Interdiction des travaux pour la réalisation d’une stèle en hommage aux morts du Visa Balladur par le Préfet de Moroni. Le 12 novembre 2014, date initialement prévue pour l’inauguration de cette stèle, le Comité Maore, collectif connu pour ses engagements sur l’intégrité territoriale des Comores, a fait voter une motion de soutien par des membres de la société civile, réunis dans l’enceinte du Palais du peuple à Moroni, et s’est proposé comme « relais » auprès des autorités pour la poursuite du projet.
Une pétition sur le net a été mise en ligne sur le site Avaaz.org avec l’objectif d’atteindre les 400 signatures. Ce qui représente 1% du chiffre des 20.000 sacrifiés du Visa Balladur. Artiste et auteur à l’origine de ce projet de stèle, annoncé lors du festival des arts contemporains à Moroni en juin 2014, Soeuf Elbadawi a fait paraitre ce texte dans le journal Al-Watwan du 13 novembre dernier.
« L’histoire des relations entre la France et les Comores est faite de nkankanka comme disent les habitants de cet archipel. Mensonge et déni, arrogance et violence conjugués. Celle qui remonte à 1841 (l’annexion de l’île de Mayotte) et à 1912 (la colonisation française) se résume depuis 1975 (date de l’indépendance officielle) à une somme de petites et grandes tragédies situées entre deux mondes.
Performance bleu, blanc, rouge avec un coq lors de la commémoration du 12 novembre
Deux Etats jouent à se faire une « guerre de la salive » ininterrompue entre deux rives. Il y est question de droit, national et international. 22 résolutions de l’ONU parlent de l’occupation illégale d’une partie des Comores. Il y est aussi question de fratrie éclatée, de pays divisé, d’un archipel déconstruit. Il y a vingt ans, la France, pour parachever son entreprise de balkanisation, nous a imposé le principe d’un visa, le tristement nommé « visa Balladur », empêchant la circulation des habitants de cet espace sur une partie de la terre de leurs aïeux, de leurs morts.
Une tragédie insurmontable. Les Comoriens sont traqués en mer par la PAF française, dès lors qu’ils essaient de rallier Mayotte par voie maritime, sans passer par l’ambassade de France, qui, elle, n’octroie jamais le visa exigé pour cette traversée vers un bout de terre que la communauté internationale s’accorde à dire « comorienne ». Entre Mayotte et Anjouan, l’île d’où partent les kwasa kwasa, il y a 70 km de distance, et des naufrages sans nom. Les nôtres font quand même le voyage, en jouant à cache-cache avec les gardiens d’une frontière invisible, tracée au sein d’un même peuple par des gouvernements sans pitié depuis Paris.
Au péril de leur vie, des compatriotes tentent le passage d’une rive à l’autre, chaque semaine, bravant radars et frégates rapides, pour rejoindre leurs familles, un peu comme pour résister à l’anéantissement annoncé, là où nos représentants politiques acceptent de se soumettre à une puissance tutélaire. Cette tragédie du Visa ou encore du Mur Balladur, ignoré par les médias et les faiseurs d’opinion, génère des milliers de morts. A Moroni, les chiffres sur 20 ans résonnent en écho avec ceux des refoulés, et des barques arraisonnés ou brûlées. Ils sont près de 3% de la population de l’archipel à mourir pour avoir commis le crime de circuler en leur pays. L’an dernier, il y a eu environ 26.000 refoulés officiels à la PAF de Mayotte. Tous sont possiblement considérés comme des déplacés et des déportés au regard du droit international.
Les discours au Palais du Peuple et dans les rues à Moroni lors du 12 novembre
A l’occasion du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la commission des états du Sud Ouest de l’océan indien (COI), qui s’est tenue aux Comores ce 23 août 2014, le président français, M. François Hollande, a décidé de s’asseoir sur le droit et la justice. Avant lui, François Mitterrand, venu nous voir en 1990, déclarait ceci : « Je pense que dès maintenant, nous devons prendre les mesures qui permettront une communication et des échanges constants entre Mayotte et les autres, les autres et Mayotte. Qu’il n’y ait plus de barrières théoriques, peu franchissables, entre tous les Comoriens que vous êtes, eux et vous, et que la France vous aide à retrouver votre très ancienne solidarité. Il est de multiples formes d’unité, croyez-moi, et nous allons les rechercher ».
En octobre 2013, lorsqu’il y eut le drame des 300 morts de Lampedusa, Noël Mamère, député français, disait ceci à son tour : « Pendant que nous assistons à l’insoutenable sur nos écrans de télévision, un même crime se répète chaque jour aux Comores, dans le silence le plus abject. La France de Hollande, barricadée à Mayotte, bafoue le droit international, en continuant d’appliquer dans toute sa dureté les règles découlant du « Visa Balladur ».
Cette tragédie finira-t-elle un jour ? Peut-on être clandestin sur la terre de ces aïeux ? C’est pourtant ce que nous subissons en notre pays au nom d’intérêts qui dépassent notre entendement. Qu’est-ce qui justifie un tel désastre politique ? Aujourd’hui, le pire continue d’arriver. Les morts du Visa Balladur sont interdits de stèle sur une place comorienne. Qui aurait pu l’imaginer ?
Le travaux interrompus de la stèle en hommage aux morts du Visa Balladur à Moroni
Depuis juin 2014, M. Laissi Ben Ali, maire de Moroni, m’autorisait avec quelques citoyens de la capitale à installer un mémorial en hommage aux victimes de ce tristement célèbre Visa Balladur. Le monument devait être terminé et inauguré à l’occasion de la journée Maore , ce 12 novembre 2014. M. Djouhoud, préfet du Centre, en a interdit les travaux, avec le soutien de la gendarmerie nationale, en invoquant une raison d’Etat, le secret défense, ainsi qu’une question de sécurité.
Autrement dit, selon le préfet de Moroni, ce serait le même Etat comorien, célébrant annuellement le retour prochain de Mayotte dans le giron familial, au nom du droit international, qui interdirait l’hommage rendu aux milliers de morts du Visa Balladur dans la capitale. A n’y rien comprendre. Rappelons que cette date du 12 novembre, date de l’entrée des Comores aux Nations Unies, est décrétée fête nationale par l’Etat depuis sept ans. Rappelons aussi que sur cette même place de France figure une stèle (autorisée) en mémoire des disparus d’une autre guerre, celle de 14-18. Etrange contradiction… »
Soeuf Elbadawi, auteur et artiste, Comores, 12/11/14.
Paru sur le blog Mur Balladur, ce texte sur l’affaire de la stèle: Morts Balladur à Moroni.
Pour rappel, le projet de la stèle, annoncé lors de la seconde édition du FACC en juin dernier, avait vu le maire de Moroni, M. Laissi Ben Ali, se mobiliser, affirmant son soutien sur les ondes de Radio France International. L’émission peut encore s’écouter en ligne : Comores, un archipel en quête d’histoire et d’identité. L’ennui, c’est l’interdiction (verbale) du préfet Djouhoud et des gendarmes, qui ne se fonde sur aucun acte de loi. Ici, il est question de censure pour un artiste dans son propre pays. Il est surtout question d’une position ambiguë de la part des autorités comoriennes, qui, tout en prenant part à l’hommage rendu par l’ambassade de France aux morts de la guerre 14-18 à Moroni, semblent ne pas vouloir déplaire au partenaire français, en érigeant une stèle rappelant l’iniquité d’un visa français, divisant le pays en deux, et semant la mort depuis 20 ans, en dépit du droit international.
Dernier ouvrage paru de Soeuf Elbadawi : Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents (Vents d’Ailleurs), texte dédié aux morts du Visa Balladur, consacré par le Prix des lycéens, apprentis et stagiaires de la région Ile de France. Une stèle de mots…