Un opus de dernière génération, typique d’un paysage littéraire à compartiments multiples. Les Comores naviguent entre les cendres fumantes d’une oraliture remontant jusqu’à 3.000 ans avant J.C et le souffle chaotique d’une écriture francophile en quête de seconde vie depuis 30 ans. Entre deux poétiques sous tutelle : La vie, cet exil, récit publié aux éditions Komedit, signale l’existence dans cet univers insulaire d’un jeune auteur, Oluren Fekre. Entretien.
La vie, cet exil…
Je poursuis le travail entamé avec la nouvelle Je dois m’acheter un mari. En développant des personnages de Comoriens vivant dans l’ici occidental. Dans mon premier texte, il était question d’une jeune femme née ici, bien intégrée selon la formule consacrée et qui subit un rappel identitaire de la part des siens. Pour ce texte-ci, qui a l’apparence d’une nouvelle, taille XL, il s’agit d’un jeune Comorien non français, qui vit historiquement l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles et qui est confronté à la question du retour chez lui. Une voix féminine, une voix masculine, en attendant le prochain texte qui sera beaucoup plus ample.
L’histoire s’entame sur une dispute en France autour du 21 avril, à l’occasion du match électoral Jacques L’Aimant et Jean-Marie Belzébuth (l’allusion au Chirac-Le Pen du 21 avril 2002 en France est donc claire), une dispute entre le narrateur et sa muse proclamée, entre le cynisme et la vertu incarnée…
Une dispute entre deux amants sur un sujet très prégnant dans la France des 30 dernières années. Celui de l’extrême-droite et de la meilleure façon de le combattre. Sauf qu’ici, dans cette scène précise, on a un aperçu de ce qui peut agiter le bocal de personnes vivant en France et non blanches. Cynthia, comorienne née en France, a intégré le rituel de la manifestation traditionnelle anti FN, avec la vertu portée en bandoulière, où la bonne gauche vient donner des leçons de morale citoyenne au reste de la population. Son amoureux, Malik, né ailleurs, est sur un autre mode de pensée, concernant le monde politique. Il est désabusé, il est cynique.
Présentation du livre d’Oluren Fekre lors du Washko Litt. du 26 mars 2016 à Saint-Denis
Histoire d’un homme rempli d’amertume, sombrant dans ses pensées noires ? Histoire d’un homme cynique, qui ne croit plus en rien ?
Malik est un produit de l’époque. Ils sont de plus en plus nombreux, ces jeunes, qui ont une vision froide des événements socio politiques agitant leurs pays. Il suffit de suivre ce qui se dit sur ces dazibaos virtuels que sont les réseaux sociaux pour se rendre compte du cynisme grandissant. Le phénomène n’est pas nouveau, il est juste plus répandu. En effet, en Europe, par exemple, les punks, le mouvement no future des années 1970-1980, le montre assez bien. On désacralisait les icônes, notamment les politiques et leurs paroles. Aujourd’hui, sans que ce soit aussi bien articulé politiquement qu’à cette époque, dans une large part de la jeunesse, cette façon froide d’appréhender les événements, iconoclaste, est une « qualité » de plus en plus répandue.
Malik est venu des Comores pour se former en France, vit à Saint-Denis, banlieue parisienne, qu’il assimile à une « remise ». Est-ce qu’il n’est pas l’expression d’un échec ?
C’est une interprétation possible. Dans mon texte, je dessine les personnages en pointillés. Je donne quelques éléments sur la vie des gens, mais je laisse le lecteur compléter le tableau. Ce n’est pas un roman social, ce n’est pas une monographie sur la relégation sociale, qui est réelle dans la société française, concernant certaines catégories sociales. Ce qui a donné les émeutes de 2005. J’ai conçu ce texte comme un roman « caméra embarquée » dans le cerveau d’un jeune homme qui vient de vivre une rupture amoureuse et qui puise dans sa culture de lecteur compulsif (chose que l’on devine) des éléments pour appréhender sa situation à cet instant « T ». En filigrane, en surimpression, on devine le désert affectif et social qui l’entoure. Mais c’est moins la résultante de politiques publiques inexistantes que de configurations familiales dans lesquelles le lien est quasi inexistant.
Avec le mbandzi mwendedji Absoir lors du Washko Litt. à Saint-Denis
Malik se méfie des valeurs autoproclamées du vivre-ensemble, pourfend les idéaux communautaires affichés par les siens, s’en prend à la médiocrité des siens…
C’est le moment où mes convictions propres rejoignent celles du personnage. Nous sommes dans le registre du cynisme ou de l’analyse critique sans affect. Certains jeunes qui montent depuis 20 ans sont de plus en plus affûtés dans cette forme d’interrogation de l’alentour socio politique. Et en 2002 comme en 2016, la société française a perdu le nord, n’est pas claire avec ce qu’elle veut pour toutes les composantes de cette nation. L’inexistence dans le cheptel politique actuel d’hommes de la trempe d’un De Gaulle ou d’un Mendes France n’arrange rien. Dans cet état des choses où le dessein national est flou, nous vivons petitement. Quant au « haut du panier » des minorités dites visibles, il laisse sur leur faim les jeunes qui lui ressemble et qui mettent beaucoup d’espoirs en lui. En gros, on n’a pas eu notre Obama. On peut faire la fine bouche, mais la présidence Obama en 8 ans a montré que un homme politique pouvait être sérieux, technique, froid, opérer des basculements stratégiques et symboliques d’importance. Bref, on a vu que l’action est possible, que le brassage de vent n’est pas une fatalité. Chez nous, en France , surtout au niveau local, le » haut du panier » des minorités dites visibles prend les strapontins qu’on lui offre pour colorer les affiches électorales, SANS AUTRE AMBITION QUE DE REMPLIR LE VIDE, laissé par la quasi obligation morale qu’ont les partis d’opérer un peu d’ouverture ethnique.
Parlant de son départ du pays d’origine, Malik dit : « C’était avant les emmerdements, les tourments, les troubles identitaires, les cours de droit, la situation de basané mis en remise dans le 93-département et caetera ».
Sa vie d’avant les emmerdements est en pointillée. Le roman est court, je le rappelle, c’est une nouvelle augmentée. L’on devine quand même qu’avec le type de père qu’il a eu, cela n’a pas été de tout repos. Je laisse volontiers les lecteurs de quelque horizon qu’ils viennent se faire leur film sur les Comores de Malik. Loin de moi l’idée de faire une monographie de la vie de quartier ou de l’adolescence en milieu urbain aux Comores.
Lors du Washko Litt. à Folies d’Encres à Saint-Denis
Le récit laisse courir quelques fantaisies en bout de page. Ainsi, de la partie évoquant l’indépendance des Comores. Le narrateur résume l’unilatéralisme des Comoriens en une fable de laideron boutant une fille de bonne famille de son histoire. Le laideron serait les Comores, et la fille de bonne famille la France…
Ce sont des paroles que Malik prête aux forces néocolonialistes, qu’on entend même dans les facs dites de gauche. Ayant étudié à Nanterre, j’en sais quelque chose. Le discours de Dakar de Sarkozy aurait pu être écrit par un de mes profs de socio, qui en faisait des tonnes, pourtant, contre la » droite la plus bête du monde ». Malik conclut avec humour que cet unilatéralisme, ce toupet, a pu faire faire valdinguer le plus vissé des bonnets phrygiens.
Un regard très dur sur les réalités comoriennes, qui frôle parfois le cliché à l’état pur, avec quelques brillants raccourcis, qui obligent à s’interroger sur les nuances nécessaires à toute situation de vraisemblable dans une fiction.
Les lecteurs étrangers à notre monde, qui m’ont fait des retours, m’ont systématiquement demandé ce qu’en pensaient les Comoriens. Malik est apparemment très dur envers les siens. J’ai l’impression qu’il a le ton juste. En ce qui me concerne, moi, j’ai toujours eu horreur des bons sentiments et du romantisme. J’ai une approche plus schopenhaeurienne de l’existence. Neutre et froide. Bon allez je suis peut être dépressif qui sait ? Cette vision a peut être contaminé mon personnage. Des Malik, j’en ai rencontré plein en fac. Bref, il n est pas seul. Ils sont une armée.
Lors du Washko Litt. du 26 mars 2015 à la librairie Folies d’Encres à Saint-Denis, une lectrice, présente dans la salle, a parlé, à un moment donné, de « logorrhée » débouchant sur une incapacité de pensée du narrateur.
Du lecteur, me semble-t-il. Une logorrhée du personnage principal que le lecteur se prend en pleine gueule et qui empêche ce dernier de penser et de prendre de la distance avec le texte et les personnages. C’est exactement ce que j’ai voulu faire. C’est pour ça que le texte est court : (1/3du texte initial ) qui développait les descriptions des lieux et de l’époque des personnages. En étant court, comme une longue tirade j’ai voulu lui donner un aspect « rafale de mots et de pensées »
A la présentation de La vie, cet exil à Folies d’Encres
Un phrasé que l’on pourrait trouver musical ?
Je dis souvent que j’écris en marchant. Le clavier, c’est bien après, dans le processus. Les premières phases de création, c’est le verbe. Que la phrase soit belle en bouche. Quand je la dis à ma femme, par exemple, ou à un proche, qu’elle sonne beau. Donc, oui, sans doute, elle est musicale, sans qu’il y ait de rimes. C’est le challenge.
Un texte qui déborde l’entre-deux France-Comores, ces deux pays où s’érige le récit de Malik. Toutes ces références qui traversent l’esprit de Malik…
C est l’ambition de départ. Créer et questionner les miens. Et les miens ne sont pas que Comoriens et Français. Ils sont Marocains, Vietnamiens, musulmans, chrétiens et bouddhistes. Dans ce contexte, on peut créer des œuvres avec des couleurs qui interrogent les gens. J’espère y être parvenu, sinon j’espère faire mieux la prochaine fois
Quelle place donner à ce texte dans le paysage littéraire de l’archipel ?
Il n’en a pas, disent les mauvaises langues. Moi, je pense que c’est un roman comorien. Parce que Saindoune Ben Ali, une de mes idoles littéraires, est comorien et qu’il est aussi borderline. J’espère que ce texte est arrivé aux chevilles des siens.
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi
La vie, cet exil, Oluren Fekre, Komedit, 2016.
Plus d’infos sur l’auteur : https://olurenfekre.wordpress.com
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