Naniho en shimwali

Relecture du recueil, inédit à ce jour, d’une jeune autrice, originaire
 de Fomboni à Mwali. Mahé Mouri – de son vrai nom Moritadhoi Loukile – nous fait partager les particularismes et la singularité de cette île. Naniho, son texte, est un poème en fragments, écrit en langue shikomori, en shimwali[1]plus exactement, dans un style rappelant l’oralité du slam,
 et qui se lit telle une comptine. Cet article est paru dans le Mwezi Mag n°3 de juillet/ octobre 2019.

Le titre Naniho pourrait faire sourire sur la petite île. Car le terme est un cliché, quelque peu moqueur, fort véhiculé à Ngazidja et à Ndzuani, fonctionnant comme marqueur linguistique du parler de l’île. Mahé Mouri[2]reprend le concept du naniho, le tourne en dérision et l’impose telle une affirmation identitaire. Cette reprise invite au dépassement de la caricature et à la découverte de Mwali. Dans son texte, l’autrice aborde des thèmes aussi universels que l’amitié, l’enfance, l’amour ou la trahison.

Les fragments du texte liés à l’amour sont les plus nombreux. Ils portent sur l’amour conjugal, et sont présentés de manière chronologique dans le recueil, comme pour reprendre le cycle d’une histoire de couple ou de vie. Msharusi pour la mariée, Nikahi pour l’union, Anduyi pour la maîtresse, Kwaheri pour l’adieu au mari aimé, Twalaka pour la répudiation, Nyadza pour la belle-mère et Shikanda sha mwiso pour l’enfantement… On s’attardera davantage sur certains fragments évoquant Mwali et ses particularités, tels que Miradji, Dzodzi, Mantiti, Dangadzo ou encore Msafara. Ils permettent de mieux saisir la complexité de ce titre, Naniho.

Mahé Mouri reprend la rythmique du slam, le texte est chanté et les tournures anaphoriques sont très présentes. Une écriture faussement naïve, pouvant frôler la légèreté dans l’abord de certaines thématiques, à l’image des premiers textes. Ces derniers donnent l’impression de transcrire la parole, le regard, d’un enfant sur son quotidien, son monde, mais dans une langue soignée, maîtrisée, recherchée. D’aucuns parleraient ici d’un bon shimwali à l’œuvre. Le texte reste imagé, et abonde en métaphores.

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Trois dames au regard qui veille sur le Panghari, l’endroit où se célèbre les plus grandes fêtes à Fomboni, chef-lieu de Mwali (PH. Mab Elhad).

Les deux premiers fragments, Nyama et Miradji, nous plongent in médias res dans un imaginaire typiquement mohélien, avec la célébration populaire du Miradji. Description faite à travers les yeux d’un enfant, prenant part aux réjouissances. Le premier, Nyama, s’ouvre sur la description gargantuesque d’un repas : « singa idja’ya na mnara wa zio ». On assiste au rituel du partage autour de l’événement : « ata djeli mkoripva mhombe mia, ridjo ya towa, karisina hasara ». Dans le poème Miradji, l’auteure use du procédé de l’énumération, pour retranscrire, de manière minutieuse, le rituel autour de cette fête. A l’exemple des préparations de galettes en tous genres, sacrifice et effervescence. Le Miradji est le jour où le prophète Muhammad a voyagé de la terre vers les cieux.

Aux Comores, le jeûne est recommandé ce jour-là. Cependant, une certaine ferveur subsiste à Mwali, où l’ascension du prophète Muhammad est commémorée plus que dans les autres îles. Mahé Mouri le montre, dès la première phrase, en soulignant que la tradition du miradji est plus qu’une fête religieuse : « mila zatru ziri hambi’a, ri dungu ». Une tradition aussi ancrée que le shungu[3] : « mwezi shirini na saba sawa na shungu ».

Le texte Dzodzi – un songe – pourrait faire écho au célèbre I have a dream de Martin Luther King. Dans ces îles, les inégalités sociales sont si vives. Une frontière invisible, mentale, sépare les mondes, des bien-nés de ceux de basse extraction, respectivement appelés : makabaila, wafaume, wawungawana / wamatsaha, waruma, wakoni. Le poème nous projette dans un univers idéalisé où le kabaila (le maître ?) serait frère avec le mkoni (l’esclave ?) : « ahibu atere nkarobwe ne ambe mkoni magoshi yahe. Ali shiani hahe bila um rungama ». L’interjection « Mambo ! » qui ouvre le poème montre bien le caractère extraordinaire, voire irréel, de cette relation nouvelle : « yano midjuza ».

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Un vestige du passé sur le Pangahari de Fomboni à Mwali, là où se joue encore la pantomime des kabaïla.

L’auteure décrit le rapport dichotomique entre dominants et dominés : « kabaila wae pvendza udji pva ulibwavu na udji rema shifuba ». Le kabaila impose sa loi, se considérant supérieur et le mkoni se soumet : « mkoni de atrikao nkuni, wandru wa pihi. Mkoni de alowao zinfi wandru wali. Mkoni de ngalidziao nyumba ya kabaila asi vundziwe ». La répétition anaphorique du terme mkoni souligne encore plus les principes de domination et de soumission de l’être. Mahé Mouri imagine donc une autre possibilité, une évolution des mentalités, grâce à laquelle le mkoni se verrait respecté : « mkoni nge stehilwa ». Il est accepté dans le cercle : « akubaliwa shunguni, nge djuo ula na wananya ». Le mkoni serait un homme à part entière, un être aussi accompli que tous les autres.

Dangadzo – le jeu – évoque plus exactement un jeu d’enfants. Le poème s’ouvre sur une comptine : « kula ka piha imasadza, katsola izilo ». Celui qui n’a pas cuisiné, ne mangera point. Une chansonnette typique de l’île. Imasadza fait référence à un repas imaginaire, souvent préparé par les enfants, lors de leurs moments de liberté. Une initiation au partage, au vivre-ensemble. Des notions présentes, dès le premier fragment du texte. Cependant, le poème s’articule autour des joies apportées par la présence d’un enfant dans un foyer, aux différentes étapes de sa vie. La naissance, les premiers mots, la scolarisation, l’adolescence, l’amitié, etc.

Mantiti est un poème sur les fiançailles de la grande sœur, ainsi nommée. La phrase d’ouverture : « ndzi ka isi truwa pvontsi » annonce l’ambiance, traduit une effervescence associée à une première étape du mariage. On retrouve chez l’auteure ce sens de la précision, reprenant des expressions mohéliennes non usuelles, les posant parfaitement dans le texte, pour recréer un contexte, sans que cela ne paraisse pompeux.

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Une troupe de danse sur la route des mariages à Fomboni, Mwali. De bonnes fiançailles en appellent toujours à la fête. Chacun, chacune, son tour, un jour…

L’auteure nous décrit la confection des colliers à fleurs « suradji ». Celle des gâteaux : « biskuti, imakarara, zihondro, kachatoi ya madjoiyi, koko trende, ata haluwa ». Nous convie au rituel de préparation de la promise. Un procédé d’énumération qu’elle reprend à chaque fois qu’elle décrit des pratiques spécifiques à la petite île. L’appellation mantitiest une de ces spécificités, mais n’est utilisée qu’entre sœurs, et non entre frères.

Le fragment Msafara fait la description d’un voyage en mer à bord d’un kwasa de Mwali à Ngazidja. Il nous dresse une image carte postale, où il est ques- tion de beau temps et de danse des poissons : « matso yawo nge ya rengao mapitsha/kayana uparo ulawa rohoni hawo », « bahari ilala dzayo uri dara ya nyongolwa shitrandrani ». Image qui vient contraster avec ce que l’on retient des traversées, vers l’autre île, Maore. Mahé Mouri termine son texte, en re- prenant une maxime très connue dans le pays – « msafara wa mwali Shindini » – mettant ainsi en exergue la proximité avec l’île sœur de Ngazidja, et par extension, les relations ancestrales de ces îles de lune.

Mahé Mouri nous fait découvrir Mwali dans Naniho, île peu connue de ses concitoyens. On y découvre ses particularismes et sa singularité, et surtout son parler riche et imagé, révélant une certaine préciosité de la langue. Un parler préservé, très peu influencé par les emprunts au français, à l’inverse des autres variantes dialectales de l’archipel. Un recueil à lire dans sa facture originelle, en attendant une éventuelle traduction. Les bons textes en langue comorienne sont si rares, surtout de la part d’une génération d’auteur(e)s comme celle de Loukile Moritadhoi, dont c’est le premier texte en quête d’éditeur. A vingt-cinq ans, elle est l’une des premières promesses du genre sur l’île…

Fathate Hassan

[1] Variante dialectale du shikomori, parlée à Mwali.
[2] Nom emprunté à sa grand-mère, dont use parfois Moritadhoi Loukile pour di user ses textes.
[3]Utopie du cercle, mariage coutumier, ciment social.

Le Mwezi Mag d’AB Aviation (juillet-octobre 2019) est téléchargeable ici: