Embargo littéraire à Mayotte

En 2012, le collectif Djando la Waandzishi effectue une tournée littéraire (Esprits de lune en mouvement) entre la France et les Comores, avec quatre auteurs de l’archipel : Anssoufouddine Mohamed, Saindoune Ben Ali, Mohamed Nabuhani et Soeuf Elbadawi. Au cours d’un échange  à Mayotte, deux de ses auteurs proposent aux collégiens de Doujani d’écrire sur leur vision de la révolte dite des mabawa, conflit survenu dans l’île en 2011.

Des textes d’une rare acuité, avec deux images de la révolte, publiés sous une forme inattendue, un pdf sur le net et un A3 sur papier, diffusable à souhait, de mains en mains. La publication a pu se faire grâce aux efforts conjugués de Wahko Ink. et de la Bouquinerie de Passamainty, partenaires de l’opération Esprits de lune en mouvement, l’an dernier. Elle témoigne de la puissance des souvenirs et des mots, de la force des imaginaires, de la part d’une jeunesse, qui, du jour au lendemain, s’est retrouvée au cœur d’un conflit, dépassant de très loin les discours sur le coût de la vie, au quotidien.

Ainsi, ce texte en ouverture, signé Aissa Hassani :

« Je suis dans une salle avec deux auteurs racontant lhistoire de la guerre à Anjouan. Apparemment, tout le monde écrit sur « la crise à Mayotte », mais je ny connais rien. Donc jimaginejimagine que plus de la moitié de lîle voulait se mettre en grèveça a du être« orible »les deux auteurs disent « une ville à feu et à sang »le champ de bataille devait être une villetout le monde se cachait pour ne pas participer au massacreet puis mon voisin parle de bombe lacrymogèneles gens venus dans les voitures commençaient à jeter des bombes lacrymogèneset puis bondabord une listecrise à Mayotte, je ny connais rien et jai faimde tacos (voitures) et de mabawa…»

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Il est arrivé que l’on interroge le rôle et la fonction de l’écriture dans cet espace géographique insulaire. Il est surtout arrivé que les auteurs ne sachent pas quoi répondre face au délitement de leur archipel d’existence. Les Comores se revendiquent comme un peuple de poètes en rut. Avec un imaginaire fondé sur l’art de raconter des histoires. Histoires de vie, de chair et d’espérance. « Ce jour, écrit Zourienti Ahamada, les gens étaient énervés, les boutiques dévalisées. Au collège, on nous a dit qu’il n’y avait pas cours. Nous avons donc rejoint la grève pour exprimer notre désir de retourner en classe. Et la police nous a poursuivi. Il y a eu un accident de scooter près du collège. Un élève s’est pris un caillou sur la tête. Les enfants ont été obligés de rester à la maison et de regarder le journal ».

A quoi sert la littérature dans un archipel en proie à la crise ? Ailleurs, on le dirait, sans hésiter, que la poésie ne sert qu’à faire de la poésie. A Mayotte, les élèves du Collège de Doujani, avec les mots de leur âge et la rage des adultes tout autour, disent qu’elle peut servir à tisser de la vie et à converser avec le réel, malgré tout. «  Je ne sais plus, confie Maïssara Magnédaho. Le jour de la grève, je dormais. Un enfant mort par flash-ball, des gaz partout, des policiers partout, un dinosaure, un diplodocus, un lézard vert, les bweni et les mwenye faisant la grève, les magasins fermés. J’étais chez mon père. J’allais pas à l’école à cause des  blessures et des gendarmes. Basi comme on dit. » Basi ipvo comme pour dire « stop » à ces « images folles » : « les routes bloquées, les policiers et leur gaz, les gens courant dans tous les sens, l’hélicoptère, qui atterrissait et décollait à Cavani Stade… » comme l’écrit cet autre élève, du nom de Zidini Ahmed. Sans doute que la question de ne s’est pas posée de savoir si la vérité viendrait de la bouche de ces enfants, fils et filles à la fois d’allochtones et d’autochtones sur l’île. Mais le projet de cette écriture, en portant l’un des noms de cette révolte, « embargo », éclaire la situation mahoraise, territoire entre deux eaux, entre Paris et Moroni, d’un œil nouveau.

MB/ Djando la Waandzishi

Organisé par le collectif Djando la Waandzishi, « Esprit de lune en mouvement »  est parti des Francophonies à Limoges, est passé par Aubervilliers, en région parisienne, avant de traverser une grande partie de l’archipel, à Mayotte, Anjouan, à la Grande Comore. Un festival, des écoles, des lieux culturels, des places publiques, ont accueilli cette tournée. Une vingtaine de cités, plus de 3000 personnes touchées. Quatre mois d’aventure : septembre, octobre, novembre, décembre. Un projet initié avec le partenariat notamment des Bouquineries de Passamainty et d’Anjouan, de Washko Ink., du gouvernorat d’Anjouan, du milieu scolaire et associatif.

Pour lire l’ensemble des textes, cliquer sur le PDF: Embargo13.