Un texte de Karibangwe, publié sur le website Komornet, aujourd’hui disparu. Il porte sur l’album Zaïnaba/ Chants de femmes des Comores, sorti en 2005 chez Buda Musique à Paris. Un projet en hommage au patrimoine des Comores.
Il y a d’abord la voix. Une voix jusque-là plutôt desservie par quelques projets de variété sans trop d’envergure. Des projets qui ont néanmoins permis à Zaïnaba, femme au regard rayonnant et à la plume généreuse, d’imposer définitivement sa patte sur la scène de l’Archipel. Deux albums en auto-production, des featurings, notamment sur une production de l’allemand Werner Graebner, paru chez Dizim Records, un répertoire de chants de mariage et de louange sur commande ou payé à la petite semaine… la carrière de cette artiste, que l’on compare souvent avec Chamsia Sagaf parce que venant toutes deux du même village, Mitsamiouli, dans le nord de Ngazidja, a connu, à l’instar d’autres artistes comoriens, un destin plus que discret, dans la mesure où elle ne touchait que le public comoro-comorien jusqu’alors. Manque de moyens évident et incapacité (par ailleurs) à s’engouffrer sur la grande scène des musiques du monde. Une scène sur laquelle les quelques artistes du cru à se faire remarquer évoluent bien souvent à l’étranger, avec une carrière nationale très peu consacrée dans l’ensemble.
Avec cet album, qui porte son nom, l’artiste entame une seconde vie musicale. Au mieux, elle va séduire un nouveau public, plus large. Au pire, elle combattra sur deux fronts, avec des albums uniquement destinés à son public comorien et des albums plus ouverts à la scène internationale, un peu comme le faisait Papa Wemba à une époque. Car cet album a aussi un avantage non négligeable sur son avenir. Grâce à cette production, elle devient la première artiste 100% pays à signer avec une maison de disque à l’étranger. Un vrai pari pour une artiste qui ne naviguait pas jusque-là dans les mêmes eaux que les Nawal, Mikidache, Baco ou Djama.
Sur la scène de l’Alliance française pour le Komor4 Festival à Moroni.
Des artistes d’origine comorienne, également signés à l’extérieur du pays, mais qui ont la particularité de résider en France ou dans les autres pays étrangers où ils font évoluer leurs carrières respectives, avec des ambitions qui débordent largement le « milieu » comorien dès le départ. Alors que Zaïnaba, avant cet album, n’évoluait essentiellement que dans une catégorie nationale, fonctionnant en circuit fermé, où les ventes de disques (destinés aux seuls Comoriens) stagnent en moyenne autour de 3000 exemplaires, sur place au pays, ainsi qu’en milieu communautaire fermé, au sein de la diaspora comorienne en France par exemple. Des artistes « communautaires » qui ne rencontrent que trop peu les médias, les tourneurs ou les programmateurs sur la scène internationale. En signant chez Buda Musique et en étant distribuée par Universal Musical, grâce à ce label parisien, Zaïnaba, l’artiste-pays, change pratiquement de monde et d’ambitions. Elle entre peut-être dans la cour des grands. Un privilège que ne connaissent pas encore certaines stars de sa catégorie sur la scène nationale tels que Salim Ali Amir ou Peta, plutôt habitués au public made in bled.
Certes, Maalesh, qui est aussi un artiste-pays, à classer dans la même catégorie, a eu un petit passage chez Mélodie à Paris. Mais il s’agissait d’un simple contrat de distribution sur un album qui avait déjà été écoulé sur la place de Moroni. Avec Zaïnaba, un album entièrement produit par Buda, sur une idée de Soeuf Elbadawi, dont la collaboration avec label remonte à une première compilation parue en 1998 sur les musiques traditionnelles de l’Archipel, la chanteuse du fameux tube Miandi va pouvoir prétendre à un nouveau destin. Une ambition qui se ressent même au niveau du répertoire mis en boîte ici. Elle reprend des chants du répertoire féminin de Ngazidja dans cette aventure, des chants que l’on pensait condamnés à jamais par la volonté partagée par tous nos artistes-pays de défendre une variété sous influence zouk, souvent trop marquée par la programmation synthé, tendance boîte à rythme. C’était le cas des premiers enregistrements de Zaïnaba. Ce n’est pas du tout le cas avec cet opus, aux arrangements très dépouillés (voix et percussions) et très fidèles à la tradition. Zaïnaba – l’album – s’écoute comme une première leçon de ressourcement musical.
Modeste projet et grandes ambitions
Soeuf Elbadawi, producteur artistique de cette belle aventure, a ressorti de vieux bora, mayimbiyo et wadaha washi ngazidja, pour promouvoir notre culture au-delà de l’Archipel. « C’est un projet qui devrait théoriquement plaire à beaucoup de Comoriens, dit-il, car il fait appel au patrimoine de notre enfance, un patrimoine aujourd’hui malmené de tous côtés, négligé par les artistes actuels ou non valorisé. Je n’ai rien contre la mode du zouk ou ndombolo. Mais je pense que c’est le rôle de nos artistes-phares, Zaïnaba notamment, de rendre vie à ce qui est en train de disparaître de notre environnement sonore, qui a existé bien avant notre venue en ce monde, et qui a enchanté nos jeux les plus innocents. Je pense qu’avant de nous entraîner sur d’autres rivages, avant de nous faire partager d’autres influences, les artistes comoriens pourraient nous rappeler à ce qui les fonde aujourd’hui, à ce qui fait la richesse et la diversité de leur identité musicale. Avant le zouk aux Comores, il y eut autre chose. Voilà pourquoi nous avons fait un album comme celui-là, pour rappeler à tous ce que nous sommes aussi, les fils et les filles d’une histoire longue de plusieurs siècles et chargée de legs, y compris sur le plan musical. Nos chants de femmes nous ramènent à une mémoire collective que nous ignorons volontiers de nos jours ».
Dans le lot, on retiendra un titre de nyamadziya, un genre qui a totalement disparu de nos ondes radiophoniques, dont personne ne peut se targuer de posséder le moindre enregistrement. On pourrait également citer le morceau hwimbia ikoza (chant de parturition) ou encore ce debe à l’ancienne, légèrement revisité aux arrangements, un titre où il est question de vertu et de bonheur impossible. Un chant aux allures très libertaires. Un très beau livret accompagne le disque, qui rend hommage (au passage) aux travaux de l’anthropologue Damir Ben Ali[1], dont s’est beaucoup inspiré le projet. « Ce monsieur est une mémoire vivante de l’Archipel. Ses travaux sont très peu connus du public. Et je trouve cette tendance un peu dommage,confie Soeuf Elbadawi. Ce monsieur est un puits de science pour tous ceux qui s’intéressent à cette culture qui nous construit. Depuis son départ du CNDRS, la plupart de nos responsables ont préféré l’imaginer dans d’autres habits que celui du chercheur qu’il est avant toute chose. En ce qui nous concerne, je crois que nous n’aurions pu mener ce travail musical, sans tenir compte du rôle pionnier de Damir Ben Ali dans l’étude du rapport entre nos musiques et la société, travaux qui viennent d’ailleurs de paraître en partie chez Komedit, et que tous les artistes comoriens devraient lire. On ne le remerciera jamais assez de la piste qu’il nous a tracée dans un pays où la question de la transmission ne se pose plus qu’en termes de nécessité ».
Icône nationale, surnommée la voix d’or, Zaïnaba AHMED a posé pour ce timbre de la SNPCF en 2002, en hommage au port du leso.
Zaïnaba, cet album qui célèbre la femme comorienne et l’enfant dans la plupart des titres, est également une belle performance artistique. La voix et le rire de l’artiste, les cris des enfants, les ambiances d’un marché… donnent à voir et entendre, en ces temps de crise profonde, une image un peu inhabituelle de notre archipel, « une image un peu magique », mais qui reste néanmoins vraie. « Zaïnaba a la voix de nos vieilles grand-mères. Beaucoup l’on encouragée à faire une sorte de musique moderne comorienne, qui ne la met pas toujours assez en valeur. J’espère qu’on saisira la qualité de son chant, de son timbre délicat, au travers de ce modeste projet et que d’autres propositions viendront à elle pour la suite de sa carrière. Il y a comme une fragilité poétique dans sa manière d’interpréter le patrimoine. Elle témoigne, et sans nostalgie, d’un passé que nous pensions révolu, un passé que je trouve pourtant des plus captivants, des plus riches, des plus tendres aussi. Les Comoriens ne s’en rendent pas toujours bien compte. Mais peut-être que l’intérêt suscité auprès des professionnels et des journalistes spécialisés en matière de musique du monde par rapport à un tel projet nous obligera à y réfléchir quelque peu » explique Soeuf Elbadawi.
Expérience à suivre de près
Cet album est également un hommage rendu à la femme comorienne. Dans un coin du livret, accompagnant le disque, on lira ce passage: « en musique, forme d’expression où s’imprime la mémoire de ce peuple dans toute sa splendeur, la femme bénéficie d’une grande liberté. Témoin privilégié d’une société insulaire longtemps fragilisée par la migration et l’instabilité politique, la femme est, par son action au quotidien, amenée à forger l’imaginaire collectif au même titre que les hommes. Elle chante, compose et joue de la musique, contribuant ainsi à inscrire dans les consciences les moments les plus saillants de l’histoire nationale ». Cité en référence, Damir Ben Ali y insiste sur le rôle de cette femme, « garante de la solidarité familiale et véritable gardienne des valeurs sociales ».
Pour finir, on n’omettra pas de vous faire remarquer, si vous ne l’avez pas encore écouté, la qualité de la « mise en scène » orchestrée sur l’album pour mettre ces chants de femmes encore plus en valeur. On n’entre ainsi dans cet univers rempli de couleurs avec un morceau d’archives que tous les mélomanes branchés sur le fameux programme des 17h00 musical de Radio Comores depuis des années connaissent par cœur ou presque, on se laisse ensuite bercer par les vagues de la mer indianocéane, aussitôt rejointes par la voix de Zaïnaba. Vers la fin de l’album, un titre réalisé avec la présence de Mikidache à la guitare, également introduit par une vague indianocéane, permet d’imaginer une suite plus contemporaine à cette formidable aventure. Une expérience à suivre de près…