Salim Hatubou l’écrivain au son de la calebasse du verbe

L’hommage rendu par le poète Saindoune Ben Ali à Salim Hatubou, écrivain comorien, mort le 31 mars 2015 à Marseille en France, où il résidait. Des funérailles nationales ont eu lieu à Hahaya, sa cité natale aux Comores, le 8 avril 2015. De lui, Saindoune avance ces mots: « reste la calebasse où bruisse encore le verbe ».

Il était habité par les mots et l’écriture fut toute sa vie. Quelque chose semblait tenir de l’amour, du don et surtout du désir brûlant de partage de la parole à la façon des vieux sages dans nos bangwe. Le conteur majestueux de toute notre scène culturelle. La voix avait le timbre magique qui plonge dans le merveilleux de nos mondes oniriques. Au-delà de la prodigalité inégalable, en littérature des Comores, Salim Hatubou reste également l’auteur d’une œuvre traduisant des faits de sociétés qui laminent un peuple déchiré, désorienté, du fond du pays à la diaspora. Lire l’œuvre à l’aune de cette remarque est d’une certaine pertinence pour saisir sa complexité. Par exemple pour retrouver le lien entre les écrits destinés aux lecteurs jeunes, le conte et les romans.

Je rends hommage à la ténacité, à l’esprit de touche-à-tout, à la jubilation et à la fausse naïveté. Toute l’œuvre provient de la même source, une croyance extraordinaire au verbe comme seul moyen pour un apaisement des relations humaines. Nous savons clairement la fonction de la parole dans la culture comorienne. Ne suffit-il pas de procéder de près à l’analyse des titres de ses œuvres ? Pendant longtemps, il a su très bien se mettre à l’écart des débats inutiles publics pour tisser l’une des productions originales de la littérature des Comores, ce n’est pas sans manque d’opinion. L’écriture a occupé tout dans sa vie ; il n’y avait pas autre possibilité de s’exprimer que littéraire – et Dieu seul sait combien le Comorien aime faire de bruit que de s’occuper de l’essentiel.

Animateur infatigable d’ateliers, car le contact avec les autres lui était plus que vivifiant. Salim Hatubou s’est employé juste pour donner à voir la richesse de notre culture dans tous ses aspects. Au-delà des photos pour dévoiler le quotidien des concitoyens d’ici et de là-bas, quel lecteur ne s’est pas émerveillé, n’a pas salivé à la découverte de A feux doux ? Notre dernière rencontre se fut dans le cadre Escales Littéraires, où avec des amis conteurs de Maroc et d’ailleurs, il était venu à la rencontre de son peuple. Pour les jeunes l’ayant connu à l’époque, l’annonce de la disparition n’est qu’un poisson d’avril.

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Ces dernières années, Hatubou a voulu construire des ponts comme pour mieux assumer sa fonction de passeur. Les conteurs professionnels ne dispensent uniquement pas des émotions, des rêves et des sagesses, ils ont pour métier d’ouvrir des portes d’entre les cultures. J’ai vécu cela avec Salim en plein mpangahari, la place publique de la médina de Mutsamudu, un soir. Une exceptionnelle soirée de contes où le tamazhekh se mêlait au comorien, univers et imaginaires en mariage. J’ai rarement vu la nuit vibrer au rythme de la parole. Transport et voyage sous le jeu du grand conteur que les Comores ont eu. Geste et gaité pour combler la vacuité formée en place et lieu qu’aucune grand-mère n’occupe de nos jours par sa voix tremblotante et cassée par l’âge.

Pour ce qui a été partagé de Saint-Denis de La Réunion à Mirontsy, Salim Hatubou reste pour moi le conteur magique à l’instar de la grand-mère de mon père par qui je tiens l’essentiel des histoires construites et déconstruites par mon imagination injuste. J’ai trouvé en sa personne la verve des conteurs anciens, habités par la simplicité et le génie de l’art de conter comme pour donner aux rêves quelque chose de naturellement indescriptible. L’absence d’un effort dans une parole découlant d’elle-même pour installer le mystère entier de la vie. J’ai alors compris le sens de cette gaité qui émanait de sa personne. Rires et présences. Timidité et hésitations dans les réponses à donner aux auditoires aimant toujours plus pour décrypter le secret des origines de la pureté quand celle-ci se donne en termes se refusant toutes les formes affectées.

Début des années quatre-vingt dix. Je me cherchais, il se cherchait aussi. La rencontre s’est opérée dans la maison des cultures – jardin de l’Etat – en plein Saint-Denis. Le manuscrit de Les contes de ma grand-mère, je crois entre les mains de Salim Hatubou. Discussion timide, mais intéressante par rapport aux rêves de jeunesses. La surprise a eu lieu des années après. Nous avions tous les deux publié.

Les dix ans de la bouquinerie d’Anjouan. La complicité de Mme Isabelle Rassinoux-Mohamed a joué le reste. Nous étions invités pour parler de livres et de lettres comoriennes. C’est à cette occasion que nous avons réellement appris à nous apprécier, à partager. Les moments pour tisser une intimité profonde se sont présentés rarement. Cependant toujours l’estime partagé…

Saindoune Ben Ali, poète.

L’image centrale avec Salim Hatubou sur Mtsangani Street est une illustration originale réalisée par Reichko (Facebook) pour accompagner les textes parus sur le blog du Muzdalifa House, en hommage à l’auteur. Les images de l’enterrement nous viennent des murs Facebook de Damed Kamardine et de El Fathou Said Youssouf.

Lire l’article de Fathate Hassan, critique, sur le site de la revue Africultures: Salim Hatubou, le temps lui était conté (1972-2015)

Lire également un entretien accordé par Salim Hatubou autour de son travail sur le conte, ainsi qu’un article de Faïza Soulé Youssouf sur son oeuvre.

Quatre textes de Salim Hatubou à lire, impérativement: « Les contes de ma grand-mère » (L’Harmattan), « Métro Bougainville… » (Via Valeriano), « A feux doux » (Françoise Fruffaut) et « Zanzibar aux Comores » (Françoise Truffaut).