Une pétition en ligne, récemment lancée par le FASTI, rappelle la difficulté avec laquelle la société civile rame à faire entendre sa voix sur la suppression ou non du Visa Balladur dans les eaux comoriennes. Celle-ci rappelle une autre tentative, initiée par un artiste, Soeuf Elbadawi, dans le but de rendre hommage aux victimes du visa, l’an dernier.
C’était en novembre 2014. Soeuf Elbadawi voulut ériger une stèle sur la Place de France à Moroni, en hommage aux victimes du Visa, avec l’autorisation de la mairie. La gendarmerie nationale, sous la direction du lieutenant-colonel Rafick Abdallah, vint interrompre les travaux sur la place, prétextant des mesures de sécurité routière, pendant que Djouhoud, préfet du Centre et premier flic de la ville, avança des raisons de sécurité nationale pour clore le dossier. L’artiste essaya d’expliquer son geste dans les médias. La nécessité d’honorer la mémoire et le deuil des victimes n’interpella pas grand monde aux Comores. Même le ministère de l’intérieur, qui, sous les ordres de Ousseine Hassan, encouragea à réaliser son projet, à l’époque, se tut.
Quelques citoyens seulement s’exprimèrent sur les réseaux sociaux et condamnèrent la compassion à géométrie variable, autorisant de nombreux Comoriens à parler des tragédies d’ailleurs, mais jamais des leurs. Sur cette même Place de France se trouve en effet un emplacement réservé aux soldats disparus, lors de la deuxième guerre mondiale. Un peu comme si les alliés politiques de la France aux Comores ne voulaient pas d’un débat sur les nouveaux sacrifiés de la France dans l’archipel. Une situation, méritant probablement d’être discutée par ceux qui se font les dépositaires d’une histoire nationale ou de l’archipel. C’est peut-être pour cette raison que Soeuf Elbadawi, auteur d’un texte sur la question, paru aux éditions Vents d’Ailleurs (Un dhikri pour nos morts la rage entre les dents), primé par la région Ile de France en 2014, en réaction contre le silence imposé à Moroni, a initié cette pétition sur le net. Sur Avaaz.org. Pour sensibiliser et mobiliser au nom du droit et de la mémoire.
L’endroit de la stèle. Sur la Place de France à Moroni.
« La pétition a généré très peu de signatures. Beaucoup de Comoriens sont sur le net, mais peut-être que la question politique ne les intéresse que lorsqu’elle permet de s’invectiver dans l’anonymat des forums. Une pétition pourrait ne pas être une simple affaire de clic. Elle pourrait déboucher sur une promesse d’engagement. La nôtre n’a servie que qu’à donner bonne conscience à certains d’entre nous » dit-il. L’impact d’un tel exercice sur les hommes politiques n’est pas garanti, non plus. « Est-ce qu’ils vont vraiment sur internet ? La plupart ne se rendent que sur leur propre site pour faire de l’auto promotion et y étaler leur haine des autres. Et non pour défendre un destin commun ». Le faible nombre de signatures généré oblige à réfléchir sur la vanité d’un tel geste. « Sur le net n’existe même pas une communauté d’esprit capable de susciter un véritable changement dans ces îles ». Au final, l’idée de la pétition instruit une indignation sans lendemains, ni prolongement possible.
« Une pétition en ligne est synonyme de démocratie connectée. Mais on peut se demander si les gens peuvent croire encore à la puissance d’une pétition. En réfléchissant bien, je crois que le silence sur les victimes de ce Visa cache quelque chose de plus profond, quelque chose que l’on n’arrive pas à nommer, quelque chose qui trahit notre faiblesse face au casse-tête colonial. Il y a comme une résignation dans l’air, qui nous donne la sensation d’un débat inutile, tellement l’adversité est écrasante » confie Soeuf Elbadawi. « On devrait commencer par discuter cette limite. En tous cas, si c’était à recommencer, je n’envisagerais pas de stèle, ni de pétition. Je commencerais par demander aux gens ce qu’ils veulent. Ça se trouve, le sujet leur pose problème, parce qu’elle traduit leurs incapacités, leurs limites et leurs peurs. C’est cela qui crée tant de malaise à mon avis. ». Les Comoriens savent que le règlement de la question française sur leurs terres n’est pas pour demain. Les lois du monde, y compris la vingtaine de résolutions prises aux Nations Unies en faveur des Comores et contre l’occupation française de Mayotte, ne sont pas conçues pour servir les intérêts d’un petit pays du Sud.
Lancement officiel du projet de la stèle en juin 2014, lors du Festivald es Arts et de la Culture des Comores.
Il faudrait de la ruse en plus. Pour pouvoir interpeller la communauté internationale à nouveau et parvenir à perturber le jeu. Une nouvelle approche du problème s’impose. Mais tout se passe comme si la meilleure défense de cet archipel était « le silence convenu ou contraint ». La poignée d’hommes qui se mobilise autour des victimes du Visa se contente, aujourd’hui, de dénoncer, quand ils ne « communautarisent pas la question ». L’Etat comorien l’a prouvé plus d’une fois. Il n’est pas à la hauteur du problème. Des citoyens peuvent nénmoins imposer une donne nouvelle, en s’organisant autour de la question. « Pour en décrypter les enjeux, les expliquer à la population, dans son ensemble, et instruire une parole commune contre l’adversité. Le cas du Burkina devrait nous servir de leçons » ajoute-t-il. « Mais est-ce que les gens le veulent vraiment ? Je commence à en douter. A Moroni, on s’indigne pour Charlie ou pour les attentats du 13 novembre à Paris. Ce qui nous grandit, d’une certaine manière. Mais nous semblons d’avoir de la compassion pour nos propres morts. N’oublions pas que cette seconde pétition en ligne contre le Visa Balladur est l’œuvre du FASTI. Ce ne sont pas des Comoriens, mais des amis français de Comoriens qui se battent pour le droit et la justice. On pourrait tous capitaliser nos forces, eux, nous et d’autres. Imaginez que chaque citoyen indigné par cette histoire en emmène quatre autres à se mobiliser autour de lui, pétition ou pas. Vous imaginez le résultat ? » Entre Anjouan et Mayotte, la tragédie continue à faire son lot de morts. Mais la difficulté à fédérer les actions des uns et des autres, bien illustrée à travers l’histoire de ces pétitions en ligne, montre bien les impasses à contourner pour que le scandale éclate au grand jour.
M.
La FASTI (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s) rassemble une soixantaine d’associations (les ASTI) sur l’ensemble du territoire français pour des actions quotidiennes de solidarité et de lutte avec les personnes étrangères. La FASTI se bat pour l’égalité des droits et pour la liberté de circulation et d’installation de tou-te-s. Plus d’infos, se rendre sur leur site.