Upezo, troisième opus du rappeur, sorti en juillet 2017, arpente calmement les charts. Dans les taxis, les boîtes de nuit, les fêtes de famille. Sur les réseaux sociaux, les télés satellitaires, sur RFI ou Africa N°1. Cheikh Mc se lance bientôt dans une grande tournée à l’international, après avoir couru les campagnes comoriennes, afin de roder son show avec trois bouts de ficelle. Reprise d’un article paru sur Mwezi Mag en avril 2018.
Il rêve de grandes scènes à l’étranger. « N’oublions pas le but. On veut que le monde écoute le bled et on est sur la bonne voie. Tous ensemble, on pourra. Comme on y croit, rien ne nous arrêtera. Laissez-les essayer de nous mettre des bâtons dans les roues. On connaît notre force », écrivait-il sur un post facebook à la sortie de son concert de lancement du dernier disque, Upezo, en juillet. Avec ou sans big band, il fait de toutes façons le show depuis. Des concerts à deux cents fans comme à plus de mille. Son succès en agace certains. Mais il en ravit d’autres. Ainsi vont les stars de sa trempe. A trop planer au-dessus de la scène, elles suscitent du ressentiment, de la jalousie, du bonheur et de l’émerveillement, tout à la fois. Et comme d’autres avant lui, Cheikh Mc a ses petits anti et ses grands fans, sous les mêmes badamiers de la capitale. Mais si le débat reste ouvert, sur qui l’aime, qui ne l’aime pas, on est bien obligé de reconnaître qu’il est parmi les plus médiatisés des artistes émergeant du chapiteau sans toit de l’archipel. A Volo Volo, le fan de base est sûr d’une chose. « C’est le meilleur de tous. Sinon, on ne le piraterait pas autant ».
Le clip de Djibuwe, avec Samra en feat.
Pas le droit à la contradiction : « Ici, tout le monde l’adore. Trouvez-vous un autre public, si vous n’êtes pas d’accord ». Chez Nassib, non loin du marché, un confrère, rappeur, nuance, mais exige l’anonymat, pour éviter qu’on le confonde avec les jaloux. « Cheikh a été le plus malin de nous tous, le plus organisé aussi. Ce n’est pas étonnant. Il a été un des premiers à prendre le rap d’as- saut, il y a vingt ans. Mais c’est vrai que maintenant qu’il veut atteindre la scène internationale, il a tendance à se tailler un costume un peu trop grand pour lui, même si rien n’est tout à fait faux dans ce qu’il dit. Quand on l’écoute sur RFI, par exemple, on a l’impression que c’est un guerrier de la révolution et qu’il se fait sans cesse menacer par les forces de l’ordre. Je reconnais qu’il évolue, qu’il est plus offensif dans son discours, mais s’il y a quelqu’un en danger dans ce pays, ce n’est pas lui. Il ne faut peut-être pas exagérer ».
Celui qui cause partage son petit-déjeuner avec une amie, qui, elle, est fan : « Vous êtes tous pareils. A toujours taper sur le premier qui arrive sur la ligne d’arrivée. Cheikh, il vous bat tous à la course. Il vient comme vous d’ici et s’apprête à briller à l’international. Au lieu de l’accompagner ou d’en profiter – et pourquoi pas ? – vous êtes tous là à lui arracher les poils par jalousie. Tu ne peux pas dire qu’il n’a jamais été arrêté. C’est vrai qu’il est le fils d’une bonne famille. Mais ça ne l’a pas empêché d’écrire Mwambiye, pour dire ses quatre vérités au président Azali, et il l’a fait avec tous les pouvoirs depuis ses débuts. Et c’est vrai aussi qu’on l’a emmerdé pour ça, même si à chaque fois quelqu’un est intervenu pour qu’on lui lâche la grappe ». Autrement dit, Cheik Mc ne saute pas sans filets, y compris lorsqu’il s’attaque au président Ikililou, avec des graffitis accusateurs sur un mur de son quartier, à Mtsangani, la veille d’une sortie de clip. Révolution, qui n’est même pas sorti le jour annoncé, pour raisons techniques. En tous cas, aussitôt pris, aussitôt relâché. La fan explique : « Oui, les flics l’ont relâché, mais dis-moi quel autre artiste, sur cette scène, s’est déjà retrouvé en cellule, pour avoir dit ce qu’il pensait ces dernières années ? Maalesh, peut- être ! Qui d’autre ? ». C’est dit, c’est clair, c’est cash.
Cheikh Mc en live sur la place Ajao pour l’Unicef à Moroni.
Quoi que l’on pense, Cheikh Mc, signataire de l’appel des 43, pour la pour- suite d’un dialogue fédérateur dans les assises nationales, reste une valeur sûre du rap comorien, qui aspire à grandir, jusqu’à se hisser sur le podium à l’international. Il est vrai qu’il n’est pas censuré, pas ostracisé. Il est un des rares de sa génération à circuler avec autant de facilité dans les quatre îles. Il est même très apprécié par certains organismes tels que l’UNICEF, qui l’utilise pour ses campagnes de sensibilisation, dans le domaine de la protection de l’enfance. Il est surtout plébiscité par une certaine jeunesse happée par le mirage urbain de l’ouverture au monde, via réseaux sociaux et canal satellitaire. Ce qui est perçu comme une menace potentielle par beaucoup. « De manière générale, confiait-il, sur RFI, les adultes, on va dire, les politiciens, ont peur de ce discours. Et à chaque fois que je parle, il y a des menaces. Donc j’ai vraiment envie d’aller partout, là où on a la liberté de parler, pour dire que vous pouvez faire ce que vous voulez, mais nous aussi, on peut faire ce qu’on veut, et nous on est prêt à se battre pour notre démocratie ».
Un discours qui peut être mal interprété, considéré comme l’annonce d’une révolte qui ne dit pas encore son nom. Upezo, le dernier album, ne déroge pas à cette règle. Son titre, emprunté à une expression consacrée dans l’imaginaire local (upezo wa matso), voudrait dire « projection » dans le temps ou à l’horizon. Il est synonyme de vision (uwoni) et se traduit chez l’artiste par une volonté de prendre du recul sur le réel, en dressant un état des lieux du pays et en s’attaquant au « mental » du Comorien. « On a été entraîné à être négatif et à ne pas croire à un changement possible ou à une vie meilleure. Ça c’est depuis la colonisation. Donc le travail doit être fait [pour une] révolution des mentalités […] c’est le travail que je fais ». Les 21 titres de l’album Upezo se revendiquent tous de cette grille de lecture. L’artiste s’apprête à déconstruire les horizons bouchés et à offrir des rêves de révolution à ses jeunes compatriotes. Ce qui conforte l’idée que «certains le copient, sans le dépasser. Cheikh Mc nous donne envie de nous bouger le cul. C’est un cadeau que la plupart des artistes n’arrivent plus à offrir ici », dit la fan chez Nassib. « Mais est-il capable d’aller jusqu’au bout de son discours ? », demande son ami, le rappeur. « Chaque chose en son temps », rétorque la jeune fille.
Le public de la place Ajao pour Cheikh Mc.
Sans prendre eau de tous côtés, la discussion entre les deux complices menace de s’enliser, voire de tourner en rond. Un peu comme ce que figure la toute dernière chanson de l’album Upezo, où l’artiste, par-delà la rythmique du sambe, utilise une partition de cette danse (iduru sha sambe) pour figurer un mauvais sort jeté sur la tête de ses compatriotes : « C’est une partie de cette danse, où on tourne en rond de façon individuelle. On commence par tourner en rond, de façon collective, et on finit par tourner en rond, de façon individuelle » dit-il. Cheik Mc essaie d’établir un parallèle entre cette figure de danse et l’esprit du Comorien, « qui tourne en rond aussi ». A trop deviser sur les mêmes histoires, on finirait donc par noyer la parole, avec le risque d’en perdre le sens. Un piège auquel se refuse son flow, qui, lui s’en prend aux abus, aux tabous, aux marqueurs sociaux, aux fictions familiales, dont Djibuwe, le titre-phare, est un parfait exemple. Une parodie taillée à demi mots contre l’arrogance des bien-nés. Une preuve, s’il en est, de sa capacité à faire face à la bonne société, de laquelle il s’extrait pour décortiquer des travers bien connus de tous. Alors, trop grand le costume ou pas ? Cheik Mc ne rechigne pas à la tâche. Il reste sans concessions dans ses textes.
Med