A la tête du Centre National de Documentation et de Recherche Scientifique (CNDRS), Nouroudine Abdallah nous parle du vaste chantier auquel il s’attelle avec son équipe depuis deux ans.
37 années d’existence. Quel bilan pour l’institution ?
C’est justement ce que nous n’avons pas voulu faire. On s’est dit qu’il était plus opportun de se tourner vers l’avenir, plutôt que de regarder vers le passé. Non pas que le passé ne soit pas important. Le dire serait un non-sens par rapport à ce que sont les missions du CNDRS. Le patrimoine… l’histoire… Mais on a fait le choix de célébrer les 37 ans d’existence du CNDRS, en portant l’attention sur la dynamique à créer pour que le centre puisse trouver sa vraie place dans le milieu de la culture et de la recherche dans le pays.
Quelles sont vos missions, justement ?
La mission essentielle et principale, attribuée au CNDRS, c’est le patrimoine. C’est identifier, comprendre, faire connaître et valoriser le patrimoine national. Cela va du patrimoine culturel au patrimoine naturel. On est un tout petit pays, mais qui détient une richesse considérable qu’il faut arriver à préserver, du point de vue de la diversité.
Des enjeux sur le cours terme ?
La plupart des initiatives que nous prenons vont dans le sens d’ouvrir les portes du CNDRS au grand public. Nous aurions pu faire le choix d’organiser des séminaires, des colloques. On peut le faire et on devra le faire. Mais on a choisi, dans un premier temps, d’organiser des cadres d’échange – des tables-rondes – qui soient accessibles au plus grand nombre, et pas seulement aux spécialistes.
Certains responsables du ministère auquel vous êtes rattaché semblent ne pas saisir la complexité de votre cahier de charges. Ils ont du mal à défendre vos missions…
Pourtant, il suffit de voir quels sont les services développés au sein de l’institution, pour comprendre que nous sommes de plein pied dans la mission du patrimoine. Le CNDRS abrite le musée national. Nous n’avons pas encore la dimension de ce que devrait être une vraie bibliothèque nationale, mais il n’en reste pas moins qu’il en existe une, au CNDRS. Nous accueillons également les archives nationales. C’est la mémoire du pays. Nous faisons en sorte que tout ce qui est produit, en termes de documents officiels, puissent être retrouvé aux archives nationales. Nous avons le pôle « recherche », qui doit permettre d’effectuer le travail d’identification et d’analyse du patrimoine, ainsi que le travail de diffusion, de valorisation, à travers les expositions, les publications, etc.
Des fichiers de la bibliothèque nationale.
Est-ce que le CNDRS – à force de se consumer à huis clos – n’a pas fini par ressembler à une danseuse qui coûte cher à l’Etat, après être passé pour une maison fermée réservée aux seuls chercheurs ? Ce qui explique en partie le sentiment d’incompréhension de certains décideurs au ministère…
Le CNDRS a eu des activités très importantes, mobilisant le grand public dans ses premières années d’existence. La période la mieux connue est celle de ses deux premiers directeurs. Dans cette période-là, le CNDRS était clairement un lieu ouvert. Ensuite, il y a eu une très longue période, durant laquelle l’institution était, non pas fermée, mais en veille. Il n’y avait pas beaucoup d’activités. Le CNDRS était un peu en sommeil. Moi, je suis arrivé, il n’y a pas longtemps. En mai, cela fera deux ans[1]. L’objectif que je me suis fixé, c’est d’essayer de recréer une dynamique. Ce qui n’est pas simple, les moyens étant limités. Mais je n’aime pas mettre le problème des moyens en avant, parce que c’est un argument trop souvent utilisé et qu’on a du mal à comprendre. Du coup, je ne l’utilise qu’en dernier recours… Disons qu’on a quelques petits moyens. Et ces quelques petits moyens, nous avons décidé de les orienter vers des activités grand public, de manière à ce que les comoriens se rendent compte de l’utilité de cette institution. Une manière de nous rappeler à leur bon souvenir… Dire que nous sommes là… que nous pouvons servir au développement du pays. Certes, c’est très modeste, mais nous organisons, comme je le disais, tout à l’heure, des journées thématiques. Sur le Karthala, la littérature comorienne, Damir Ben Ali, Salim Hatubou. On a organisé des tables-rondes, des conférences, des expositions, des rencontres informelles avec des jeunes. On a aussi organisé des ateliers d’éducation au patrimoine pour les enfants, pour des classes d’école, pendant les vacances. En même temps, nous travaillons à développer et à diversifier les partenariats. On se dit qu’une institution comme le CNDRS ne peut s’épanouir, sans partenariats. Donc nous travaillons, ponctuellement, avec des associations, des organisations de la société civile, et nous travaillons à faire revenir les partenaires, qui, à un moment donné, exprimaient un certain intérêt, pour les activités du CNDRS.
Parlons des moyens…
Ils sont limités. Il y a tellement d’incertitudes que c’est difficile d’établir un budget, de pouvoir anticiper sur les événements. En principe, la subvention de l’Etat est de 5 millions par an. En pratique, elle n’est jamais débloquée à cette hauteur-là. On est toujours en deçà… très en deçà… Et puis, il y a la manière dont elle nous arrive. Il n’y a aucune régularité dans le temps. C’est au coup par coup. Il n’y a pas une périodicité bien déterminée dans son versement. On peut passer six mois sans rien avoir, comme on peut, tous les mois, bénéficier d’un petit versement, pendant une période donnée,. Et puis d’un coup, ça s’arrête, pendant plusieurs mois. Cette subvention n’est pas que dérisoire, par rapport à la mission assignée au CNDRS, on ne la perçoit pas en totalité. On n’arrive jamais à en obtenir la totalité.
Où en est la coopération avec l’étranger ?
Disons qu’elle existe, mais pas à la hauteur de ce qu’il faudrait pour les ambitions que nous avons. On a besoin de réactiver des partenariats anciens, d’en établir de nouveaux. Pour l’instant, il y a des partenariats qui fonctionnent, mais pas aussi bien qu’on le souhaiterait. Nous avons un partenariat avec l’Unesco. Nous avons un partenariat avec la coopération française. Nous pouvons ponctuellement avoir des appuis de l’Union européenne. Il y a un projet multi réseaux, auquel participe l’équipe du CNDRS, financé par l’Union européenne, dans le domaine de la biodiversité, et plus spécifiquement sur la thématique des mauvaises herbes. Donc les partenariats existent, mais doivent, à mon avis, être développé davantage.
Une oeuvre du peintre Huschah sur les murs du centre.
On prétend que l’institution profite plus à ces partenaires qu’au pays lui-même…
Il ne dépend que de nous pour que les activités du CNDRS profitent au pays. C’est vrai qu’on n’exploite pas suffisamment les possibilités qu’offre le travail du CNDRS. Les enquêtes effectuées, les données existantes, sur l’histoire, la culture, le patrimoine. Mais comme la recherche, en général, dans le pays a du mal à être « dynamisée », on exploite très peu les ressources dont nous disposons. Il faudrait qu’il y ait une dynamique de publications, que les chercheurs comoriens s’inscrivent dans une dynamique de production, pour qu’on puisse exploiter au mieux ce que nous avons, en termes de données et de ressources. Il y a des chercheurs à l’étranger, qui sont intéressées par ces ressources-là et qui prennent des initiatives. Nous accueillons des doctorants, qui nous viennent de différents pays. Et c’est normal ! Ces ressources-là, nous devons les partager. Si elles sont peu utilisées par les Comoriens, ce n’est pas une raison pour qu’elles ne soient pas utilisées par des chercheurs étrangers. Par ailleurs, nous essayons de faire du patrimoine un outil pour le développement, mais il n’y a pas d’initiative politique, allant dans le sens. S’il n’y pas une stratégie de développement, par exemple, que le tourisme dans le pays soit reliée à la question du patrimoine national, cela veut dire qu’il y a un manque à gagner considérable. Donc c’est vrai, nous n’exploitons pas notre patrimoine à la mesure de ce qu’il serait possible de faire.
Le CNDRS est aussi vue comme une institution dépecée par ceux-là mêmes qui l’ont soutenue. Par le biais de la coopération, certains chercheurs étrangers ont pu piller l’institution, s’accaparer le travail de chercheurs locaux…
On peut regretter que la recherche ait autant de mal à exister dans le pays. Ce qui est regrettable, ce n’est pas que les autres utilisent nos ressources pour faire avancer la recherche scientifique. Ce qui est regrettable, c’est que les chercheurs comoriens ne s’approprient pas suffisamment ces ressources pour développer leurs propres analyses, faire part de leur point de vue, sur l’histoire, l’anthropologie, l’économie, l’agriculture, en milieu comorien. On manque d’un éclairage de la part des chercheurs comoriens, concernant les grands défis auxquels le pays est confronté.
Il y a une autre question dans ces rapports entretenus avec la recherche étrangère. La manière de se conduire de certains partenaires, qui se représentent au sein de l’institution comme en leur palais. On pense à l’histoire de cette femme d’ambassadeur, qui s’est emparée de la mémoire numérisée de l’institution, sans respecter la moindre règle de bienséance. Une chose inimaginable dans une autre institution, à l’étranger, du moins.
Si ! C’est très imaginable ! Le problème, c’est quelle mesure on prend pour corriger le tir. Dans n’importe quelle institution, il peut y avoir des documents ou des outils qui disparaissent. C’est arrivé au CNDRS. C’est déplorable. Mais ça a été corrigé. A partir du moment où j’ai été informé de la situation.
Nombre de documents ont disparu de la bibliothèque du CNDRS. Certains d’entre eux circulent à l’étranger, sans qu’on interroge leur provenance. Ce qui amène à parler de pillage…
Cela arrive d’autant plus facilement que ces documents ne sont pas utilisés par nos chercheurs. Quand les documents sont utilisés, il y a moins de facilités pour qu’ils disparaissent. On s’en rend compte assez vite. C’est pour ça que je parlais tout à l’heure de notre capacité à exploiter les ressources disponibles.
Est-ce que l’institution a pensé à re contacter les chercheurs recensés par le centre et dont les documents ont disparu, afin de reconstituer un fond ?
C’est un travail en préparation. On vient de finir l’inventaire de la bibliothèque. Il y a un travail du même type, engagé au niveau des archives. Il y a les documents qu’il nous faut préserver et en même temps partager, parce qu’on est aussi là pour ça… Et il ya des documents qu’il nous faudrait avoir et que nous n’avons pas. Il y a des initiatives à prendre pour acquérir les documents manquants. Mais la première des choses à faire, c’est l’inventaire.
De combien de chercheurs dispose le centre ?
Nous avons cinq chercheurs en poste. Je ne parle pas des chercheurs associés. Je ne parle pas des chercheurs, qui n’ont pas de poste, mais qui viennent développer des activités dans le centre. Je pale uniquement de qui sont en poste.
Un fichier relatif aux événements de 1915 dans le Dimani.
Où en est la relation avec l’Etat, votre principal bailleur ?
Je pense aussi qu’il y a des choses à améliorer dans la prise en charge politique du dossier de la culture, au niveau du ministère. Ça, c’est incontestable. Quand on a besoin d’un financement, on soumet la requête au ministère de tutelle. En ce qui nous concerne, c’est le ministère de l’éducation. Il nous représente auprès du Conseil des ministres, qui décide… Parfois, c’est accepté, parfois c’est refusé. Mais ce qui est accepté ne se traduit pas toujours par un financement effectif. Tantôt, on obtient le financement, tantôt, non… Au niveau de l’Etat, nous faisons avec les interlocuteurs qu’on nous donne. Il y a un niveau de sensibilité, on va dire, à géométrie variable. On peut tomber sur une oreille attentive, avoir des suites favorables. Le ministère de tutelle reste notre premier interlocuteur, mais ce n’est pas lui qui débloque l’argent. Dans l’hypothèse où le Conseil accepte de financer un dossier, c’est le ministère des finances qui débloque l’argent, ensuite. Et souvent, il arrive que la difficulté intervienne à ce niveau. On a des projets qui ont été acceptés, mais pour lesquels on n’a pas réussi à débloquer l’argent.
Est-ce qu’on a une idée du taux de fréquentation depuis deux ans ? Une moyenne…
On n’a pas fait cette évaluation-là. On n’est pas encore outillé pour pouvoir tenir des statistiques, de façon fiable.
La revue que faisait le CNDRS, où elle en est ?
Ya Mkobe existe toujours. Il y a du retard dans sa publication, mais on va essayer d’avoir une organisation de la revue qui soit plus fonctionnelle. On va la réorganiser.
Et le musée ?
Il fonctionne, mais le fond du musée a besoin d’être actualisé. Il y a une fréquentation des scolaires. Il ya des journées portes ouvertes. Il nous faut, par contre, et nous y travaillons, mettre à jour le fond. Il est le même que depuis la mise en place du musée. Ça n’encourage pas le public à revenir. Mais il faut dire que nous aimerions développer ce fond en même temps que nous développons l’activité de recherche. Le fond actuel n’a pu être établi que parce qu’il y a eu une activité importante de recherches et de publications dans les premières années d’existence du centre.
En gros, l’institution travaille à avoir à nouveau un visage dans le paysage…
Oui ! Nous avons lancé un chantier de fond. Nous avons un mode de structuration qui est très ancien, qui commence à dater, qui n’est plus adapté, par rapport aux réalités actuelles. Il faut aussi qu’on réconcilie le grand public avec le CNDRS. Il y en a qui pensent que l’institution n’existe plus. Il y en a qui pensent, en passant dans la rue principale, que ce n’est qu’un vieux bâtiment abandonné. Nous travaillons à faire savoir que le CNDRS existe toujours.
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi
[1] L’entretien a eu lieu en mars 2016.
2. Plus d’infos sur le site du CNDRS.