La dernière livraison du journal Uropve (n°10) se penche sur l’économie de l’archipel. Un état des lieux édifiant, à l’heure où le gouvernement de l’Union se gargarise avec des chiffres, qui demandent à être analysés avec prudence.
On devrait tous le savoir. C’est absurde de noyer le destin d’un pays dans des chiffres qu’aucun représentant élu ne peut évaluer, fautes d’unité de mesure conséquente. Les statistiques sont cette arnaque de consultants dans un pays, où la grande moitié de la population se refuse au principe basique du recensement. A force de petits arrangements, les analyses paraissent souvent approximatives. Mais le fait est que l’institution a toujours besoin de chiffres pour se prouver à elle-même qu’elle bosse. En 2017, le citoyen comorien a donc eu droit à son lot de chiffres pour la fête du nouvel an. La statistique la plus impressionnante de toutes étant celle qui fait reculer le seuil de pauvreté. Comparée à 2004, où la pauvreté était située à hauteur de 44,9% ( ?), on peut parler d’un grand bond en avant, puisqu’elle est descendue, désormais, nous dit-on, à 34,3%. Savoir ensuite que 17% de la population tente de survivre avec moins de 2 dollars par jour peut être alors une promesse d’émergence. Ce que le pouvoir de l’Union ne cesse de brandir pour l’horizon 2030, en ajoutant que la croissance, cette année, est à 3%, pendant que l’inflation est sous contrôle.
Mange-t-on mieux pour autant ? Bénéficie-t-on d’un système de santé digne de ce nom ? Avons-nous l’espoir d’une remise en question du programme d’éducation nationale ? Y a-t-il une politique efficace ramenant de l’emploi et des salaires satisfaisants ? Non ! Mais le secrétaire général de la commission de l’Océan indien, Hamada Madi Boléro, apprécie de pouvoir se réclamer d’une « population moins pauvre », même si l’Etat, lui, semble limité dans ses projections. Le ministre des finances, Said Ali Chayhane, est content d’aligner ses 15 milliards fc de recettes intérieures au premier trimestre 2018. Donc difficile d’en vouloir au président Azali Assoumani. Au fond, ce n’est pas de sa faute, si une grande moitié de la population se retrouve en situation de mendicité permanente. Ce n’est un secret pour personne : le Comorien ment pour s’en sortir, arnaque le système autant que possible, se convainc de devoir vivre dans l’impunité la plus totale. Qui irait accuser un président pour des pratiques que l’on sait ancrées dans l’imaginaire de ses concitoyens depuis des lustres ? L’absurdité a ses limites que seule la raison invoque, n’est-ce pas ?
Vendeurs ambulants à Moroni la veille d’une fin de ramadan.
Ces questions mériteraient pourtant un bras de fer au sein de l’assemblée nationale, et sur l’ensemble de nos places publiques. Non pas que le récent débat sur la constitution ne soit pas essentiel, mais l’opposition pourrait s’intéresser à la manière dont on libéralise et dérégule l’économie de l’archipel pour nous éviter le pire. Le combat politique ne sert pas qu’à produire du discours, pro ou anti. La politique est l’endroit où l’on discute de ce qui nous pend au nez pour demain. D’où l’intérêt de ce numéro du journal Uropve, paru fin juillet. Avec un contenu probablement destiné à rendre compte du désastre. Il y est question du commerce informel, qui rend nos partenaires zinzins, au point que l’Etat a du s’emparer de la figure du toua ndrenge pour la stigmatiser, alors qu’elle est synonyme de débrouille et d’espérance pour le citoyen.
Uropve écrit : « les towa ndrenge grandissent dans un monde qui leur ressemble. Ce ne sont pas des banquiers, ni des experts en économie. Ils sont comme le reste de la population, c’est-à-dire des gens qui ne seront jamais riches, mais qui parviennent à gagner de quoi conjuguer l’espérance, au jour le jour ».Pourquoi s’attaquer, méchamment ? En dehors du fait d’enrichir les entreprises étrangères, l’économie de ce pays ne repose que sur ces informels (paysans, pêcheurs, tailleurs, ou vendeurs de mabawa et de yaourt), qui, certes, ne reversent aucune taxe à l’Etat, mais préservent le citoyen du pire. Il n’y a aucun doute que sans cette soupape de sécurité, le peuple prendrait la rue contre les effets d’annonce de l’émergence, et ce, malgré la violence institutionnelle, qui augmente.
En parlant des investissements directs étrangers dans le pays (IDE), Uropve rappelle les aventures incroyables de l’escroc Bashar Kiwan, aujourd’hui poursuivi, y compris par ses amis d’hier. Un cas d’école pour l’Agence Nationale pour les Investissements (ANPI), qui a l’air de bafouiller, en parlant de la dot promise aux entreprises étrangères, à l’arrivée sur le sol national. Un rapport du FMI en 2015 exprimait déjà cette inquiétude : « Les Comores sont un des rares pays qui offrent de manière totalement discrétionnaire des exonérations fiscales à tous les niveaux. L’Etat les accorde aussi bien dans le droit commun, le code des investissements, au niveau des conventions particulières et dans le cadre des opérations de développement sur financements extérieurs ».
Bashar kiwan en prière avec des notables pour le projet irréalisé du lac salé .
Un vrai bonheur pour des hommes d’affaires soucieux de rentabiliser leur business, sans éthique, ni principe contraignant. Même Beït-Salam l’affirme sur son site : le code du travail a été simplifié, en faveur ces hommes d’affaires. Et pourtant, le miracle ne se produit qu’à moitié. « Sur dix entrepreneurs nationaux interrogés, sept d’entre eux pensent que ces investisseurs […] s’en viennent pour détrousser le pays, et non pour l’enrichir ». Les cas de Telma, de Bolloré ou d’El Marwan laissent perplexes. Où il est rappelé ce propos de l’ancien éditorialiste du journal Al-Watwan, Ahmed Ali Amir, qui, en 2008, pointe du doigt sur cette « concurrence étrangère considérée comme déloyale ». L’article de Uropve insiste sur la responsabilité de l’Etat dans ces dynamiques d’investissement, où les étrangers se comportent tels de nouveaux conquérants dans le pays. On n’est quand même pas en colonie ? Quoi que…
Ce numéro parle de la guerre promise autour des blocs d’or noir dans l’archipel. Il s’interroge sur le plus gros braquage que le pays ait connu justement depuis la colonisation française, celui de la citoyenneté économique. Uropve s’intéresse à la manière, dont se gère la manne financière de la diaspora comorienne, et dresse un état des lieux de la rente agricole (vanille, ylang-ylang, girofle), tout en s’imaginant que le temps est venu pour que les pêcheurs de l’Union profitent des eaux de leur pays. « Faut-il le rappeler ? Les Comores disposent d’une zone exclusive représentant plus de 70 fois la taille du pays. Un trésor inestimable pour l’indépendance économique de l’archipel », écrit Kamardine Soulé, qui considère la remise en cause récente de l’accord de pêche avec l’Union Européenne comme une chance dans cet archipel, où le poisson devient étrangement rare pour ses riverains.
Une vue de Mamudzu depuis le haut de la ville.
Un article de ce dernier numéro se consacre à Mayotte, suite au rapport récemment remis par la CRC Mayotte-Réunion : « Histoire d’un régime d’exception, qui, profitant à beaucoup, finit par légitimer son droit de contourner les lois de la république[française], sans risquer de sanctions. A Mayotte, les élus et leurs protégés se servent dans la marmite de l’Etat, sans jamais avoir à justifier leur train de vie. Une raison suffisante pour que les Mahorais s’accrochent encore au rêve français, puisque ces mêmes élus redistribuent, de façon assez singulière, une partie de leur butin ». Tout est dit en ces quelques mots par Soula B. Un drôle de réquisitoire, digne d’un feuilleton de république bananière. La France à Mayotte entretient un bordel fait d’exceptions, en n’oubliant peut-être que l’avenir de cette île pourrait se négocier dans son giron naturel et historique. Car comment penser, à moins de renforcer les principes de dépendance avec la Métropole, que les Mahorais puissent un niveau d’existence économique intéressant sans tenir compte du marché qui les entoure ? Une absurdité de plus au pays des sultans blancs…
Ce numéro du journal Uropve est le dixième depuis son lancement en 2015. Pour célébrer ce premier temps d’existence du média alternatif, ses promoteurs envisagent de sortir en décembre un hors-série (Fali), rassemblant les principaux écrits des deux premières années. Initialement, il était question de produire une revue, avec un contenu rehaussé, mais le contexte politique étant ce qu’il est, l’alternative du hors-série semble l’emporter sur le projet de revue. Uropve a été créé dans le but d’offrir des outils de réflexion aux citoyens de l’archipel, sur leurs réalités passées, présentes et à venir. Un réseau d’environ 500 citoyens-contributeurs le reçoit tous les quatre mois. Il semble qu’il soit devenu un collector que se repassent des lecteurs, y compris hors réseau. Les responsables du journal avancent le chiffre d’au moins 1500 abonnés (3 lecteurs par numéro distribué), mais ne souhaitent pas élargir ce lectorat immédiat, afin de pouvoir poursuivre l’aventure à hauteur d’homme. Le prochain numéro est prévu pour novembre. Il sera dédié à la jeunesse de l’archipel.
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