La légende prétend qu’à la jetée de Moroni, la foule criait « e’Ngazi idja » pour dire que la grand voilier venait d’accoster. Ainsi vont les noms de lieux, qui se tricotent au gré des circonstances. C’était au temps des épices et des marchands d’esclave, des vagues de réfugiés et des sauts de conquérants. Bien avant que l’enfance vienne converser avec les petits poissons dans cette baie de Kalaweni, située à Ngazidja, la plus étendue des quatre îles, rebaptisée Grande Comore par les commis de la colonie. 1 148 km². Une île aux visages multiples que le photographe Aboudou Jacques tente de fixer avec un regard d’aujourd’hui. Entretien express et images du portfolio paru dans le Mwezi Mag n°1, paru en juillet 2018.
Comment êtes-vous venu à la photo ?
J’ai toujours eu à cœur de faire connaitre la beauté et la richesse du pays. Au début, j’ai commencé à partager des photos que je trouvais un peu à gauche à droite sur les réseaux sociaux. Elles montraient aussi bien le paysage, ses habitants eux-mêmes, ainsi que des scènes de vie. Mais ces photos montraient toujours la même chose, et ça me frustrait. J’étais persuadé qu’on pouvait montrer les Comores d’une meilleure manière. Puis comme j’y allais souvent, j’ai décidé d’acheter mon propre appareil et de partager ce que j’aime de mon pays. C’était un petit appareil de marque Canon. Pour la petite histoire, il y a plus de 20 ans, mon père m’en avait déjà acheté un que je n’ai jamais utilisé, à son grand désespoir. A l’époque, je n’étais pas particulièrement attiré par la photo.
Vos images ont l’air d’être mises en scène…
Certaines sont évidemment mises en scène, en m’appuyant sur ce que j’ai envie de montrer ou sur la manière dont j’ai envie de raconter l’histoire. Lorsque je mets une photo en scène, c’est parce que je suis à la recherche de la photo unique. C’est souvent parce que je cherche à faire ce qui n’a pas été fait, à être le premier à réaliser cette prise de vue-là. Cependant beaucoup de mes photos sont aussi prises à l’instant T, sans mise en scène, en immortalisant juste ce que je viens de voir. La nature sait aussi se mettre en valeur toute seule !
De gauche à droite. A Itsandra lors de la pêche au simsimu/ Bougies sur mer/ Vue sur Iconi Djamal la nuit/ Buuni plage. Un autre sur l’île de Ngazidja (Ph. Aboudou Jacques).
Qu’est-ce que vous avez voulu raconter avec les bougies sur l’eau au coucher du soleil ?
J’ai voulu apporter une touche de romantisme avec ce coucher de soleil. Toujours dans l’esprit de montrer les Comores comme je les aime. Tout le monde peut photographier un coucher de soleil et immortaliser le moment, surtout, aujourd’hui, avec nos téléphones portables. Mais dans cette quête d’une prise de vue différente ou singulière, j’ai cherché à montrer autre chose de nos Iles. Avec mes mises en scènes, je voudrais aussi montrer aux autres photographes que l’on peut voir les choses différemment et, surtout, les montrer différemment. C’est ce qui fait la richesse de notre art.
Ce monsieur au chapeau avec son androïd devant la scène des pirogues ?
Les pêcheurs font partie du paysage dans un pays comme le nôtre. Surtout dans une cité côtière comme Itsandra, où a été prise la photo. Souvent, lorsqu’on montre les pêcheurs, c’est pour les montrer dans leur métier. Le cadrage est fait sur leurs embarcations ou encore sur leurs prises du jour. Lorsque j’ai vu ce jeune homme perdu dans ses pensées entrain de les observer au loin, je me suis dit que c’est exactement ce que je voulais montrer. Cette photo a comme un coté rêveur.
Aboudou Jacques.
Qu’est-ce qui explique que la retouche des images ait pris autant d’importance dans votre travail, et dans celui de toute une génération de photographes comoriens ?
Les outils de retouche font partie du matériel phot professionnel, aujourd’hui, tout comme l’appareil photo, les accessoires, etc. Cependant il faut différencier les types de retouches, en fonction du résultat artistique que l’on recherche. Pour ma part, les seules retouches que j’apporte à mes photos servent uniquement à améliorer par exemple l’exposition à la lumière de la photo ou encore recadrer cette dernière de façon à mettre l’accent sur ce que je souhaite réellement montrer.
Quelle est votre opinion sur le monde de la photo aux Comores, aujourd’hui ?
Lorsque j’ai commencé à montrer mes photos, je me suis rendu compte qu’il y avait toute une nouvelle génération de photographes, amateurs et professionnels. C’est alors que m’est venue cette idée de créer la page Facebook « Photographes Comoriens », afin de les faire connaitre, d’une part, et de partager nos œuvres, d’autre part, afin de partager nos points de vue, de tirer notre travail vers le haut et de s’inspirer, mutuellement. Cela crée aussi des opportunités de travail, hors des Iles Comores, dans les quatre coins du monde.
Propos recueillis par Soeuf Elbadawi