Shungu live aux Francos

Six auteurs et un musicien, venant de Suisse, du Québec, de Madagascar et des Comores, réunis pour un shungu aux 32ème Francophonies en Limousin ce 28 septembre 2015. Julie Gilbert, Jérôme Richer, Marie Fourquet, Marc-Antoine Cyr, Jean-Luc Raharimanana, Soeuf Elbadawi et Fouad Ahamada Tadjiri. Ces auteurs s’expriment sur leur réel et sur le monde. La parole d’une fratrie en émergence.

On se souvient du livre paru chez Komedit, l’an dernier. SHUNGU Un festin de lettres. Maintenant, la parole se poursuit sur un plateau. Un shungu live en devenir. Lundi 28 septembre, ils étaient sept au Théâtre de l’Union à Limoges. A l’occasion des 32èmes Francophonies en Limousin. Pour dresser une table, partager leur banquet de mots et échanger avec leur public. Il y avait une boîte, en effet, où ce dernier pouvait à son tour offrir ses mots, afin de prendre part au grand shungu à venir. Une dynamique, qui ne fait que commencer, comme l’explique Soeuf Elbadawi, auteur des Comores, en début de set : « chacun apporte à égalité/ ses mots les siens les miens/ les leurs les vôtres/ sans aucun doute/ ceux que nous dirons/ ceux que vous écrirez/ et ainsi nous aurons des réserves pour après/ l’histoire ne fait que commencer par nos mots ».

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Marc-Antoine Cyr, du Québec, imagine un rivage, une fin de nuit, sur des embarcations imaginaires : « nous voguions en rêvant d’un littoral. Nous n’étions pas de nulle part, nous savions qui nous étions. Mais il nous fallait un port, ailleurs. Une marée assez puissante pour nos pensées déferlantes. » Un quai où s’arrimer, sur lequel l’espérance règne en maître, d’après Jérôme Richer, auteur venu de la Suisse : « Si je laissais la peur, la lâcheté, guider mes pas, je renoncerais à l’espoir/ Et en renonçant à l’espoir, je renoncerais à la vie ». Jérôme est de ceux qui pensent l’indignation comme une règle. Car il dit et affirme que « l’homme qui s’immole en signe de protestation est un révolutionnaire ». Il cite Pier Paolo Pasolini : « Je sais que l’engagement est inéluctable, et aujourd’hui plus que jamais. Je vous dirai que non seulement il faut s’engager dans l’écriture, mais aussi dans la vie ». Traduit en français et repris en langue shikomori dans le texte.

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Les mots font ainsi corps dans le cercle. Car faire shungu revient à faire cercle. Ce que raconte si bien Marie Fourquet, auteure, elle aussi venue de Suisse : « Nous étions tous arrivés très lourds depuis chez nous. Farouches, méfiants. On n‘a plus l‘âge des utopies. On fait ce qu‘on nous dit mais on diminue nos attentes pour bloquer la déception. Comme on bloque les larmes d‘un chagrin par fierté. Le cercle s‘est assemblé par lui-même. C’est arrivé. Ça nous a échappé. A notre insu. Sans réelle maîtrise. Sans performance. Sans volonté de faire le plus beau cercle. Le dessin a pris forme. De lui-même. Rien de magique, ni de miraculeux. Parfois, ça se produit. Rarement. Nous le savons trop. » A quoi Fouad Ahamada Tadjiri, guitariste, des Comores, répond par une incantation de poète : « Partir du shungu pour renaître de nos laves. Renaître en fratrie. En famille. Plus unis. Plus forts que jamais. » Marie Fourquet, prête pour une insurrection, après un café, bien sûr, déclare aussi que « pour accueillir toute la souffrance du monde, il faudrait la laisser me traverser, la recevoir entière et en extraire suffisamment de révolte pour agir. »

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Ce shungu live résonne en utopie, bien que le mot « insurrection » interroge encore Raharimanana, auteur de Madagascar : « Pendant mon adolescence à Madagascar, dit-il, les années de lycée, tous les matins étaient des matins d’insurrection. Et bien souvent, dans la rue, avec d’autres manifestants, nous avions en face de nous les militaires, armes chargées, tirs à balles réelles. Je n’avais pas ce mot insurrection en bouche, j’avais juste le refus vissé au corps. Je ne suis pas tombé quand d’autres le sont. J’ai pris alors mon stylo et j’ai continué à porter le refus. Mais que sont les mots ? Et qu’est-ce que le refus ? Doit-on rester seulement dans le refus et garder la place de l’insurgé ? C’est-à-dire du dominé ? Quelle insurrection peux-tu faire seul ? Quel est ce matin où tu entreras dans le pouvoir d’inventer ? Et de sublimer la vie pour entraîner d’autres avec toi ? » Derrière les mots, l’intelligence du verbe qui secoue l’horizon, en quête du feu qui brise l’adversité. Derrière les mots, le sentiment que l’indifférence demeure le pire ennemi à abattre : «  Et tu regardes des gens flotter dans la méditerranée. Tu vas tranquille au boulot, ton arme n’a pas pété mais elle a tué. Sans déflagration. » IMCPEAN2

Le shungu serait-il vraiment « un matin d’espérances » comme voudrait l’imaginer Soeuf Elbadawi ? Les phrases et les idées résonnent ici en appel. Marc-Antoine rêve tout haut d’une vie sur terre plus douce, où « le monde n’aurait plus besoin que des cerveaux intermittents se torturent à inventer de la beauté, là où il en manque » A faire de l’art. Julie Gilbert, auteure de Suisse également, s’inquiète, aux côtés de Marie Fourquet, du chœur des fauves, niché en nous. Elle veut « croire que les poètes nous sauveront », avec leurs histoires devenues « lances » ou « terres de résistances ». Elle est sereine : « C’est vrai les amis, j’avais fantasmé un titre. L’insurrection qui vient. Fantasmé une utopie. Non pas comme une prise d’armes, mais comme la vision fugace d’un groupe. Ce shungu ? Un groupe de réinvention, armé de poèmes ? Un groupe non groupé, peuplé de poèmes. Un groupe de gens, qui, là, maintenant, après le café, Marie, voudraient inventer un paysage assez beau pour qu’on puisse vouloir y vivre à nouveau. » A sa racine en rhizomes, le shungu annonce la quête d’une forme d’humanité, un désir de l’autre, à retrouver sur les routes, une nouvelle « fratrie en émergence », comme l’écrivait la critique Fathate Hassan sur Africultures, en parlant de shungu-monde, en écho au livre Shungu Un festin de lettres, paru aux éditions Komedit. Sept poètes à l’Union, ce 28 septembre 2015, pour le dire, à l’occasion des 32èmes Francos en Limousin. Julie Gilbert a certainement raison. Même nous, « public », on veut y croire, à cette idée, que les « poètes nous sauveront ». Il reste tellement d’histoires à écrire. Au prochain shungu, nos mots, enfouis dans une boîte sur la scène du Théâtre, viendront, selon les auteurs, s’ajouter aux leurs, pour reconstruire cette foi en l’homme, qui, parfois, nous manque. Les hommes ne sont pas que des « loups », nous disent ainsi les auteures suisses.

Marine

Lien vidéo sur un entretien accordé par Jérôme Richer à Théâtre contemporain, lors du shungu live de Limoges.

A télécharger les suppléments 7 et 4 du Muzdalifa House : Festin de mots pour un shungu ( Supp MH FMS 15 ), avec des textes des auteurs présents au shungu live de Limoges, et Petites histoires de shunguSupp MH PHS 15 ), sur l’histoire même de cette aventure shunguesque. Le prochain rendez-vous est prévu à la librairie Folies d’Encre à Saint-Denis, en région parisienne, le 10 octobre 2015.

Shungu un festin de lettres, co écrit par Julie Gilbert, Marie Fourquet, Marcelle Dubois, Marc-Antoine Cyr, Raharimanana, Bibish Marie-Louise Mumbu, Papy Maurice Mbwiti et Soeuf Elbadawi, est disponible aux éditions Komedit, à Moroni. A commander sur le net ou en librairie. Lire l’article de Fathate Hassane sur africultures: Un festin de mots pour un shungu-monde.

Remerciements à Christophe Péan, photographe du festival, pour ces images du shungu au Théâtre de l’Union.