Soirée spéciale, ce 29 mars 2017, lors de la seconde édition du Badja Place, à Moroni. Avec la présentation publique du Hors-Série d’Africultures, consacrée aux sept ans du Muzdalifa House. Un haut lieu de la culture alternative et indépendante dans l’archipel.
Fin de partie pour le Muzdalifa. Le lieu referme ses portes, après sept années d’activité pleine et continue. Une raison suffisante pour converser sur l’esprit d’indépendance, qui ne souffle plus dans l’archipel. Une notion floue, que les artistes et les intellectuels du pays ont du mal expliquer, aujourd’hui, alors qu’elle fut longtemps synonyme d’innovation et de liberté, pour une génération, notamment issue des rangs du msomo wa nyumeni, mouvement culturel des années 1970-8O. Histoire d’une époque durant laquelle la jeunesse s’adonnait aux utopies du grand soir, et où de nombreux artistes se sont affirmés, hors des cercles traditionnels de la culture, en explorant des mondes inédits.
« Je fais partie de ceux qui se sont battus à la fin des années 1980 pour que le statut d’artiste nous soit reconnu. Au final, nous sommes nombreux à l’avoir confondu avec une réussite personnelle, traduite par une obtention de visas, de tournées et de cachets. En créant le Muzdalifa, nous savions que la création signifiait une réponse à la nécessité et à l’urgence pour nos vieux. Il n’y avait pas vraiment d’artiste patenté, par le passé. Mais il y a avait des œuvres, qui avaient du sens, aux yeux des habitants de cet espace. En tous cas, nous ne courions pas après une reconnaissance de façade, autorisant l’ambassadeur de France à déclarer, publiquement, qu’il est le premier bailleur de la culture comorienne, comme si celle-ci se résumait aux quelques spectacles de l’Alliance française. Son discours renvoie au mépris et à l’arrogance, pour quiconque connaît ce qui se vit dans l’archipel, en matière de création », avance Soeuf Elbadawi, fondateur du Muzdalifa.
Espace culturel au caractère semi privé, obligé de s’écarter des discours officiels pour exister, et fondé sur un modèle économique solidaire, le Muzdalifa House, se voulait héritière de l’époque, où régnait l’UFAC à Ngazidja ou la JAT à Ndzuani. Avec des foyers culturels, aux initiatives généreuses et collectives, situés loin des centres de quartier à la mode, où il n’est plus question que de cours de soutien scolaire et de projet d’aide au développement, essentiellement. La plupart des nouveaux acteurs culturels sont là où leurs contemporains ont décidé de les ranger, incapable d’arracher la moindre place au monde qui les entoure, dans la subversion du sens et l’urgence du faire. Il n’y a plus aucune place pour l’invention de nouveaux possibles dans les lieux existant, « noyés qu’ils sont dans le néo conservatisme et le grand paraître des notabilisés », selon Soeuf Elbadawi.
« Les foyers culturels de quartiers, contrairement au passé glorieux des seventies, sont devenus des endroits de résignation, de faux-semblants et d’amertume consacrés, des endroits où l’on murmure nos échecs au présent, et où on a du mal à transmettre l’expérience passée. La discussion de ce que doit être la culture ou pas est devenue une abstraction. On ne sait même plus de quoi on parle dans nos petits cercles communautaires. On vit une époque où l’on jongle avec des concepts mal digérés de culture occidentale, qui font, certes, briller, les nouveaux créateurs et les intellos, mais qui oublient de réinterroger la mémoire et le paysage. Ce sont pourtant les éléments-clés, qui fondent une poétique à ce pays ».
A l’inverse de nombre de dynamiques essoufflées dans l’archipel, le Muzdalifa House, espace laboratoire, est resté une expérience de culture alternative et indépendante, tout au long de son histoire, dans un contexte de vassalité politique, où sévit l’esprit du soft power. Un bel outil de résistance intellectuelle de territoire encore sous tutelle. « Les territoires de pensée, surtout », s’exclame Soeuf Elbadawi. Longtemps lieu d’expérimentation artistique et d’agitation citoyenne, menant, y compris, une action hors les murs, dans les villes et villages de l’archipel, le Muzdalifa House se prolonge, désormais, sous la forme d’un label de diffusion culturelle, au service des contenus défendus par Washko Ink. Une plate-forme associative de production, à l’origine, entre autres, des éditions militantes Bilk & Soul, de la compagnie de théâtre O Mcezo*, du groupe de musique Mwezi WaQ. et du journal citoyen Uropve. Washko Ink. est aussi co initiateur du Badja Place, programme d’action culturelle, célébré depuis novembre dernier depuis le CCLB, le centre culturel du quartier de Badjanani à Moroni. Une page se tourne, et une autre s’écrit…
La soirée, dédiée au Hors-Série d’Africultures sur le Muzdalifa, organisée à l’occasion de la seconde édition du Badja Place du 29 mars au 2 avril, a été le moment de poser certaines questions sur les joies et les limites de l’expérience, en compagnie notamment de quelques-uns des acteurs du lieu, le poète cardiologue Anssoufouddine Mohamed, le journaliste Irchad Ousseine Djoubeir, le msa piho Mourchid Abdillah, un des principaux piliers du programme. En attendant, peut-être, que le débat sur la culture aux Comores débouche sur de nouveaux enjeux. « Un débat où il n’y aurait plus de place pour les éternels « pour » et « contre » des intellos officiels, d’après Soeuf Elbadawi, grâce auquel on pourrait s’interroger sur le contenu et le sens de ce que nous produisons ». Il y avait là aussi les habitués. Un public issu de toutes les couches sociales, qui, venant de loin pour partager des moments d’interrogation, a cru reconnaître de l’honnêteté dans le fait pour le Muzdalifa de reconnaître son incapacité à rayonner dans son propre quartier : « Nul n’est prophète en son pays. Nous n’avons jamais eu les mots pour entraîner les habitants du quartier dans cette folie, qui, pourtant interpellait tout le pays, de façon plus ou moins directe. Nous sommes dans un des quartiers les plus populaires de Moroni et nous n’avons pas su faire, à ce niveau-là ».
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