ce titre, mériterait de graver pour l’éternité un album solo, figeant, pour les générations à venir et la diaspora, une des facettes musicales de l’archipel.

Satisfaction(s) donc ! Dans le sillage de certains critiques musicaux du Nord, qui ont vu dans Mwezi WaQ. une illustration du potentiel musical comorien.

Et puis frustrations…

Car il y a trois objets en un dans ce projet. Et ce côté patchwork n’est que le reflet du kaléidoscopique Soeuf Elbadawi, qui, tour à tour, est producteur, comédien, écrivain, photographe, journaliste culturel. L’on sent que dans cet album, il y a les passions de chaque Soeuf. Il y a là l’ethnomusicologie voulant sauver du naufrage des sons comme celui de la plage fantôme en fin d’album et voulant rendre hommage à Soubi dont une reconnaissance internationale de talent ne serait que justice. Il y a là le photographe aimant fixer les moments impromptus, d’où cet instantané Hwimbia Misi. Il y’a là l’écrivain explorant les possibles du langage et s’autorisant là l’heureux dérapage d’Expérimental Blues of Moroni avec Baco, ainsi que le lkuesque Mapiko Gani. Il y a là le journaliste culturel amoureux des Bona, qui ne peut s’empêcher quelques clins d’oeil à ces fabricants de musique africaine contemporaine.

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C’est ce passage d’un monde à l’autre qui, tout en étant agréable, crée de la frustration. Il est vrai que l’intention martelée par le leader du collectif était de créer des passerelles. Cependant, d’aucuns – et j’en suis – trouvent inconfortable les passerelles, les suspensions entre deux mondes. Envie de choix clairs et assumés. Envie de modernité résolue, envie de singularité. Keziah Jones l’a fait, tout en partant d’une base musicale nigériane. Le Senen Diyici Quartet l’a fait tout en ayant comme noyau la musique turque. Susheela Raman l’a fait – avec quelques ratés – en prenant pour arrière-fond la musicalité indo-pakistanaise.

Aussi, pour ma part, et ce n’est qu’un modeste avis, aurais-je préféré trois albums. Un album bien produit, bien réalisé de Soubi, un disque de recension ethno-musicale et un opus décomplexé ayant pour point de départ Expérimental Blues of Moroni, plongeant le son comorien dans la postmodernité. Pour sûr, pour ce dernier, je me serai rué dans les bacs et sur scène afin d’y découvrir en sons les Comores de l’après…

Soeuf, Baco, Kosty, Soubi, Fouad, Nico…

Merci et à bientôt !

Dédicace à Y.

N.E.Fikri Ali Mohamed I Oluren Fekre[1]

[1]Vous pouvez retrouver l’’auteur du texte sur son mur : http://www.facebook.com/oluren.fekre.