Des visages et des mots pour un cimetière de kwasa. Une installation sonore et visuelle autour de la question des morts du Visa Balladur. Une proposition déjà faite il y a deux ans à Paris, reprise au Muzdalifa House ce 12 novembre, date commémorative de l’entrée des « Comores indépendantes » aux Nations Unies.
«Ngapvo wafu na wafu/ Il est des morts et des morts/ Les nôtres s’oublieraient plus facilement/ Parce que nés sur un rivage oublié du monde» est-il écrit dans Un dhikri pour nos morts¹ de Soeuf Elbadawi. Un fragment repris dans l’installation présentée (Des visages et des mots pour un cimetière de kwasa) au Muzdalifa House ce 12 novembre _ une date rendue symbole par l’histoire coloniale, dédiée à la question française de Mayotte depuis sept ans par les dirigeants de l’Etat comorien.
Les images, les textes et les chants de cette installation, déjà présentée à Paris il y a deux ans, expriment des interrogations d’auteurs et d’artistes autour de ce cimetière marin érigé par une « lointaine République de Paris en pays de lune ». Où l’on reparle des milliers de Comoriens disparaissant dans les naufrages de kwasa entre Anjouan et Mayotte depuis l’instauration du « Visa Balladur » en 1994. « Qui s’en soucie ? Qui connaît le visage de ces noyés ? De ces Comoriens traquées comme des bêtes par la PAF française en nos eaux ? Qui s’en plaint, véritablement ? Dans l’archipel, les gens finissent par se faire à l’idée que la loi du plus fort (celle de l’ancienne puissance coloniale) est seule à régir le destin de leur monde (espace géographique sous tutelle), en dépit de ce que préconise le droit international sur la question ». Une guerre des récits est ainsi en cours, une guerre sourde à travers laquelle se distingue, trop souvent, le vainqueur.
A Confluences, lors du rendez-vous parisien en 2011
La raison, sans doute, pour laquelle, ce 12 novembre, le Muzdalifa House, lieu de création et d’expérimentation à Moroni, souhaitait rappeler que « les prières ne suffisent plus à fabriquer des poches d’espérance contre la promesse faite d’un effondrement d’archipel ». Auprès d’un public choisi, l’équipe du lieu a longuement insisté sur le fait que « le temps est peut-être venu d’imaginer d’autres formes de résistance contre ce crime d’humanité que nous sommes amenés à subir au quotidien, dans l’indifférence d’un certain nombre de nos concitoyens. La phraséologie inopérante de nos dirigeants mérite autre chose qu’une simple indignation de notre part. Les stratégies et les tactiques se doivent de prendre une autre voie que celle empruntée jusqu’à ce jour. Rien n’autorise à sacrifier autant de vies sans recours ». Le Muzdalifa House défend l’idée d’une abrogation pure et simple du visa Balladur, après dix neuf années de tragédie quotidienne.
Des visages et des morts pour un cimetière de Kwasa, installation qui fait se croiser les genres et les disciplines (musique, théâtre, vidéo, littérature, arts plastiques, objets d’agit-prop), contenait notamment des œuvres du plasticien Seda, deux-pièces du vidéaste Mounir Alloui, des poèmes de Saïndoune Ben Ali, Aboubacar Said Salim, Anssoufouddine Mohamed, de Soeuf Elbadawi et de William Souny, des musiques de Mwezi WaQ. et des archives sonores, dont ce fameux reportage racontant les limites politiques du référendum organisé en 1974 par la France dans l’archipel. Episode qui fit se dresser les habitants de l’île entre eux (« soroda » contre « serelamain » au nom du droit ou non de demeurer colonisé) et que la tutelle française a réussi à effacer de toutes les mémoires officielles de l’archipel. Où quand la France divisait pour mieux régner en pays de lune.
MB
[1] Paru aux éditions Vents d’Ailleurs, 2012.