Invité en terre haïtienne par le Centre PEN et par quelques amis y résidant, Soeuf Elbadawi a séjourné à la résidence Georges Anglade, maison des écrivains, située à Thomassin, sur les hauteurs de Port au Prince, du 20 au 27 décembre 2013. Il y a présenté une exposition sur la littérature comorienne d’expression française. Il y a surtout lu son dernier texte, Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents, paru chez Vents d’Ailleurs.
De Thomassin 32, Soeuf Elbadawi s’est aussi rendu en province, à Petit-Goâve et aux Gonaïves, aux côtés de Jean-Euphèle Milcé, le président du Centre PEN-Haïti, et son équipe. Pour une lecture de son texte, et aussi pour des entretiens express autour des liens à établir entre les réalités haïtiennes et comoriennes. Il raconte : « Ce pays m’a transporté, littéralement, je dois dire. Je remercie ceux qui ont contribué à rendre ce voyage possible. Je pense à mon ami Alwahti, à Hachim, à Kader. Des frères comoriens qui ont su, à mon sens, partager le meilleur de ce que Haïti peut offrir au monde, à savoir son humanité. Je pense aussi à Euphèle, Emmelie, Ralph, Gael, Marco, Charlie, Kenya, Roselyn, je pense à tous ces autres qui me sont devenus chers et que je ne pourrais citer ici, faute de place. Des Haïtiens pour qui « mwanyangu », ce mot signifiant la fratrie en langue shikomori, représente une possibilité de rencontre inespérée entre nos imaginaires ».
A Petit-Gôave / Jean-Euphèle Milcé présente la rencontre…
Haïti a séduit Soeuf, définitivement. Les Haïtiens, encore plus. « Cette image dans mon esprit, où je les vois sillonnant les rues, yeux rivés au ciel, comme si le Dieu de l’errance devait communier sous peu avec les lwa, au royaume des consciences sans répit. Tellement de démesure dans leur geste. Nous aurions beaucoup à apprendre de cette île et du respect qu’elle entretient envers sa propre mémoire. En même temps, j’y ai vu tellement de choses qui nous ressemblent. J’avoue qu’ils m’ont bluffé sur ce plan-là. J’ai aimé être en Haïti comme parmi les miens. Cette manière de se falakater un destin en dépit des vents contraires de l’Histoire. En dépit du règne des « Mêmes » sur les mêmes. J’ai été là-bas pour partager un bout de notre histoire. Pour leur parler des morts du Visa Balladur, du pays déconstruit et de la relation coloniale. Et j’y ai rencontré une part de moi-même, de ma singularité comorienne dans les échanges, les conversations, avec les jeunes, les plus vieux, les artistes, les citoyens ordinaires. La résignation et la frustration ne sont jamais loin, mais pas que. Ils ont aussi des manières d’être, qui forcent le respect, qui donnent à réfléchir. Des manières d’être, qui se refusent à l’anéantissement. L’impression de m’être transporté dans un autre chez moi. Avec plus de consciences en éveil dans les rues ».
La fratrie comorienne à Haïti au grand complet
Soeuf Elbadawi a adoré cette île, et c’est peu dire que de simplement le souligner ici. Il nous a ainsi parlé de cet esprit d’indépendance, qui porte chaque haïtien rencontré au petit matin sur son chemin. « Ce sont des êtres qui vous surprennent au moindre regard, à la moindre parole échangée, dit-il. Ils ont un esprit mtoro chevillé à même les corps. Qu’ils descendent des mornes ou qu’ils remontent des entrailles de Port au Prince, tu les sens debout, prêts à défier l’adversité. La dignité faite homme. Leurs corps parlent d’eux-mêmes. Il faut les voir se mouvoir dans cet espace de vie, qui est leur à jamais, malgré les temps d’occupation, l’arrogance des maîtres d’hier et l’horizon obscurci par ceux qui tiennent la géographie des temps dissolus en haleine. J’ai tellement appris en ces quelques jours que je ne rêve que d’une chose. Y retourner au plus vite. Et je comprends certaines insistances de mon ami Alwahti, qui y séjournait depuis un moment, déjà. Sur la nécessité d’établir le contact entre Moroni et Port au Prince. Je crois qu’il faudrait même envoyer nos jeunes en Haïti. Pour qu’ils y apprennent deux ou trois choses essentielles sur l’état du monde et sur la force de conviction des hommes. Pour ma part, je compte demander la nationalité haïtienne. C’est bien la première fois que je ressens ce désir d’une double nationalité. En attendant, je me suis inscrit comme membre du Centre PEN-Haïti… »
MB
« Le Centre PEN-Haiti a été crée au début de l’année 2008 à l’initiative de Georges Anglade. Le Centre PEN regroupe une centaine d’écrivains et de journalistes allant des plus connus à ceux qui abordent les métiers de l’écriture avec la publication d’un livre ou d’articles dans les journaux et sites d’informations. Attaché, comme les 140 autres Centres PEN du monde, aux valeurs de tolérance, de paix et de liberté, le Centre PEN-Haïti s’engage à favoriser les échanges entre les créateurs, travailleurs de la plume et la population, entre écrivains haïtiens et étrangers, à travailler pour la libre circulation de l’information et le partage, autant que possible, des savoirs et le libre accès à la culture ». Pour plus d’infos sur le centre PEN Haiti, se rendre sur leur site : http://www.pen.ht/category/presse/
A lire aussi, un article en ligne du journal Le Nouvelliste sur Soeuf Elbadawi en Haïti. Cliquer sur la page concernée ici.