Soirée du 12 juin 2015. Instants de littérature au Muzdalifa House. Les Gens du Shantiye font leur première sortie publique avec des écrits sur les frasques des jeVien aux Comores. De petites histoires sur un personnage haut en couleur du roman populaire. La prochaine livrée du collectif est prévue en fin d’année.
Les Gens du Shantiye sont un label d’écriture, rassemblant quatorze jeunes comoriens pour une année de questionnement autour du récit. Plume au taquet ! L’imaginaire sert souvent à retendre le fil entre les êtres. Les mots sont cette autre manière que nous avons, nous, humains, de conjuguer le réel, en consignant la grande et la petite histoire sur des bouts de feuille, dont le sens n’éclate que si l’on sait partager son récit avec le grand nombre. Certains de ces jeunes sont en classe de 3ème, 2nde ou 1ère, d’autres sont à l’Université des Comores ou en sont déjà partis. Tous travaillent depuis janvier au Muzdaliafa House dans un même élan sous la direction de Fathate Hassan, critique et enseignante en lettres modernes à Mvuni, et de Soeuf Elbadawi, auteur publié aux éditions Komedit et Vents d’Ailleurs. Au menu notamment : le rôle de la littérature dans la formation de l’individu, et dans son rapport au collectif.
Prise de parole d’un parent dont l’enfant participe au Shantiye.
Les premiers textes lus des Gens du Shantiye, avec Fouad Ahmada Tadjiri à la guitare, durant cette soirée du 12 juin 2015, nous parlent longuement du jeVien. Où il est dit que le jeVien est « une locution contractée, dérivée du Français, signifiant l’appartenance à une race particulière d’oiseaux migrants sur le retour. On parle du jeVien de France, de Paris, Marseille, Le Havre ou Dunkerque. Les jeVien sont des Comoriens ayant vécu ou vivant encore à l’étranger, revenant définitivement ou en vacances au pays de l’ancêtre. A la manière du bon jeReste (l’inverse du jeVien), Les Gens du Shantiye ont bien voulu tricoter leurs mots autour de cette grande figure du roman populaire ». Et ils n’y sont pas allés de main morte. Entre la nostalgie d’une fille, coiffée à la Kev Adams, enfermée dans sa bulle, « comme si ses parents en France lui manquaient, comme si elle était en exil », et « l’accent shiparshi, shiparsha » de l’homme qui « promet la Tour Eiffel » à toutes les filles, leurs histoires ne manquent pas de piquant.
L’arrogance du jeVien, son côté m’as-tu vu ou encore son Français qui suffoque : Les Gens du Shantiye se sont amusés à dresser un portrait rapide des tics du jeVien, sans oublier de dire qu’il pouvait émaner de lui une certaine humanité. Ainsi ce petit texte de M’linda Youssouf, qui précise que Kamila, son personnage en leggin, baskets, décolleté et lunettes Prada, « n’était pas aussi hautaine que certains jeVien » qu’elle connaissait. Ou celui de Saamat Mohamed Miftahou, qui, à force de partager les petits secrets de sa tante « pharmaco space », finit par oublier « qu’elle est une jeVien de ». Drôle d’histoires pour un début de chantier, mais cette première étape devait surtout servir à éprouver la nécessité pour chacun d’ancrer son écriture dans le réel. Chaque participant au projet se devait de raconter un fragment de vie provenant de son quotidien, afin de mieux s’approprier la question du récit. Exercice de style, sans doute, mais qui n’annonce que du bon pour la prochaine étape, axée sur l’écriture au creux de l’intime. Pour des plumes qui n’ont jamais servies, bien avant cette expérience, ces petits textes sont un premier pas, qui reste à confirmer, sur le long terme.
Lors d’une rencontre autour du Shantiye au Muzdalifa.
Les Gens du Shantiye envisagent ainsi de publier une série de textes, à la suite de leur work in progress, l’an prochain. Pour l’instant, ils se contentent de murmurer des questionnements liés à leur passion naissante. Ainsi pour Anfiat Mohamed, l’écriture reste une façon de dire ce qu’elle ressent et de « comprendre l’autre ». Nahida Mohamed Soilih, elle, parle de ses propres réticences, des longues heures passées à creuser les murs du langage, de la fatigue accumulée durant les 8 séances d’ateliers, enregistrées de janvier à juin par le groupe. Des moments intenses durant lesquels il a été aussi question de se vautrer dans les livres, de nourrir son imaginaire. Elle avoue : « L’idée d’abandonner le SHANTIYE m’a traversé l’esprit, quelques fois, mais celle de découvrir de nouvelles choses a vite pris le dessus. Au jour d’aujourd’hui, je ne regrette pas mon choix de rester dans le groupe. Car je suis satisfaite de ce que j’y apprends. » Pour Bourhani Hishma Vola-Justine, l’écriture libère et apporte une assurance certaine : « Il fut un temps où m’exprimer était une étape difficile. Je n’arrivais pas à traduire les images, en moi, en mots, pour me faire comprendre. » Pour Farouk Bakari Ali, il s’agit de questionner (avant tout) son rapport au monde. Il parle volontiers du « miroir critique », et déclare, simplement, que l’écriture est « l’art de mettre des mots sur [sa] réalité ».
Un dernier mot pour clore cette revue de la soirée du 06 juin 2015 au Muzdalifa avec Mishra Mohamed Maanrouf dont le jeVien est une vraie caricature de cinéma : « Cheveux lisses, teint marron et yeux étincelants. Démarche de Dj, il se prend pour une star. L’allure se veut élégante. Il cherche toujours à se faire des amis, aime beaucoup la plage et adore s’amuser. Tout le monde le dit intelligent, instruit, curieux, du genre à toujours chercher l’ultime explication. Pourquoi ceci, pourquoi cela ? En fait, je le trouve snob, vaniteux, arrogant, du genre à agacer. Moi je, moi je, moi je. Souvent, il se touche la tête pour voir si ses cheveux ne sont pas défaits. Le vrai jeVien en vacances dans toute sa superbe. Ses habits ne doivent pas prendre la poussière…»
MH
Les textes des jeVien du Shantiye sont téléchargeables (notre supplément n°6), pour ceux qui veulent découvrir l’univers en construction de ces jeunes pousses en écriture, dont l’âge se situe entre 13 et 20 ans : Supp MH GS 15 K.