Petite conversation avec Mohamed Toihiri

En 2015, les Comores célèbrent les 30 ans de La République des Imberbes[1], premier roman paru d’expression française dans le paysage littéraire de l’archipel. L’occasion pour les membres de Kilabu la Maandzishi, le club de lecture du Muzdalifa House, de converser avec son auteur, Mohamed Toihiri, consacré père de la nouvelle littérature comorienne, depuis. Extraits[2].

En 1983, l’ASEC a publié un recueil de nouvelles dans une perspective militante, où se confondent nation et reconnaissance. Est-ce que vous aviez les mêmes questions pour la parution de La République des imberbes ?

Je ne pense pas. Je ne me rappelle pas de ce qui a été publié par l’ASEC en1983. Mais j’avais toujours eu cette envie d’écrire. J’écris depuis très longtemps. Je me rappelle d’un premier texte que j’ai écrit au CP et que j’ai intitulé Le petit voleur, parce Mohamed Taki, un cousin, chapardait. C’était au CP1-CP2. En 1973, j’étais en classe de 1ère. Je partais à Madagascar pour aller voir mon père. Car j’allais passer mon bac en 1974 et partir en France, comme vous le savez. J’ai écrit sur ce voyage, depuis le moment où on a pris le bateau jusqu’à Majunga, le camion, de Majunga à Tana… Donc le désir d’écrire, je pense que ça me travaillait. Il se trouve qu’en 1982, lorsque je suis arrivé, j’ai été affecté à Anjouan. Après mes cours, j’étais libre. Je ne connaissais pas beaucoup de monde, des gens avec qui discuter. Donc j’écrivais, et je me disais que ce sujet, ce qui s’était passé aux Comores à l’époque (d’Ali Soilih) méritait d’être romancé. C’est pour ça que j’ai décidé d’écrire ce roman. Mais ce n’est pas du tout l’influence de l’ASEC.

Comment le roman a été accueilli à sa sortie ?

Je me rappelle de deux réactions très vives. Il paraît que le grand mufti – c’est Damir Ben Ali qui me l’a rapporté – Saïd Mohamed de Hahaya a dit que j’irai en enfer pour avoir écrit ce livre. Et je me rappelle qu’en France, lors de bals (communautaires), j’ai failli me faire battre par des partisans d’Ali Soilihi. Il y a aussi la réaction d’un journaliste réunionnais, qui, semble-t-il, ne m’a jamais, jusqu’ alors, pardonné d’avoir écrit ce livre sur le régime. S il me trouvait, il me fusillerait. Il y a aussi ceux qui appréciaient le livre. Mais je sais qu’il a suscité beaucoup de réactions, aussi bien positives que négatives. Comme quoi je parlais non seulement d’Ali Soilihi, mais aussi des gens, donc il ne fallait pas. J’avais le malheur, effectivement, d’être le premier. Je ne le savais pas. Les gens n’avaient peut-être pas l’habitude de lire des choses comme ça. Ils l’ont mal pris, surtout les membres du parti d’Ali Soilih. Je me rappelle qu’à Bercy, là ou on organisait les bals des Comoriens, je me faisais accompagner, quand j’y allais, parce que je savais que j’allais toujours me faire attaquer. Je le voyais de loin… Comment ils me regardaient… Comment ils voulaient me cherchaient des noises…

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Pourquoi choisir Pierre Verin, anthropologue, comme préfacier de La République des Imberbes ?

C’est très simple. Il s’avère que Pierre Verin travaillait à l’Inalco, que ma femme, qui venait aussi d’arriver en France, à cette époque, était à l’Inalco. Puis, je pense que la stature intellectuelle de Pierre Verin me poussait à le voir comme quelqu’un pouvant écrire cette préface. Il connaissait les Comores. Je ne sais pas s’il n’avait pas travaillé un peu à l’ambassade de France à Moroni. Il y avait toutes ces raisons. Je me suis dit qu’il pourrait dire quelque chose sur les Comores et sur moi-même, parce qu’il me connaissait, et il me connaissait aussi à travers ma femme.

Pourquoi ce choix de la satire pour votre premier roman ?

Je ne sais pas. C’est un style… C’est un roman qui pourrait être historique. Mais cette période, je ne l’ai pas vécu. Je n’étais pas du tout aux Comores à l’époque où je situe l’histoire. Il y a des gens qui disent : « oui tu as mal … », je dis oui… Je l’ai fait exprès. C’est un roman. Je n’étais pas obligé de dire la vérité. Ce qu’il y a là-dedans, ce sont des inventions, mais qui partent, bien sûr, d’une certaine réalité.

Pourquoi l’idée du flash-back pour mettre la vie de Guigoz en scène ?

Il raconte sa vie après qu’il se soit fait arrêter. C’est ça que vous appelez flash–back ? C’est une forme romanesque. Effectivement je me suis dis qu’il est plus tranquille pour lui de revoir sa vie à ce moment-là. J’ai aussi entendu dire, je ne sais pas si c’est vrai, qu’on voit toujours notre vie quelques instants avant que l’on disparaisse. Je me suis dis que ça serait intéressant de faire voir la vie de Guigoz au moment où il est en prison. Lui, il ne sait pas qu’il va mourir. Mais là il est en prison. Il peut bien réfléchir à tout ce qui s’est passé, à tout ce qu’il a dit, à tout ce qu’il a fait, à tout ce qu’on a dit qu’il a fait, parce qu’il y a des choses qu’on a dit qu’il a fait, mais qu’il n’a pas fait…

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Si vous deviez écrire une suite à La République des imberbes, parleriez-vous de guigoz en bien comme vous le faites dans Le Kafir du Karthala[3] ?

Je ne sais pas si je parle de Guigoz en bien dans Le Kafir, parce que Le Kafir se situe à une époque plus récente que celle de Guigoz. C’est tout à fait autre chose. M ais je pense que non. En tant que romancier, je ne dirais rien de contraire à ce que j’ai dit de Guigoz dans La République. Par contre, si tu me poses la question par rapport au réel, je parlerais peut-être en bien de l’homme que l’on considère comme étant Guigoz.

Dans Le Kafir, il y a une évocation de Guigoz, mais il n’y a pas un développement profond de sa situation. Je n’y ai rien dit qui soit contraire par rapport à ce que je dis dans La République.

Le Guigoz de La République est bien le même que celui du Kafir ?

Absolument ! Il y a des romans où un même personnage peut agir. Guigoz n’agit pas ici, mais il y a des romans où opère un même personnage.

Nous constatons que Le kafir du Karthala, contrairement à La République des Imberbes, ne contient pas de préface…

Quand on écrit pour la première fois, on a peut être besoin d’une certaine signature, d’un certain appui. Mo, je n’étais même pas sûr que le livre serait être édité. En 1985, la situation était assez difficile dans ce pays. Il y avait les mercenaires qui arrêtaient pratiquement tous les intellectuels aux Comores. A cette époque, je travaillais comme directeur de l’enseignement et j’avais une mission. Je devais aller en France pour recruter des professeurs. Je suis parti au mois de mars pour revenir au plus tard début avril, mais je ne suis revenu qu’en 1989, en vacances. En fait, il y avait eu une tentative de coup d’Etat contre les mercenaires. Donc il y avait eu beaucoup de monde arrêté parmi les intellectuels. A l’époque, j’habitais au lycée. Mon voisin a été arrêté. Un autre voisin, également. Et les gens m’ont alors dit : « ne reviens pas, on te cherche ». En réalité, on ne me cherchait pas, mais je suis resté là-bas. Je suis resté en France, et comme le roman était fini, j’en ai profité pour le publier en 1985.

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Quel écho aviez-vous du régime soilihiste, dont vous vous êtes inspiré pour La République, à l’époque où le mongozi était encore vivant? Vous étiez en France…

Je citerais deux exemples. En 1975-76, Ali Soilih a envoyé 2 personnes en France pour nous demander de partir tous en Afrique. Pour y faire nos études. Il y a des pays africains qui étaient effectivement prêts à offrir des bourses à des étudiants comoriens. Et il y en a beaucoup qui sont partis. Au Congo Brazzaville, au Bénin. Il y en a plusieurs. Moi, j’ai refusé et je n’étais pas le seul. Je préférais faire lettres à Bordeaux plutôt qu’au Bénin. On nous a coupé la bourse, bien sûr, dès qu’on a refusé de partir. Cela concernait tous ceux qui sont restés en France. Pour la première année, en 1974-75, nous étions boursiers de l’Etat français, parce que nous étions encore sous colonisation. En 1975, nous avons pris notre indépendance. Il fallait se rendre en Afrique pour bénéficier d’une bourse de l’Etat comorien. Ceux qui sont restés en France ont donc perdu leurs bourses. Nous avons dû travailler. Heureusement, il y avait du travail pour els étudiants à cette époque. On travaillait, puis on allait à l’école.

Donc le milieu étudiant ne parlait pas d’Ali Soilih à cette époque ?

On en parlait. Mais on ne voulait pas suivre ce qu’il disait. On n’était pas d’accord avec lui. Et puis j’étais dans une association, l ASEC, qui était contre à ce que préconisait Ali Soilih.

Propos recueillis par R. Maulida, S. A. Mohamed, A. M. Ben Cheikh & N. Ibrahim.

[1] Editions de l’Harmattan.

[2] L’intégralité de cet entretien est à retrouver dans Les Bruts du Muzdalifa House/ Carnet I, parution prévue en décembre 2015.

[3] Egalement aux éditions L’Harmattan, en 1992.