Uropve le retour

Le support média le plus décalé de l’archipel vient de réapparaître, la semaine dernière, après sept mois d’absence continue. Un temps que ses habitués ont trouvé long, mais qui a été mis  à contribution pour réfléchir sur les nouveaux enjeux du titre.

Le numéro 11, sorti officiellement ce samedi 6 juillet 2019 – quatrième année depuis la création du titre – s’intéresse à la jeunesse d’un pays où il n’y a de places que pour les vieux. Des notables, influents, intrigants ou parasites. Une bizarrerie d’époque, puisque la jeunesse, pauvre ou pas, représente plus de la moitié de la population, estimée à un peu moins d’un million d’habitants. Le sommaire de ce onzième numéro s’interroge justement sur cette jeunesse mal armée contre l’adversité, et politique, et économique.

Chômage, formation, dépression, répression. Les analyses se réclament du terrain, nous promènent entre les îles, de l’Union au département de l’île d’à côté. On y parle d’une jeunesse sacrifiée, orpheline d’un passé militant, condamné aux échecs par ses aînés. On y questionne les politiques et les fausses promesses. L’Université des Comores devenue « bombe à retardement » avec près de 26.000 diplômés lâchés sans filet dans la nature. Les sans emplois, qui en ont marre de trinquer sans retour au rendez-vous des politiciens. 35% de chômage pointé au compteur. On y évoque l’histoire des gamins de rue de la quatrième île, Mayotte. Un numéro de bonne facture, qui donne faim, cependant, le sujet étant aussi vaste que l’océan autour…

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Uropve, plusieurs mois absents sur le marché national de l’info, nous revient donc par la grande porte entrebâillée des sujets qui fâchent. Le lecteur aurait néanmoins apprécié plus d’investigations de la part d’un journal, qui se veut l’alternative aux infos prémâchées d’une certaine presse établie. Une presse, qui, dans l’archipel, se laisse souvent noyer dans les méandres de l’actu et du fait divers. Uropve, qui se fonde sur une thématique, à chaque nouvelle parution, aurait pu surprendre pour ce 11ème numéro, finalement très sobre, même s’il se distingue toujours par son impertinence et son regard, toujours décalé. Ce numéro exprime comme la difficulté d’un défi que les promoteurs du projet pensaient relever en un temps record. Celui d’une information citoyenne à la pointe, échappant aux débats partisans.

Diffusé à circuit fermé, Uropve s’adressait à un petit vivier de 500 lecteurs-contributeurs, partageant à leur tour avec leurs proches et amis. Le journal tablait sur un minimum de 1.500 lecteurs à chaque parution. Ce qui paraissait énorme ! A titre de comparaison, Al-Watwan et La Gazette tirent à moins de 300 exemplaires par numéro dans l’Union. En outre, Uropve était le premier support papier du genre, du moins jusqu’en juillet 2019, date de parution du premier Mwezi Mag. La qualité du papier, les images en couleur, la profondeur des analyses, une rédaction résolument indépendante, portée par des collaborations diverses et variées, entremêlant les plumes connues (Kamal Saindou, Faiza Soule, Ahmed Ali Amir, etc.) aux inconnues (Mmadi Mihidjay, Soula B. Ali M. Soule), sans exclusive (journalistes, mais pas que), en faisaient un outil singulier dans ce paysage. Son rêve citoyen laissait entendre qu’un autre journalisme était possible.

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L’espace accordé à chaque sujet achevait ensuite d’inscrire la démarche dans une temporalité déconcertante pour les habitués du microcosme de la presse comorienne. Mais le succès grandissant des réseaux sociaux, à travers lequel un post de 1.500 signes suffit à enflammer les esprits, a pu faire douter de la nécessité d’un tel objet en terre comorienne. « Les gens n’ont pas le temps de lire de longs papiers. Ils veulent du prémâché. Ils le trouvent sur facebook. Uropve demande à chacun de ses lecteurs de se prendre en charge, en allant puiser le complément de ses infos, ailleurs que sur le support lui-même. Uropve oblige à réfléchir par soi-même et à fouiller dans sa mémoire, voire à interroger une histoire commune encore non-écrite » commente un enseignant de l’université des Comores, Mohamed Soilih. « C’est pour ça que je le fais lire à mes étudiants. Pour leur montrer qu’il n’y a pas qu’un son de cloche ». Il reconnaît toutefois que les fake-news et autres manipulations d’informations obligent certains à revenir vers une information exigeante, de qualité, « sourcée et documentée ».

Une bonne nouvelle pour la poursuite de cette aventure, qui, apparemment, a besoin de plus de temps pour s’imposer, durablement. « Les lecteurs ne comprennent déjà pas qu’il ne soit pas en kiosque, confie un ami du journal. La longueur des textes décourage certains. Lire la presse classique n’exige pas autant de neurones. On s’inquiète de savoir à qui il appartient. A l’Etat ou à l’opposition ? L’argument de dire qu’il appartient à ses lecteurs fait sourire. Les gens restent méfiants. Ils préfèrent un journal clairement partisan à la place. Les gens du métier eux-mêmes ne comprennent pas le côté alternatif du projet, avec sa rédaction tournante, où les plumes sont libres d’aller et venir. Et puis le journal exige que chaque texte engage son auteur. Ce qui n’est pas dans les habitudes, sauf pour des éditos ou des tribunes ». Le support explique à lui seul la difficulté qu’il y a à faire exister une entreprise de presse dans le paysage.

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Et si cela expliquait l’épuisement qui menace le noyau dur du journal ? « On se bat sur tout un tas de front pour faire exister ce qui n’intéresse pas encore. Mais ces sept mois nous ont permis de prendre du recul, répond Soeuf Elbadawi. Nous travaillons à une nouvelle formule. Ce numéro (11) se situe dans un entre-deux. Déjà, nous n’écrivons plus que sur sept pages, la huitième étant consacrée à autre chose, ici à une pub. Le prochain fera la différence, en novembre. La diffusion se fera différemment, également. Nous n’irons toujours pas en kiosque, mais nous ciblerons plus notre lectorat, avec des abonnements d’un genre nouveau, et une perspective plus nourrie pour nos lecteurs, puisque nous allons déborder les pages du journal ». Une page de pub en quatrième de couv ? A la parution de son premier numéro en 2015, Uropve prétendait ne pas en avoir besoin. « Il faut croire que la réalité nous rattrape. Nous devons nous adapter, si nous voulons tenir nos promesses jusqu’au bout ». Pour un journalisme utile…

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Les sept premiers numéros du journal Uropve sont téléchargeables, gracieusement offerts par les lecteurs-contributeurs, sur ce site à la rubrique dédiée: Uropve. Les suivants ne sont disponibles que sur abonnement.