Ce premier semestre 2016 a été le théâtre d’un conflit fractricide que les habitants de l’archipel vont mettre des années à résorber, à défaut de pouvoir l’empêcher. Avec des stigmates qui devront longtemps se porter au visage. Entretien accordé par Mohamed Nabhane, membre du Collectif de Soutien aux Délogés de Mayotte, sur un drame que d’aucuns réduisent à une « chasse aux « comoriens », aujourd’hui. Des « pogroms » d’une rare violence, opposant les enfants d’une même fratrie insulaire.
La situation à Mayotte prête de plus en plus à confusion. Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est véritablement ?
Il faut distinguer trois choses : la délinquance, qui touche toutes les communautés (maoraise, comorienne des autres îles, malgaches, continentaux, mzungu (s), indiens, etc.), dont les causes multiples seraient trop longues à expliquer ; les interventions des forces de l’ordre avec décisions de justice sur des terrains illégalement occupés ; des expulsions et destructions de maisons louées par les propriétaires à des ressortissants des autres îles des Comores.
On parle de « pogroms » ?
Ce terme me semble excessif. On n’espère ne pas en arriver là (mais il y a un véritable risque. Je crois que c’est Paul Claudel qui disait : « Le pire n’est pas toujours sûr »). Il s’agit de comités villageois, qui demandent aux Comoriens des autres îles de quitter leurs maisons à une date précise. Ils viennent le jour indiqué détruire les maisons, en mettant les habitants dans la rue. Des gens qui sont très souvent en situation régulière, au regard du droit français (de nationalité française ou détenteurs de titres de séjours).
Mais on peut parler d’une forme de « nettoyage » ?
C’est tout à fait l’esprit. Il y a une sorte de « comorophobie », je dirai même plus, une « anjouanophobie » ! On ne parle pas de « pureté », parce que c’est honnêtement difficile. Oui ! « Nettoyage » ! Clairement.
Cette situation ne rappelle-t-elle pas 1974, lorsque les milices de soroda faisaient leur loi, sans être empêchés par les forces de l’ordre ?
Quiconque a étudié quelque peu l’histoire récente de l’archipel sait que ce sont exactement les mêmes méthodes qui ont été employées ici depuis peut-être 1958 pour arriver à obtenir le résultat de 65 % de non à l’indépendance des Comores, lors de la consultation du 22 décembre 1974 (alors que 94,6 % de la population comorienne s’est exprimé pour l’indépendance). Ce phénomène sera encore plus amplifié en 1976, avec les deux référendums considérés par l’ONU comme « nuls et non avenus ».
Que peut-on dire d’un média comme Kwezi TV que d’aucuns n’hésitent plus à rapprocher d’une tendance Radio Mille Collines ?
Le plus malheureux, c’est que la période où le journal « kashkazi » faisait l’exception, au milieu de médias soumis au Préfet ou manipulant à volonté la population, voire, distillant la haine contre les Comoriens des autres îles, est révolue.
Que pensez-vous du silence des autorités comoriennes ?
Le régime Ikililou était, selon moi, gangréné par la Françafrique. Le président Azali échangerait volontiers le qualificatif d’ « imam » contre celui de « colonel ». Son gouvernement semble prendre à bras le corps cette crise des délogés. L’avenir nous dira si le religieux fera mieux que le militaire sur la question de Mayotte…
Au-delà, comment expliquez-vous cette sorte d’aphasie qui atteint le citoyen, incapable de s’indigner ouvertement contre la situation ?
Je n’ai rencontré, quant à moi, que très peu de personnes ici à Mayotte méritant ce qualificatif de « citoyen ».
Et les intellectuels ?
Vous avez dit intellectuels ? Je ne connais personne (à part bien entendu au sein du FD) qui se pose en termes clairs la question de l’occupation coloniale de Mayotte. Les plus lucides vous disent qu’ils sont Comoriens. Ce qui ne les différencie guère de ces élus en majorité pyromanes, qui l’affirment également en public et / ou en privé !
Que dites-vous de la manière dont les autorités françaises profitent de ce drame pour expulser à tout va ?
Rien d’étonnant en colonie ! Comment peuvent-elles laisser des enfants dormir trois semaines dans les conditions que tout le monde connaît ? Comment peuvent-elles attendre tranquillement que les bénévoles mettent en place, avec leurs maigres moyens, des cars transportant des femmes et des enfants expulsés de leurs maisons, sous le choc, pour faire des contrôles et « cueillir» ceux et celles qui n’ont pas de titres de séjours ? Dans quel monde vivons-nous ?
Le silence des autorités comoriennes vous choquent-ils ?
Les Comores font partie de la Françafrique. La plupart des régimes sont inféodés à la France. Le fait que la presse officielle ait appelée, pour la première fois, à une manifestation samedi 11 juin (sur une question concernant Mayotte) augure-t-il d’une nouvelle relation avec la France ? Rien n’est moins sûr.
Le comité de soutien aux délogés ou décasés, dont vous êtes un des représentants, a l’air dépassé par les événements ?
Epuisé, certainement. « Dépassé », je ne sais pas. Depuis le début, le Collectif de Soutien aux Délogés de Mayotte propose deux solutions qui n’agréent pas Monsieur le Préfet de Mayotte : permettre aux détenteurs de titres de séjour d’un an de pouvoir quitter Mayotte et de se rendre à la Réunion ou en France (solution que réclament à cor et à cri nombre d’élus mais qui n’est pas sans inconvénient) ; établir un véritable dialogue dans chaque village entre la population, les élus, les notables, les religieux, les cadis, les associations… pour une véritable paix.
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi
L’archipel étant une terre musulmane, Mohamed Nabhane nous a envoyé cette situation, extraite du Coran (sourate 49 I Verset 9 & 10) : « Et si deux groupes de croyants se combattent, conciliez-les. Si l’un d’eux se rebelle contre l’autre, combattez celui qui se rebelle, jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordre de Dieu. S’il s’y conforme, réconciliez-les avec justice et soyez équitables car Dieu aime les équitables. Les croyants sont frères. Établissez la concorde entre vos frères. »
وإن طائفتان من المؤمنين اقتتلوا فأصلحوا بينهما فإن بغت إحداهما على الأخرى فقاتلوا التي تبغي حتى تفيء إلى أمر الله فإن فاءت فأصلحوا بينهما بالعدل وأقسطوا إن الله يحب المقسطين. إنما المؤمنون إخوة فأصلحوا بين أخويكم…