Brisures comoriennes

A la veille de fêter les quarante années d’indépendance de l’Union des Comores, parait Brisures comoriennes, un recueil de poésie collective chez KomEdit. Quatre visions d’un même monde insulaire, écrites en shikomori et en français.

Ce recueil rassemble les fragments poétiques de quatre auteurs : Mao, Soeuf Elbadawi, William Souny et Ansoufouddine Mohamed. Ces fragments interrogent l’Histoire très récente des Comores, celle de la colonisation, et de ses conséquences.

Une écriture de l’intime

Pour questionner les ambigüités coloniales, les auteurs usent de deux langues en présence dans cet espace, le comorien et le français. Deux textes sont en shikomori. Dans « Notes d’obscurité raccourcie », Soeuf Elbadawi s’inspire du shiduantsi, art oratoire se fondant sur une opacité de la langue. L’auteur mène une réflexion sur l’Histoire, évoque l’ombre qui plane sur son peuple. Image également présente dans le second texte, « Shivuli sha zitrongo » [L’ombre des choses] d’Anssoufoudine Mohamed, qui, lui, affirme que l’écriture en langue comorienne s’est imposée comme une évidence sur ce projet.

« Le verbe insensé du sourd-muet » de Mao et « Trash Comor 99 » de William Souny sont les deux autres textes, en langue française. Le premier décrit le réveil d’un homme, en exil sur sa propre terre, « île devenue douloureusement asile », et prisonnier de sa conscience, « me voilà dans la démence d’une solitude ».

1 CouvBrisures

Quant au texte de William Souny, il a cette particularité d’être écrit par un non-comorien. William Souny est un auteur français résidant à La Réunion. Il a déjà publié deux recueils de poésie sur les Comores, Notes comoriennes pour un comité de rivages en 2002 et Comores en flammes en 2009. Dans celui-ci, il critique la puissance coloniale et tous ceux qui contribuent à la décomposition de ce tissu d’îles, dont il dit qu’ils sont de « fausses pleureuses entretenues ». Le titre de son fragment fait référence aux 99 noms d’Allah, mais l’auteur avance surtout l’idée d’un compte à rebours avant l’implosion du pays.

Errance et désespérance

En s’appuyant sur des motifs d’imaginaire ancien, Ansoufouddine Mohamed interroge la mémoire des siens : « miba de yabaki/ kula waka na mwa uongo/ wa husondza-sondza/ wuisa uheya mapuzi[1]». Pour décrire un pays à l’agonie, Soeuf Elbadawi emploie un vocabulaire apocalyptique et parle d’un ordre inversé des choses : « oweny’emadziho nd’owadjuhuu sha tsi nd’ezilembwe ». Où il est question des aïeuls qui enterrent leur descendance…

Mao décrit avec amertume et désolation son pays défait, après la crise séparatiste : « l’obscur aussi répugnant que la mort ». William Souny dénonce un Etat de connivence, (« passion de mercenaire/ coopération culturelle et technique : balle dans la nuque/ corps diplomatique »), dénonce ceux qui ont œuvré avec « l’ambassadeur » à la destruction du pays, les « bouffons et courtisans ».

Si les auteurs espèrent un sursaut, avant que la conque ne retentisse au grand jour, ils démontrent surtout que la dépossession de la terre conduit à un drame humain : les morts en kwasa. Un nouveau visage de la domination, à travers lequel le même « émissaire tombé des nues » ne cesse de déconstruire, décrétant que la seule égalité dans cet archipel serait une « égalité dans le naufrage ».

Fathate Hassan

[1] « Ce qui reste ce sont les os/ tous ceux à qui il restait un nonos/ à ronger/ se sont vu pousser des plumes ».

2. Brisures comoriennes est disponible dans les librairies aux Comores ou sur le site de l’éditeur : http://www.komedit.net

3. Un article plus documenté du même auteur est à lire sur le site de la revue Africultures. Cliquez ici pour le lire.

4. Vous pouvez aussi les entretiens accordés par William Souny et par Anssoufouddine Mohamed sur notre blog.