Le numéro 2 de Mwezi Mag, le média culturel, lancé, il y a quelques mois, par la compagnie Ab Aviation, vient de sortir. Avec un sommaire au feu nourri. Un contenu réinterrogeant cet archipel dans son imaginaire profond. Ndzuani y apparaît en beauté, malgré le poids des vieux clichés.
Papier glacé, écriture soignée, sujets rarement débattus dans l’opinion. La culture de ce pays continue à prendre de la hauteur dans les pages du mag. La Une fait la part belle aux vestiges de la médina. Erigé en 1670 par Karima Binti Said Ankili, le minaret de la grande mosquée (mkira djumwa) y apparaît aux aurores. Un reportage sur Mutsa renverse le miroir du poète Zamir, en se référant aux pages de son premier roman, Anguille sous roche, paru aux éditions Tripode à Paris. Il y est précisé qu’il est « le premier à tripatouiller la vie des siens, avec autant de succès ». Ses premiers écrits, en effet, ont été accueillis en fanfare par la presse francophone.
Ce numéro du mag est aussi l’occasion de redécouvrir le patrimoine d’une ville accrochée à ses vieux souvenirs, bien que son destin soit porté par la dynamique d’un port – le plus important de l’Union des Comores – ouvert aux quatre vents. L’article tente de retracer une topographie intime, en partant du cœur de cette cité. La médina, hantée par des fantômes de sultans arabo perses et défendue par des familles retranchées derrière leurs « portes sculptées aux lourdes ferrures ». Du Sineju, la citadelle, bâtie au 18ème par Abdallah 1er aux venelles sombres remplies d’échoppes, en passant par le palais en rénovation de l’Ujumbe, on y lit le récit d’un chef-lieu en pleine mutation, mais sans qui les personnages de Zamir n’auraient pu exister. Un bel hommage…
Le linguiste comorien Chamanga à Paris.
Mwezi Mag rend également hommage au linguiste en chef de l’archipel, Mohamed-Ahmed Chamanga, dont la patience face aux manquements de l’Etat par rapport à la langue des riverains de ce pays demeure sans limites. Convaincu de sa mission, mais lucide, il affirme : « On travaille à vide ». Faute de volonté politique, sans doute ! Un article de Fathate Hassan est consacré au poète « illuminé » de Mirontsy, Saindoune Ben Ali, auteur des Testaments de transhumance (Komedit) : « Une figure marquante du paysage. Par son esthétique scripturaire. Une écriture novatrice, renouant avec l’imaginaire du pays, mettant en exergue l’Histoire éclatée, interrogeant la mémoire occultée ». Un poète inspirant toute une génération. Une double page rend ensuite compte de l’expérience brinquebalante du Medina festival, le plus grand rendez-vous musical de l’archipel que l’Etat gagnerait probablement à soutenir. Cette année, on a pu y voir Baco Ali, « le roi du mgodro brut », et Halidi Daniel, un enfant terrible de la pop comorienne, fondateur consacré du groupe Djimbo.
La plume de Farah Zineb relate la fabuleuse histoire de la poupée anjouanaise, du temps des m’vangati à nos jours. C’était bien avant l’intrusion de la poupée Barbie noire dans le paysage. Il y est question de petites filles, parties chercher leur jouet au royaume des ombres. L’article rappelle le travail minutieux de Mma Fatima Baraka et de Mma Sitti Bourahima, toutes deux, aujourd’hui, disparues. Il raconte aussi l’invention de la poupée galet par un couple de missionnaires suisses, qui ont transmis cet art improvisé au duo Ali Youssouf – Allaoui Ousseine, dont le container, servant d’atelier à tout faire à Moroni Ambassadeur, est désormais connu de tous les touristes de passage. Leur créature, « qui se distingue des poupées de noces traditionnelles a les traits ‘un poupon nippon ou d’une poupée gigogne russe. Elle n’entre pas du tout dans l’imagerie de la sultane aux parures joyeuses, mais elle a l’avantage de figurer la grâce et la modestie des femmes du peuple. Son shiromani exprime une forme d’humilité certaine, qui fascine et charrie du respect ».
Une poupée anjouanaise à l’ancienne.
Un papier signé de Rehman Saïd recense le premier film comorien, consacré sur la scène francophone. Il s’agit de Baco, de Ouméma Mamadaly et Kabire Fidaaly : « Une fable familiale, rappelant de loin la pagaille politique du temps de Djohar ». Le film avait reçu le prix du jury au Fespaco à Ouaga. « Un film résolument citoyen, de par son questionnement sur l’autorité ». Un film qui parle de traditions à renouveler, de culture de rente, de femmes en lutte, et, surtout, « des déboires d’une société en crise, où les décideurs ne songent au citoyen que lorsque s’annoncent des élections ». Une chronique est consacrée au peintre Chakri. Autodidacte, anciennment employé à la SOPAC, il est l’un des fondateurs de Simbo Art, la première structure rassemblant les plasticiens de l’archipel. Connu pour son travail sur Mayotte, ce dernier se souvient de ses débuts, où il travaillait sur un matériau aussi difforme que le difu, avec de la peinture de récup. Cette chronique est suivi par un magnifique portfolio, dont les images, signées par Soeuf Elbadawi, laissent entrevoir une nature de Ndzuani, peu promue dans les discours sur le tourisme. Celle des baobabs de Hamabawa, de la plage de galets de Chiroroni, des rizières du Nyumakele, de la mangrove des îlots à Bimbini ou du lac de Dzialandze. Une page suggère un circuit express de l’île, pour conclure.
Un numéro d’une très belle facture (maquette de Bruno Chizat), qui porte un regard singulier sur Ndzuani. Avec un contenu que l’on retrouve assez peu dans les médias de la place. On y ressent ce besoin de réinventer un langage sur les pratiques culturelles de ce pays. Un parti pris traduisant la volonté de ses promoteurs, parmi lesquels se trouve Ayad Bourhane, connu pour pratiquer assidûment une forme de mécénat des arts. Il est notamment le principal supporter de l’œuvre de Marcel Séjour, peintre français installé à Mayotte depuis des années. Mwezi Mag se positionne dans un contexte, où les créateurs se plaignent souvent de la manière dont le pays les néglige. Le mag est exigeant, pointu et agréable à lire. C’est le premier média du genre dans cet espace en crise, où les productions culturelles sont d’ordinaire réduit à leur plus simple expression.
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