Africultures, 105ème

Le dernier numéro de la revue Africultures paraît, ce mois-ci, sous la direction de Anne Bocandé et de Soeuf Elbadawi. Avec une nouvelle régularité : trois numéros, prévus d’ici juin 2017. De nouvelles perspectives de développement. Une volonté de mieux coordonner son contenu avec les autres supports de la structure, Afriscope et le site. Entretien avec Soeuf Elbadawi.

Consacré à la censure et à l’autocensure, ce 105ème numéro porte le titre d’objets sous séquestre. Pourquoi le sujet de la censure et de l’autocensure ?

Sans doute, parce que c’est une chose dont plus personne ne souhaite parler, en ce moment. Tout le monde est habité par le désir de s’en sortir, oubliant les compromissions, les renoncements, les manquements. Oubliant le prix à payer pour s’asseoir sur la table du monde. C’est surtout un sujet, lorsqu’on en parle, qui dérange. Au début de la conversation, tout le monde vous dit que c’est dépassé, mais le discours se veut plus nuancé, après le deuxième verre. On se rappelle que tel ou tel avait dû fermer sa gueule pour ne pas risquer de disparaître de la scène, puis que tel et tel avaient un projet que tout le monde regrette, à défaut d’avoir pu le défendre. On perçoit du reproche dans les échanges, un malaise qui va, grandissant. L’impression que des artistes se sentiraient visés par la question de savoir où se situent les limites de leur expression. Il était important de pouvoir faire le point sur ces questions et de se rendre compte qu’il existe des poches de résistance face à la bêtise, au renoncement, au délitement de la pensée.

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La revue est parue de façon irrégulière, ces dernières années…

On ne fait pas toujours ce que l’on veut. Ce média a grandi un peut trop vite, selon un schéma des plus anciens, alors même qu’il générait de nouvelles attentes, auprès du lecteur. Nous n’avons pas toujours eu le temps de réfléchir sur l’ensemble de la dynamique initiée. Il y a eu du chemin, entre la revue des lettres et des arts africains, lancée par Fayçal Chehat, et le projet initié par Olivier Barlet et ses amis, il y a une vingtaine d’années. A la suite de la revue, sont nés le site et Afriscope, deux médias d’importance, devenus incontournables, par leurs contenus. On pourrait évoquer le travail qu’Africultures mène sur la langue et la culture des migrants. Notre capacité à accompagner les initiatives, œuvrant dans le domaine des cultures africaines et des diasporas, reste intacte. Dans un monde où menacent le repli et la peur, le contenu d’Africultures pèse son pesant, je crois bien. Mais il va falloir réfléchir à nouveau sur l’expérience pour canaliser l’ensemble des outils à notre disposition. En ce moment, nous cherchons à renouveler nos possibilités. La revue va retrouver une certaine régularité, le site et Afriscope vont continuer à rayonner. Ces supports se complètent, se prolongent, dans un élan nouveau. Et surtout, nous allons pouvoir recréer de la présence, pour les cultures qui nous occupent. Ce que l’on avait tendance à oublier, ces derniers temps.

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Vous parlez d’un chantier ?

Je ne dirais pas que tout change. Mais nous allons essayer de consolider l’existence de nos supports, en les mettant au service d’une dynamique plus globale, qui consiste à prendre place dans les débats actuels sur l’Afrique culturelle et ses diasporas. Nous souhaitons déborder des pages pour contribuer au débat, générer un certain nombre d’interrogations, rendre les nouvelles pensées agissantes visible, retrouver une nécessité dans le fait de nourrir l’alentour, en se faisant écho des nouvelles scènes du Continent et de la diaspora. Dans ce présent où l’on questionne encore les valeurs d’ouverture, le rapport à la différence, le refus des inégalités, entre le Nord et le Sud, notamment, Africultures contribue à faire entendre une pluralité de voix, dont certaines ont été longtemps confinés dans l’ombre. Cette maison a été fondée par des auteurs, des artistes, des intellectuels, des journalistes, avec une générosité incroyable. Mais on a perdu l’habitude de solliciter les uns et les autres, au fil des années, et pour je ne sais quelle raison.

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Aujourd’hui, nous voulons rassembler à nouveau autour de cette dynamique. C’est la bonne nouvelle du moment. Nous voulons ramener une parole agissante dans la cité. Ce n’est pas l’objet Africultures notre finalité, mais ce qui s’y raconte, ce qui s’y produit. Et il faut redonner la parole à toutes ces individualités, sans qui la pluralité de l’Afrique ne s’entendrait peut-être pas aussi bien. Il va aussi falloir se rendre auprès des lecteurs, recréer du lien entre eux et des hommes de culture, souvent retirés dans leurs fabriques. Dans le numéro qui sort, la rédaction d’Africultures a fait le job, comme on dit. A l’écrit, comme en coulisses, nous avons essayé d’assurer, au mieux. Et nous avons été solliciter Boubacar Boris Diop, Koulsy Lamko, Nabil Ayouch, julien Bissila ou encore Raharimanana, qui ont accepté de cheminer à nos côtés. Des amis de toujours, qui étaient pris ailleurs, sur d’autres fronts, jusque-là. Il y a là aussi des plumes singulières comme celles de Celia Saddaï, Selua Luste Boulbina ou encore Denétèm Touam Bona. Ils nous ont accordé leur confiance, nous ont confié du contenu. Et bien sûr, il y a là aussi des gens de la maison : Ibrahim Dia, Barlet (toujours directeur des publications), Trouillet, Dietrich, Trouillet. Sur ce numéro, nous avons pu questionner le cinéma, la musique, la littérature, le théâtre, les idées, avec une petite ouverture sur les arts visuels, grâce à un travail de Mélanie Cournot. L’équipe s’agrandit, par ailleurs, avec le désir de cultiver le lien entre les générations. Nous verrons ce qui en sortira…

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Vous partagez la rédaction en chef avec Anne Bocandé  ?

Comme pour l’équipe précédente. Ils étaient deux à la barre : Boniface Mongo-Mboussa et Sylvie chalaye. Quand la décision de renouveler l’équipe de coordination de la revue a été prise par le CA, j’ai souhaité travailler plus étroitement avec Anne Bocandé, qui dirige déjà Afriscope et qui fait partie des « nouvelles figures » de la structure. Cela fait un bon moment qu’elle est dans cette maison et qu’elle contribue vigoureusement à son contenu. Elle apparaît plus jeune à certains d’entre nous, qui avons fondé la revue, il y a vingt ans. En ce qui me concerne, je trouvais plus productif de mélanger les points de vue entre les équipes d’hier et d’aujourd’hui. J’ai l’impression que le projet y gagne, en nuances et en profondeur. La production des contenus Africultures va continuer dans cette perspective que je trouve plus stimulante. Et nous allons aussi renforcer l’approche interdisciplinaire, en privilégiant à nouveau un contenu associant journalistes, critiques, universitaires, praticiens. Anne Bocandé est journaliste et universitaire. Moi, je revendique une étiquette de journaliste et de praticien des arts. Ce sont des possibilités qui contribuent à mieux défendre un contenu, et non des postures.

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Vous prévoyez trois numéros, dont celui qui vient de paraître, sur la censure…

Ce sont trois numéros que nous voulions publier au titre de l’année 2016. Après la censure, il y aura celui sur les frontières, traversées et migrations – l’appel est déjà lancé – et un troisième portant sur les émergences. Tenant compte des retards accumulés dans la parution des derniers numéros, nous avons établi un calendrier un peu serré, qui nous emmène, pour ces trois numéros, jusqu’en juin 2017. Par la suite, nous comptons retrouver une régularité avec trois autres numéros, qui devront être finis à la fin 2017. Ce qui permettrait de repartir avec une parution tous les quatre mois en 2018. Avec plus de temps pour construire le contenu et pour le défendre. Et peut-être que plus tard, nous pourrons envisager de reparaître en trimestriel, comme cela a été le cas, pendant des années.

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D’autres projets en vue pour la revue ?

Notre première ambition est de retrouver ce lecteur attentif, curieux, exigeant, après lequel nous courrions, il y a quelques années, et que nous avons parfois perdu de vue. Nous cherchons à recréer de la visibilité pour la revue. Anne Bocandé, avec qui on co anime ce projet, la rédaction, les contributeurs extérieurs, pour n’oublier personne… tout le monde est au taquet. Nous voulons reconnecter la revue, le magazine, le site, avec le monde qui nous occupe. On ne manque pas d’idées, on a des envies, on a quelques incertitudes. Mais je crois qu’il faut rester prudent et humble. Nous ne sommes pas une entreprise, au sens capitalistique du terme. Nous ne faisons pas dans la rentabilité. Nous nous inscrivons plutôt dans une approche culturelle alternative, répondant à des nécessités, entre autres, d’ordre sociétal. Nous voulons vivre dans un monde qui nous parle, dans tous les sens du terme. Pour ce faire, nous travaillons à renouveler notre modèle économique, à retrouver des partenariats plus anciens, à en trouver des nouveaux. Nous continuons avec L’Harmattan, notre éditeur, sur des bases nouvelles. Mais nous avons besoin plus que jamais d’élargir notre lectorat. Car la revue, le site, le magazine, ont besoin d’être en phase avec un lecteur, avec qui on doit converser, sans cesse, pour retrouver les nécessités fondatrices de ce projet ou pour ne pas les perdre de vue.

Propos recueillis par MB

Plus d’infos sur le site Africultures.com.