Acte de décès

Initié au Muzdalifa House en février 2012, le collectif Djando la Waandzishi vient de décéder. Après deux ans d’exercices et de contorsions diverses sur le scène de l’archipel. Convié à une soirée-manifeste des collectifs d’auteurs francophones, lors de la 23ème édition du festival international des Francophonies, Soeuf Elbadawi répondait à Marcelle Dubois, directrice artistique de Jamais Lu au Québéc, sur l’idée d’un manifeste, exprimant ce qui fédère au sein de Djando la Waandzishi. Il annonçait la mort prochaine du collectif. C’était en septembre 2013…

S.E Notre collectif en avait un, de manifeste. Un, qui était long de deux pages, et plein d’espérances, mais qui a fini par prendre eau de tous côtés. Nous lui avons tourné le dos. Nous serons donc la petite note grise de ce grand soir. Djando la Waandzishi, le nom de notre collectif, qui signifie le ciment des écritures en pays de lune, n’a plus que quelques mois à tirer, avant de sombrer dans l’oubli. Et il est important que vous sachiez, en ce joli raout automnal, que beaucoup essaient de fraterniser en écriture dans leur contrée de vie, sans y parvenir, jamais. Actions et manifestes de toutes sortes ne les autorisent pas à retisser du lien dans le miroir des imaginaires rompus. Le poids de l’histoire y est pour quelque chose, et nous sommes là pour en témoigner. Cette soirée que l’on souhaite magique pour tous sera l’une des dernières apparitions de notre collectif en public. Pour la postérité des nôtres, nous aurons ainsi été à l’affiche de ce magnifique festival, le seul qui raconte l’Afrique et l’Océan indien, sur un plateau-monde en langue française, sans trop se déprendre de nos humanités enfouies. Les Comores, ce pays de lune d’où l’on vient et d’où l’on parle, une terre lointaine (pour vous) se réclamant à la fois du Continent noir et du grand océan, vous en sauront peut-être gré, un jour. Qui sait? Une thèse de doctorat dans des archives poussiéreuses et nationales dira peut-être dans quelques années que nous avons été jusqu’à Limoges. Ce qui n’est pas rien, s’il vous plaît…

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M.D Pourquoi vous être regroupés en collectif d’auteurs ?

S.E Nous pensions que cela nous rendrait plus forts et plus sereins dans un monde où le citoyen ne sait plus où donner de la tête, noyé qu’il est sous le manteau de la crise. Mais nous avions tort de penser que nous pouvions échapper à l’éclatement d’un pays et aux conséquences immédiates sur ses habitants. Nous avons donc foncé tête baissée et jambes par-dessus la page blanche, en croyant éviter ce qui plombe et assomme. Une expérience unique, mais qui n’a pas empêché l’histoire de nous rattraper. Il faut voir que mêmes nos économies de mots n’ont pas été à la hauteur du résultat escompté. Qui parle depuis un pays fracassé comme le nôtre finit souvent fracasse lui-même. L’idée du collectif de départ s’est peu à peu effritée. L’obsession d’une fratrie reconstituée n’a pu fonctionner. Les gens de notre pays sont ainsi faits qu’ils devront courir encore longtemps après leur destin commun, avant de trouver le moyen de conjuguer un avenir ensemble, y compris en littérature. La brève histoire de notre collectif est une preuve flagrante de ce qu’il n’est plus possible de faire dans certaines contrées du Sud défait.

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M.D De quels auteurs de votre pays ou d’autres pays vous sentez-vous l’enfant ?  

S.E Je ne sais pas pourquoi, mais nous appartenons à un pays où le principe de filiation se confond toujours avec le déni permanent. Déni de mémoire, déni de ce que nous sommes au présent, déni de ce qui nous pend au bout du nez, etcetera, etc. En ce qui me concerne, j’ai toujours évité de décliner ma filiation proche. Pour éviter que l’on aille reprocher mes erreurs à mon père, à ma mère ou à qui que ce soit, parmi mes aïeux. Ce soir, j’éviterais de dire de qui je suis l’enfant, et vous devrez l’accepter. C’est ainsi, d’autant plus que je porte la bâtardise d’un tas de gens en moi.

M.D Qui sont vos semblables, vos comparses d’écriture ?

S.E Trop d’ennemis à mes trousses pour  laisser entrevoir qui sont mes vrais amis. Il vaut mieux qu’ils restent dans l’ombre de mes pensées. On ne sait jamais. Un jour, je pourrais avoir besoin de me retirer auprès d’eux.

M.D Carte blanche pour quelque chose qui vous démange! Allez-y…

S.E Nous croyons pouvoir nous en sortir seuls. Mais je pense que ce n’est qu’un leurre, bien que je sois celui qui vient acter le décès de mon collectif avant l’heure, et hors de son territoire d’existence annoncé. Car, avant d’être des francophones revendiqués sur ce plateau, nous fûmes, nous, membres du collectif Djando la Waandzishi des Comores, les enfants d’un pays de lune, bien ancré dans son passé de terre-refuge pour les espérances tues en l’homme.

Propos recueillis par Marcelle Dubois

Le Jamais Lu a pour mission de créer un lien entre le public et les auteurs d’aujourd’hui. Il offre aux dramaturges, particulièrement à ceux de la relève, des tribunes originales, engagées et festives. Le Jamais Lu œuvre au développement de la dramaturgie québécoise, canadienne et internationale. Chaque année, le Jamais Lu produit un festival de 10 jours à Montréal et un autre de 3 jours à Québec. A l’instar des autres autes invités au Manifeste des collectifs d’auteurs francophones à Limoges l’an dernier, Soeuf Elbadawi est convié à la prochaine édition du Jamais Lu (02-09 mai 2014) dans le prolongement du manifeste des auteurs réalisés à Limoges à l’automne passé. Cet entretien fait partie des réponses données et lues lors du manifeste des collectifs d’auteurs francophones à Limoges.