Signé de la rédaction du site Komornet, ce texte, paru en mars 2003, rendait compte d’un séminaire tenu à Mutsamudu, les 6, 7 et 8 août 2002, autour de la réorganisation du système judiciaire comorien. Revue de détails établie d’après le rapport effectué par ses organisateurs.
D’abord un extrait de l’allocution du ministre de la Justice de l’île autonome de Ndzuani à cette occasion : « Certes, la tâche de concevoir une justice rénovée, indépendante, efficace, équitable, rendue dans un délai raisonnable n’est pas facile. Néanmoins, avec vos efforts soutenus, nous arriverons à construire un Etat de droit et une société démocratique ».
Voyons ensuite les maux qui rongent la justice comorienne selon les séminaristes. Justice à deux vitesses. Corruption effrénée des magistrats. Lenteur dans le traitement des dossiers. Mainmise du politique sur le judiciaire. Marginalisation du Ministère de tutelle. Violation flagrante des statuts des magistrats. Non-respect de la déontologie et de l’éthique de la part de ces mêmes magistrats. Impunité et incompétence notoire de certains, souvent due à un phénomène de clientélisme et de recrutements abusifs. Manque d’une culture de corps. Longue remise en question du système pour dire les choses autrement…

Moyens et mission
Raisons invoquées de l’incurie actuelle par les différents séminaristes. Encore une litanie de maux. Violation du sacro-saint principe de l’indépendance des magistrats. Non-respect de leur inamovibilité. Recrutement abusif au mépris des règles statutaires. Découragement et frustration de certains magistrats, dues au fait que leurs décisions sont souvent annulées par un pouvoir exécutif peu respectueux des lois. Subordination abusive du parquet à l’exécutif. Des salaires insuffisants compte tenu de la responsabilité desdits magistrats. Insécurité et blocage des carrières. Plafond de verre en somme. Formations continues insuffisantes pour le personnel au service de la machine judiciaire. Locaux vétustes et insalubres. Equipements insuffisants et obsolètes.
Solutions préconisées par les séminaristes, afin de faire face à la situation. Création d’un Conseil Supérieur de la Magistrature, jouant pleinement son rôle dans la nomination, l’affectation, l’avancement, la notation et la valorisation des magistrats. Création d’une inspection des juridictions, notamment dans le domaine des investigations. Radiation du corps de la magistrature de tous les magistrats qui ne respectent pas la déontologie, l’éthique et le statut de leur corps. Renforcement des pouvoirs des Ministères de la Justice au niveau national et insulaire. Gestion autonome du budget de la magistrature. « Recyclage » permanent des magistrats sur place ou à l’extérieur. Nomination au sein des juridictions de juges chargés de l’exécution des décisions de justice. Renforcement du rôle du parquet dans le contrôle de la police judiciaire par la nomination au sein du parquet même d’un chef de police judiciaire. Information du public sur les structures et le fonctionnement de la justice, accompagnée d’une réintroduction de l’éducation civique dans les programmes de l’enseignement primaire. Amélioration de la situation financière des magistrats par le déblocage des avancements. Amélioration de la sécurité des magistrats. Les séminaristes ont fini par conclure sur l’inadéquation des moyens actuels de la justice par rapport à la mission qui lui est dévolue.
Au passage, quelques vérités bonnes à dire. Sur les magistrats. Le personnel est souvent peu qualifié, entre autres critiques. Des efforts sont à faire au niveau de la formation. Sur les avocats. Six avocats en exercice à ce jour, deux à Ndzuani, quatre à Ngazidja. Pas de loi régissant la profession. Sur les huissiers. Certains d’entre eux confondraient l’argent du client avec leur poche, sans être inquiétés le moins du monde. Sur les greffiers. Affaire à suivre, trop de problèmes à gérer en même temps. Sur les officiers de police judiciaire [OPJ]. Aucune relève sérieuse, alors que le métier est aujourd’hui menacé par les départs (en retraite). Sur le plan politique. Les participants ont insisté sur la nécessité de disposer d’une justice unique sur l’ensemble du territoire national. Ils ont affirmé que la justice au sein de l’Union des Comores ne peut être scindée en trois ou quatre. Elle doit être un réel pouvoir uni et indépendant, opérant dans les différentes îles.

Sur le plan matériel, revue des détails qui fâchent. Le parc immobilier de la justice comprend trois palais de justice (Moroni – Fomboni – Mutsamudu) aux locaux vétustes et insalubres. Mauvaise utilisation des équipements existants en informatique. Nécessité de bien gérer les fonds qui rentrent dans les juridictions, afin de palier aux difficultés quotidiennes des tribunaux et des cours. « En ce qui concerne les moyens de déplacement, les différentes juridictions ne disposent pas de véhicule. A Ngazidja, seuls le procureur Général et le 1er Président de la Cour d’Appel disposent chacun d’une voiture de fonction ». Encore plus scandaleux ! Le fait que les services du greffe ne disposent pas d’un service des scellés digne de ce nom. « Ainsi, il arrive parfois que des objets saisis disparaissent ». Quand on apprend que les services de greffe manquent cruellement d’endroits ou d’armoires pour stocker les dossiers, on ne s’étonne alors plus de rien… En comparaison, la révision du code pénal, dont certaines dispositions paraissent obsolètes, paraît être un jeu d’enfant.
De concert avec les politiques
En 1996, sur une page du journal Al-Watwan, l’écrivain Mohamed Toihiri exprimait son indignation face aux dérives du sytème judiciaire au niveau national. Il appelait sans excès à une réflexion sur les lois et sur leur application effective. Sur le juge et la sentence dans cet environnement insulaire. Sur l’éthique, l’application des peines ou l’institution pénitentiaire. Sur le dénuement matériel de l’institution dans son ensemble. « Nous sommes,écrivait-il alors, dans le royaume de père Ubu, revisité par Kafka ». Avait-il tort ? Probablement pas. Lorsqu’une bande de magistrats, quelques années plus tard, cherchèrent à moraliser la vie publique, l’exécutif sut très vite les calmer. Interventionnisme, passe-droits et autres moqueries se chargèrent de les refroidir. Au final, les dossiers furent classés, quand ils ne disparurent pas tout simplement des tiroirs du Palais de justice de Moroni. Très peu parmi les puissants incriminés connurent la tristesse des murs de la prison centrale. Une sorte d’immunité leur permit d’échapper à toutes les poursuites, pourtant envisageables. Les chiens aboient, dit-on, et la caravane passe. Et encore… Ils n’aboient pas aussi souvent qu’on le souhaiterait.
Conclusions ? Rien ! Sauf peut-être ce vœu signé Ahmed Ben Ali, recueilli sur le forum Habari le 1er janvier dernier : « Que l’année 2003 soit l’année du sursaut des magistrats et auxiliaires de la justice aux Comores. Que les procureurs de la république comprennent le sens réel de l’opportunité des poursuites. Comprennent qu’ils peuvent déclencher des procédures judiciaires à chaque fois que le besoin s’en fait sentir, qu’ils sont là pour faire taire les rumeurs par l’ouverture d’informations judiciaires en vue de la manifestation de la vérité. Le droit vous permet, vous les procureurs de le faire en toute indépendance. Et si une quelconque autorité vous en empêche, dites-le haut et fort, dénoncez toutes sortes d’instructions de nature, soit à influencer le cours de la justice, soit tendant à classer sans suite une affaire qui pourrait compromettre la vie politique ou privée d’une personne donnée… » Impartialité. Incorruptibilité. Indépendance. « A défaut, concluait Ben Ali à l’attention des magistrats, la société civile considérera que vous agissez de concert avec les politiques ».
La rédaction de Komornet