Nde Mbwana

Un collectif d’artistes, poètes, intellectuels et professionnels de la culture lance un appel, invitant leurs collègues et amis à réfléchir ensemble au devenir de la scène culturelle comorienne. Un appel ouvert, et qui suppose une meilleure implication de tous dans la promotion et la défense des intérêts du secteur.

Ceci est un appel pour dire que le temps est venu pour nous de réfléchir à notre avenir. Nous, artistes, poètes, intellectuels et professionnels de la culture dans l’archipel. Des gens qui, souvent, donnent l’impression de se complaire dans une bulle, sciemment déconnectée de la réalité de leurs concitoyens. Certains nous assimilent à des dealers de rêve, qui ne pensent souvent qu’à leur propre survie, et rarement au destin d’un pays.

La tradition de cet archipel a toujours fait place à la création. Sans doute, parce qu’elle lui arrivait de répondre à des nécessités immédiates. Depuis 1968 s’est imposée l’idée d’une culture nouvelle – msomo wa nyumeni– susceptible de contribuer au destin du pays. Cette idée a inspiré bien des carrières parmi les créateurs actuellement consacrés. Mais elle n’a pas toujours atteint les ambitions, qui étaient les siennes. Celles d’une transformation sociale et politique collective, et effective. Et sans doute qu’il y a eu beaucoup de rancoeurs et d’inimitiés entretenues dans les dynamiques à l’époque…

Depuis l’échec proclamé de la révolution soilihiste, les artistes, les poètes, les intellectuels et les professionnels de la culture sont devenus de simples cautions à des causes, qui, parfois, n’entretiennent aucune relation avec leurs réalités, leurs envies, leurs actions. Il en est même qui ressemblent à des caricatures du monde capitaliste et consumériste. Nous, qui signons cet appel, souhaitons réinventer nos cadres de pensée et d’action, imaginer d’autres tracés pour la culture de ce pays, inscrire nos pas dans un imaginaire, où la démesure nous oblige à plus d’audace et de génie. Nous ne sommes pas que les pantins d’une histoire écrite d’avance par nos aînés. Nous sommes capables de nous pencher sur nos fragilités et d’apporter des perspectives nouvelles, là où l’horizon semble obstrué.

Nous ne pouvons laisser à d’autres le soin de mener ce combat à notre place. Nous méritons une digne place dans cette société, où la culture, plus que jamais, incarne un espace de résistance contre les temps gris, qui s’annoncent. Faire front commun pour le devenir de notre scène culturelle, en ne privilégiant pas que le discours du legs, c’est ce que nous appelons, nos collègues producteurs de sens et de formes, à faire à nos côtés. Il est des questions sur lesquelles nous devons nous recentrer. Statut et droits du créateur, politique de soutien, circulation des biens culturels, mobilité des professionnels, promotion des savoir-faire, formation et suivi des plus jeunes, défense des droits liés à l’activité, etc.

Nous, artistes, poètes, intellectuels et professionnels de la culture, avons beaucoup à apporter à ce pays, et à recevoir également. Nous sommes tous porteurs de vie pour les générations à venir. Nous devons œuvrer à les surprendre. Nous pencher sur nos esthétiques, les ancrer dans une mémoire et un paysage, afin de déterminer ce que nous avons à partager avec le monde alentour. C’est la raison pour laquelle nous invitons nos collègues à rejoindre cet appel, afin de tisser le récit à venir de nos imaginaires, aujourd’hui, à l’étroit. Finie l’époque de la main tendue. Le temps est venu pour nous de prendre notre situation en main, en instruisant d’autres codes, d’autres langages, susceptibles de faire bouger les lignes. Rien ne nous oblige à mendier notre existence.

Moroni, le jeudi 25 octobre 2018

Premiers signataires : Anssoufouddine Mohamed (poète), Akeem Ibrahim Washko (chorégraphe), Soeuf Elbadawi (auteur et metteur en scène), Eliasse (auteur-compositeur), Cheikh MC (auteur-compositeur), Hachimiya Ahamada (cinéaste). Autres signataires : Ast (auteur-compositeur), Zahariya (auteur et interprèle), Jetcn Balancier (auteur et interprète), Oluren Fekre (auteur), Ikmal Anissi (danseur chorégraphe ), Mo Absoir (slameur), Abdallah Chihabiddine (acteur culturel). Pour se joindre à cette liste, nous écrire ou contacter l’un de ces premiers signataires.