Mercredi 26 août 2015. Au Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal. Lors d’une répétition du spectacle Après la peur, nouvelle création de Armel Roussel, de la compagnie [e]utopia. Notes prises par le reporter Nicolas Hubert pour le blog du spectacle. Il suit le travail, jour après jour, des 12 chambres prévues pour cet ambitieux projet, dont celle écrite par Soeuf Elbadawi, intitulée BANALITES D’USAGE UN MUSULMAN DE MOINS. La première est prévue ce 1er septembre 2015.
« Je rejoins Soeuf Elbadawi et Julien Jaillot, avec qui j’ai rendez-vous pour suivre les répétitions de la chambre BANALITES D’USAGE UN MUSULMAN DE MOINS Je les retrouve dans la cuisine du théâtre, ou une partie de la troupe profite de la pause de mi-journée pour se restaurer. Soeuf et Julien mettent une option sur la salle Jutra pour répéter durant une heure ou deux, l’équipe de Ghost song se rabat sur les loges pour se réunir. »
LA 7ème CHAMBRE SUR LES 12. « Écrite par Soeuf et conceptualisé par Armel, la chambre BANALITES D’USAGE UN MUSULMAN DE MOINS aborde les questions du rapport à l’autre. Si la pièce parle de l’Islam, cela n’en est pas le sujet principal mais un prétexte pour évoquer les relations entre individus. La chambre fait ainsi écho à des questions identitaires, mais simplement par périphérie, elles ne sont pas projetées par le questionnement soulevé par le texte. Ce dernier se concentre sur la distance et les peurs pouvant s’installer entre deux univers, distincts par les représentations sociales ou culturelles et pouvant en même temps évoluer au sein d’un espace géographique commun. »
UNE HISTOIRE D’EPOQUE. « Entre fantasmes et clichés, la chambre met en scène deux personnages paumés. L’un cherchant à s’effacer, l’autre à affirmer sa particularité culturelle. Les troubles ou malaises pouvant naitre par le vécu de certains événements sont ainsi abordés comme des conceptions fantasmagoriques, imaginées, qui engendrent une remise en question de l’individu et de sa propre place au sein de son environnement sociétal. La réalité vécue par les individus tend ainsi à tronquer ses perceptions. Les aprioris et préjugés sont des ressentis réellement vécus par les personnages de la chambre. Mais cette projection de la peur de l’autre est générée par des perceptions faussées, par une fiction qui influe sur la réalité des rapports sociaux. »
L’AUTEUR DU TEXTE. « Soeuf Elbadawi est un comédien d’origine et de nationalité comorienne. S’il fait le choix de conserver cette identité, cette dernière ne représente pas un marqueur exclusif pour lui. Elle représente au contraire de multiples possibilités d’appartenance. Soeuf rejoint le monde du théâtre dès l’enfance, sur un malentendu. Il pensait aller au théâtre pour faire le spectacle et s’aperçoit peu à peu que sa passion devient une nécessité, un médium lui permettant de s’exprimer. Deux choses l’intéressent particulièrement : les médias et tout ce qui a trait à la création. À partir de l’adolescence, il commence à penser qu’il ne pourra rien faire d’autre de sa vie. Il rencontre des personnes qui en vivent, qui l’influencent et lui apprennent les rudiments de la scène. »
RETOUR SUR PLATEAU. « Après une pause de plusieurs années, il lâche tout pour revenir au théâtre. Il éprouve alors la nécessité de dire le réel autrement, avec d’autres mots. La pièce Pop d’Armel Roussel le touche. Il continue de suivre le travail du metteur en scène pendant plusieurs années, avant de l’approcher et de lui faire part de sa volonté de travailler avec lui. En 2014, Armel lui propose de faire un bout de chemin avec lui en rejoignant le projet Après la peur. Cette expérience lui oblige à appréhender son travail d’une manière différente. Cela fait plusieurs années que Soeuf essaye d’écrire sur l’Islam. Son intégration au projet lui permet d’ouvrir une porte sur ce sujet, de trouver la juste manière d’évoquer cette thématique tout en restant proche de la question du rapport à l’autre, un thème qu’il manie depuis plusieurs années. »
EXTRAIT 1 EN REPETITION. « J’ai vécu des choses, au cours du voyage […] J’appelle ça le principe de la file de droite. Je vous explique. Vous vous présentez à une frontière. Vous faites la queue comme tout le monde. Et tout d’un coup arrive un monsieur, qui vous désigne très sérieusement la file d’à côté, après avoir regardé, d’un air suspicieux, votre pièce d’identité. Moi, en plus, j’ai la particularité d’avoir une identité interchangeable. Selon la frontière, je suis… ou le Comorien… ou le noir… ou l’Africain… de pays pauvres, bien sûr… ou encore le musulman ».
EXTRAIT 2 EN REPETITION. « Je nous écoute parler, tous les deux, et je repense à une chanson, que j’ai écrite à la suite de ce Moroni Blues/ Chap. II. La chanson s’appelle Shamsi na mwezi. Shamsi veut dire soleil. Mwezi, lune. Les deux, le soleil et la lune, se battent contre le vent mauvais, s’étripent même… dans l’enfer des villes. Et ils sont pris entre deux feux… entre ceux qui se disent de souche, et ceux qui se pensent en pièces rapportées. C’est l’histoire de ma ville. C’est aussi l’histoire du monde… notre histoire… »
À L’ISSUE DE LA REPETITION. « Denis Laujol, en tant que regard extérieur, souligne que l’exercice n’est pas sans risques. Il existe un réel danger à s’engluer dans l’animosité, à être débordé par les interrogations et les réactions du public. L’équipe doit faire un choix dans le déroulement de la chambre, laisser plus d’espace à l’interaction avec les spectateurs ou les orienter sur le texte. Il est alors nécessaire pour l’équipe de trouver des astuces afin de laisser libre cours à l’envie d’expression du spectateur sans sortir du déroulement de la chambre. »
Reportage photos et texte de Nicolas Hubert
Lire aussi deux articles sur le net consacré au spectacle: « Road-trip, Shungu et teen movie » de Célia Sadaï sur le site de la revue Africultures et « Francophonies en Limousin: Soeuf Elbadawi ou un musulman de moins au programme de la 32ème édition » de Nassuf Djaïlani sur le site de la revue Project-iles.
Après la peur d’Armer Roussel a joué à Montréal au Québec au Centre du théâtre d’Aujourd’hui, à Thionville au Festival Court Toujours et à Limoges aux Francos en France, puis à Bruxelles au Théâtre des Tanneurs en Belgique. Plus d’infos sur le spectacle, se rendre sur le blog du spectacle.