Dernière parution aux éditions Bilk & Soul : le monologue d’une jeune mère, abusée par son fils. « À son réveil, il voudra encore me frapper, me violer ». Un enfant auquel elle a failli renoncer : « À mon ventre j’ai donné des coups pour ne pas le faire ». Envisageant le pire, par moment : « J’ai bourré son repas de somnifère avant de l’étouffer. J’ai aussi pris un poignard, mais j’ai eu peur du sang ». Un texte contre la fabrique des héros. Entretien avec l’auteur de L’orchidée violée, Bernard G. Lagier.
Le personnage de L’orchidée violée, une femme, nage dans une confusion certaine. Il est question du fils, de la mère-patrie, de souffrances intimes…
Oui ! Cette femme est dans une grande souffrance. Car son fils, elle ne veut pas le tuer, aussi détestable soit-il. Mais elle ne veut pas non plus le donner comme chair à canon à ceux qui prétendent fabriquer des héros pour la Nation. Nous cheminons dans la révolte. Cette femme représente le pays dominé, une mère-patrie confrontée aux trahisons de ses fils et à leurs viols, également. Elle affronte les pressions de celles et ceux qui prétendent détenir une vérité.
Peut-on voir un rapport entre le viol de cette femme et le crime qu’elle s’apprête à commettre sur la personne de son fils ?
Ce fils représente sa souffrance au passé et au présent depuis 15 ans. Alors, le tuer pourrait être un moyen de mettre un terme à cette situation.
Le choix du monologue ?
Peut-être un style que je pense mieux maîtriser !!! Ce n’est pas mon premier texte du genre. J’aime bien travailler sur ces conflits externes, concernant une multitude de personnes, qui passent par le prisme d’un seul et même personnage.
D’où vous est venu l’idée de ce texte ?
Au départ, une volonté. Celle de travailler sur la violence dans les familles. Des membres d’une association de parents de drogués voulaient que j’écrive sur cette violence. J’ai entamé des recherches, puis je me suis rendu compte, en écrivant le texte, que le lien violence famille/ violence sociétale était très fort dans les sociétés sous domination. De plus, cette thématique cadre bien avec mon questionnement en qualité de dramaturge.
Astrid Mercier dans la mise en scène de Hassane Kassi Kouyaté.
Est-ce qu’on peut parler d’une pièce sombre ?
Non ! Car cette femme tourne le dos à l’ombre. Et c’est sur sa volonté de bâtir un nouvel avenir pour ses fils qu’on se quitte.
Cette phrase, terrible. « On devrait pouvoir être mort certains jours »…
Une autre façon de dire que l’on n’a plus envie de voir, ni d’entendre, ni même de respirer, tant les choses sont difficiles. C’est quelques fois nauséabond dans les rapports entre les hommes, mais il faut reprendre son combat.
« Ma vie : le néant, mon fils. Tout est déjà dit » déclare encore le personnage de la pièce.
Ou comment sortir du désespoir…
Pourquoi une femme ?
Et pourquoi pas ? Mais je crois aussi que les femmes jouent un rôle fondamental dans les sociétés dominées et qu’elles sont souvent celles par qui les choses arrivent ! Il y a aussi une parole d’homme entendue dans un autre texte, qui, je l’espère, sera aussi édité !
Un dernier mot ? Le texte est écrit dans une langue qui fait la part belle à l’imaginaire des Caraïbes. Besoin de rappeler que les mots ne surgissent pas de nulle part ?
Les mots ne surgissent jamais de nulle part. Je suis d’abord un créolophone et je joue avec ces mots, avec leurs strates métaphoriques. J’espère que les lecteurs apprécieront cette langue.
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi
1. L’orchidée violée est parue aux éditions Bilk & Soul à Moroni.
2. Bernard Gaëtan Lagier est le directeur adjoint de Tropiques-Atrium, scène nationale en Martinique. Il est également président d’ETC Caraïbes. Il est l’auteur de Moi, chien créole aux éditions Lansman.
3. L’orchidée violée a été créée en février 2016 au Tropique-Atrium, diffusée à l’Espace Roseau à Avignon, dans mise en scène de Hassane Kassi Kouyaté.
4. Plus d’infos sur L’Orchidée violée, cliquer sur ce lien.