Uropve 9 interpelle sur la santé aux Comores

Le dernier numéro du journal citoyen Uropve est paru à la date du 31 mars 2018. Il est entièrement consacré au secteur de la santé aux Comores. Avec des articles signés à la fois par des professionnels de la santé et des journalistes, permettant de mieux saisir la complexité d’un système rendu malade par ceux-là même qui sont censés le défendre.

On l’oublie trop souvent. Mais l’hôpital public est le seul moyen pour ceux qui n’en ont pas de se faire soigner. La liste des griefs à son encontre risque d’être longue à l’heure des bilans : politique nationale discutable, incompétence dans la gestion des établissements, paresse indiscutable des personnels, irresponsabilité des médecins et des patients…

Les patients ont beau se saigner pour honorer leur facture de soins de plus en plus onéreuse, ils ne reçoivent en retour que le mépris d’un système menacé d’effondrement. Paru ce 31 mars 2018, le numéro 9 du journal Uropve tente de dresser un rapide état des lieux. Des évacuations sanitaires vécues telle une malédiction programmée aux médecines alternatives remontant aux anciens, mais désormais tenue par une poignée de charlatans. Du privé au communautaire, de la guerre menée contre le palu aux  problèmes de régulation du secteur pharmaceutique. Des scandales liés à l’absentéisme aux perspectives de relance possiblement compromises.

MH Bambao Mtsanga Couloir

Centre hospitalier de Bambao la Mtsanga à Ndzuani

Ce numéro traverse un champ miné de tous les côtés à pas  rapides, en essayant d’instruire sur les désastres à venir, si rien n’est fait pour panser les plaies d’un système rendu malade par des années d’indifférence de la part des décideurs, qui, eux, peuvent aller se faire soigner à Maurice, Aux Emirats ou en Inde. « Le système de santé souffre d’un désordre manifeste. Absence de normes, de règles de fonctionnement et d’une autorité de régulation. Manque de financement compréhensible, vu les difficultés économiques. Politique sanitaire, résultant souvent d’orientations initiées par des partenaires internationaux, qui ne tiennent pas compte des réalités du pays. La demande nationale est souvent incomprise et les actions menées sur le terrain ne répondent pas toujours aux attentes des populations. Il en résulte un gaspillage des maigres ressources existantes, avec la construction anarchique de structures inadaptées, donnant l’impression qu’il n’y a plus de carte sanitaire à respecter » écrit le Youssouf Mahamdou, médecin, chef de service ORL et CCF au CHN El Maaruf.

Entre autres problématiques, il évoque la perte du confiance du patient, qui, lui, paie de plus en plus. Nombre de malades s’en remettent ainsi à l’étranger, en espérant un léger mieux, ou se laissent manipuler par des escrocs débarqués de nulle part, mais que certaines autorités soutiennent dans des pratiques douteuses et condamnables. Médecin cardiologue à l’hôpital de Hombo, Mohamed Anssoufouddine interroge justement les dispositifs relatifs aux évacuations à l’étranger. « Ceux qui connaissent la gravité des pathologies, exigeant une évacuation sanitaire, s’attendraient au moins à une organisation des flux, liés au transfert des patients vers l’étranger »relève-t-il. C’est loin d’être le cas. « Aujourd’hui, la seule structure se rapprochant d’une telle organisation est le Comité EVASAN, qui ne répond pourtant qu’à des contingences particulières ». EVASAN ? « Un mot-miracle, mettant presque fin à tout débat sur le dénuement de la machine comorienne de santé. Par gêne ou par dépit, les citoyens préfèrent discuter d’autre chose que de leur guérison ». Dr Anssoufouddine Mohamed déconstruit les mécanismes de fonctionnement de ces évacuations à l’arrache, décrypte le parcours du combattant quia ttend le patient à l’extérieur du pays, revient sur le legs colonial, en rappelant que « c’est la crise sécessionniste de 1997 qui engendre les premières EVASAN depuis Anjouan (sous embargo) vers Mayotte. Cela a d’abord commencé avec les blessés du conflit intra comorien, avec un bras providentiel surgi de la partie occupée de l’archipel. De quoi s’interroger, sur la véritable raison d’être de cette économie pompant le désarroi des patients… »

MH Ambulance1

A Mbeni

Souef Ouessou, infirmier, anciennement employé à El Maaruf, questionne, lui, l’absentéisme des médecins et ses conséquences manifestes. « Une fois que le « hamdullilahi » de la fatalité a été prononcé, la chaîne de responsabilité, liée à la mort d’un patient, se dissout. Des mécanismes incompréhensibles se mettent ensuite en travers, pour éviter d’éventuelles enquêtes, mettant en lumière les défaillances d’un système, qui, aujourd’hui, tue, au lieu de soigner. Le manque de moyens matériel et humain, l’inexistence d’une vraie politique de gestion de risques au sein d’El-Maaruf, sont invoqués pour éviter toutes discussions qui fâchent. Mais l’absence de justice pour les familles, quand la faute est avérée, dans la prise en charge d’un patient, provoque souvent des tensions », note-t-il. Il en profite, dans un second article, pour commenter les liens sordidement entretenus entre le privé et le public, sur le dos des patients. Un médecin absent dans le public est souvent un professionnel exerçant son savoir ailleurs. Il arrive même que l’on oblige le malade à passer dans la clinique privée d’à côté pour des examens approfondis, avant de le rendre quasi mort au service public, pour s’éviter les foudres de la famille. « Il serait temps que des associations de défense du citoyen s’emparent de la question, que des voix de Stentor s’élèvent pour dénoncer ces pratiques, afin de mettre fin aux dérapages liés à ce business de la guérison, en traduisant les auteurs de bavures – fréquentes – devant la justice. Pour que chaque médecin soit enfin mis devant ses responsabilités ».

Faïza Soulé Youssouf, journaliste, pointe sur une avancée, celle de la lutte contre le palu au niveau national, tout en y ajoutant quelques bémols, au passage. « L’année 2018 devait donc être celle du zéro cas de palu. Vraisemblablement, il y a loin de la coupe aux lèvres.  Personne ne s’y attendait, mais il y a eu près de 30 personnes infectées à Mwali en janvier. Une équipe  du programme national de la lutte contre la maladie (PNLPP) a permis d’empêcher sa propagation. Au 10 février, aucun malade n’a été enregistré, à Fomboni. A Ngazidja, par contre, il y a eu 500 cas signalés, rien qu’au mois de janvier[1]. Un chiffre qui devait doubler en février, selon le Dr Hafidhou Mohamed, du Comité de suivi et évaluation ».  Le traitement de masse réalisé à base d’artéquick, en partenariat avec les chinois, a permis, conjugués à d’autres politiques développés en la matière, d’aboutir à des résultats remarquables, selon elle : « Avant d’en venir à un traitement de masse, les autorités, aidées de leurs partenaires, ont mis nombre de mesures en place. Parmi lesquelles, une prise en charge gratuite des patients, une lutte anti vectorielle, une distribution universelle de moustiquaires imprégnées d’insecticide et une pulvérisation intra-domiciliaire d’insecticides (une des principales méthodes utilisées pour lutter contre le paludisme sur une grande échelle) ». Le pays n’en a pas fini avec les moustiques. Mais on en est plus aux statistiques étatiques de 2006, qui rendaient le paludisme responsable « de plus de 38% des consultations externes, 60% des hospitalisations dans leś structures sanitaires et représente 42 % de la morbidité générale ».

MH MwaliPalu1

A l’hôpital de Fomboni à Mwali

Autre problématique soulevée par ce numéro 9 du journal Uropve, celle du secteur pharmaceutique. Un article, signé Kamardine Soulé, constate : « Entre le commerce de médicaments contrefaits, y compris dans les officines officielles, et les conflits de compétence, concernant les autorisations de mise sur le marché de produits de santé, le secteur pharmaceutique aspire encore à une véritable régulation ». Aucune statistique fiable, pas de législationde contrôle effectif, aucun recours pour le citoyen abusé par des faux médicaments, aucune traçabilité pour confondante pour la plupart des produits mis sur le marché. Une situation qui perdure depuis la mise en liquidation de la PNAC (Pharmacie Nationale Autonome des Comores) pour mauvaises gestions et malversations. L’Etat lui-même donne l’impression de bricoler sur cette question : « Pour la petite histoire, il faut rappeler que la PNAC  fut liquidée  à un moment, où  le pays avait un pharmacien de formation à sa tête. Son ministre de la santé était également une pharmacienne. Et tous deux étaient propriétaires d’officines privées de vente de médicaments ». L’année dernière, l’Inspection générale de la santé s’était rendu compte que « 114 sur 137 pharmacies et dépôts pharmaceutiques privés étaient ouverts de manière illégale ». Ce qui n’arrange rien dans un paysage aussi distordu en matière de santé publique.

A lire ce dernier numéro du journal Uropve, également co signé par Madi Mihidjayi sur les limites de l’investissement communautaire en la matière, on se rend bien compte que les problèmes aux Comores sont d’abord d’ordre structurel. Il faudrait pouvoir tout remettre à plat. Pour pouvoir disposer d’indicatifs dignes de confiance, améliorer la qualité des soins, se doter d’une politique volontariste au niveau de l’Union, investir en locaux, en équipements techniques, et aussi en moyens humains. Ce qui n’est pas pour demain…

Ben

[1]En 2016, certains chiffres disaient qu’il y aurait eu moins de 2 cas pour 1.000 habitants à Ngazidja. Ce qui correspondait à une phase de pré-élimination évidente. Mais la rechute aurait déjà commencé sur ce même territoire en 2017, avec 5,9 cas pour le même nombre d’habitants.
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