Virtuose du ndzendze[1], il est connu pour avoir chanté contre la naïveté des jeunes filles en fleurs, sorties de leur cambrousse, pour arpenter la capitale en mode « gros talon » et « sac en bandoulière » : « Nkabwa za kokwa/ na mikoba ya kapwani/ kana mapesa»[2]. Il est aussi connu pour avoir bataillé aux côtés de Bwana Riziki, le maître du gambusi. Cet article est paru dans le Mwezi Mag n°3 (juillet-octobre 19), téléchargeable ici.
Longtemps, Soubi est resté dans les rumbu : « Du temps de mtrume Musa. A l’époque, on buvait pas mal de jus de plaisir. On jouait pour faire monter les esprits. On s’enivrait avec du jus de betterave. Et on finissait par être habité par ces mêmes esprits sur le retour ». L’homme a le rire au visage. De lui se dégage une forme d’insouciance, de grâce mélangée, aussi. « Je me nomme Athoumane Subira, mais les gens m’appellent Soubi, mon petit nom ». Subira, comme pour dire la « patience ». Une qualité que lui prêtent volontiers ses amis. « Mais parlons musique », dit-il, comme pour couper court aux compliments. « J’ai commencé jeune ». Il parle ainsi des Rascas de son enfance. Une asso folklorique de Nyumashua – sa cité natale – au sein de laquelle il effectue ses premiers pas.
« Busuri, un ami, avait une cassette de ndzendze. J’étais bluffé par le son de l’instrument ». Au temps de l’alifube soilihiste, l’Etat lui offre du contreplaqué, pour qu’il se fabrique une ardoise, afin de suivre les cours de langue-pays. « J’ai ramené le bout de bois au menuisier, et demandé à ce qu’on me le transforme en ndzendze contre 200 francs ». L’épisode lui vaut d’être honni par les gens du « comité»[3]. « A l’époque, on te mettait en guni[4] pour la moindre connerie, et on t’exhibait comme un voleur. J’ai dû disparaître du village deux semaines durant». Pour parfaire l‘instrument, « on m’avait dit de trouver des câbles de frein à vélo. Je les ai ramenés. Et c’est là que le miracle a eu lieu ». Le menuisier, un fin connaisseur, venu de Maore, où l’on pratiquait l’instrument « les a tendus sur le ndzendze, en mettant de petites cales, puis s’est mis à en jouer ».
Soubi a appris par entêtement : « en écoutant l’enregistrement de Busuri, surtout ». A l’époque, il vendait du coco pour se payer les piles de sa radio, devenue précieuse. « J’ai fini par reprendre les mêmes morceaux que j’écoutais ». Chaque jour un peu plus, jusqu’à trou- ver la note juste. « Puis j’ai rencontré des passionnés ». Des joueurs de gadza[5] : « On s’est vite rendu compte qu’on pouvait rassembler autour de notre musique ». Un public moins exigeant qu’aujourd’hui, se souvient-il. « Ils s’en foutaient de savoir si je maîtrisais l’instrument. Ils appréciaient de me voir chanter, alors que je tâtonnais. Mais c’était une époque où l’on n’avait peur de rien ». Quand il rejoint Fomboni, où il est précédé par une réputation de crooner, il n’a que 20 ans : « Les gens entendaient parler de moi, voulaient savoir qui j’étais, de quoi j’étais capable ».
Au retour d’un voyage à Sima, où sa bande défendait du wadaha, il rejoint le Safinati Salama – un groupe de Fomboni – en même temps qu’il décide de tenter sa chance à Moroni, où il intègre la menuiserie de la SAGC. Le groupe se disloque officiellement à la mort du président Abdallah : « Chacun est parti se chercher un destin dans un coin ». Lui, se découvre alors une vie de patachon à la capitale. Avec ses potes de barbecue : « On faisait la fête, et on égorgeait le cabri en musique ». C’est là qu’il rencontre Mwenyi Mmadi, un artisan ferronnier, son plus fidèle compagnon en musique, à qui il apprend les subtilités du ndzendze. La rumeur s’empare vite de sa musique, qui sonne roots, et son rapport décomplexé au monde en surprend plus d’un, parmi ses fans. Son humour dévastateur, également.
Soubi chante la vie, les femmes, l’amour, la haine, les voleurs et les corrompus. Et quelques enregistrements à Radio Comores suffisent à asseoir sa renommée au niveau national. « Un jour, Ben Abdou est venu me voir à Maluzini, accompagné d’un gars, Albada, qui promettait de m’emmener en France, après m’avoir interviewé pour RFI. Je ne les prenais pas au sérieux. Je me suis dit : ils se moquent de moi. Mais peu après, on est venu me chercher à Nyumashua, pour un voyage à Paris ». Soubi se retrouve ainsi à l’affiche du festival Africolor en Seine Saint-Denis. Avec l’un de ses morceaux gravés sur un album : Musiques traditionnelles des Comores, chez Buda Musique. Entretemps, Studio 1 le prend en mains, en tandem avec Boina Riziki, pour un premier album, grâce à un financement inattendu du CICIBA. Un projet qui attire l’attention du label allemand Dizim Records, qui les signe en Europe.
Le reste de l’histoire est connu de ses fans. Le président Azali lui décerne un Gambusi d’or, et le président Ikililou, de son côté, le confirme en grand défenseur du patrimoine. « La musique, confie-t-il, cependant, n’assure aucun avenir au Comorien. Ailleurs, oui, mais pas ici ! Elle me fait voir du pays. Mais ça ne va pas plus loin ». Le domaine qui interpelle ses compatriotes, selon lui, est la politique, et non la musique. « Imagine l’argent qui va circuler durant les élections présidentielles. De l’argent foutu en l’air. On a un patrimoine riche, mais la culture n’intéresse personne. Iln’y a même pas de conservatoire. Les gens préfèrent apprendre la politique à la place ». Il donne l’exemple de Salim Ali Amir, un des artistes les plus consacrés de la place : « Il doit sans cesse se battre pour garder la tête hors de l’eau. Si c’était un travail, il poursuivrait jusqu’à la retraite. Mais qui rêve de retraite en musique ici ? »
Les fins de mois difficiles le tourmentent. « Je pars en tournée, et avant même de rentrer, j’ai les problèmes qui m’assaillent ». Deux femmes, huit enfants, dont six portant son nom, et des soucis en pagaille. A bientôt 60 piges, Soubi s’interdit tout dérapage incontrôlé. « Je ne suis plus un gamin La musique que je fais se doit d’être intelligente. En fait, il y a deux temps en musique. Il y a un temps pour le plaisir à l’état pur, et un temps pour gagner sa vie. Le plaisir, ça se passe entre 20 et 40 ans. Tu peux jouer sans être payé, pour séduire les filles, et pour plein d’autres raisons. Au-delà, tu as des responsabilités, l’éducation des enfants à assurer, tu ne peux plus aller brailler pour rien devant le public. A l’âge que j’ai, je dois assurer l’écolage des enfants, leur assurer un meilleur avenir ».
Il repense encore à ses fins de tournée à l’étranger. « A chaque fois, j’ai le sentiment d’avoir déjà dépensé ce que j’ai gagné, avant même d’être revenu au pays. Les gens t’envient, se disent que tu gagnes énormément, pensent que tu es riche, alors que tu mendies ». La musique lui a permis de voyager et de découvrir l’Ouzbekistan, mais ne le nourrit pas assez. « Il n’y a pas de perspective, comme c’est le cas pour d’autres pays ». S’il survit, pense-t-il, c’est grâce à ses marmites, qu’il fabrique en nombre dans un atelier situé en périphérie de Moroni : « Avec une ou deux marmites, je peux toucher entre 2500 et 5000 fc, de quoi voir venir. Et c’est tous les jours que je les gagne, alors qu’avec la musique… » Une assurance-vie alternative : « J’avoue que je ne pourrais pas m’asseoir là à attendre que la musique subvienne à mes besoins ». Même s’il y a consacré plus de temps : « Les marmites, c’est depuis les années Djohar, alors que la musique me ramène à un temps plus jeune ».
Il n’empêche qu’il ne se voit pas arrêter, sans avoir commis son grand retour dans les bacs. Après trois albums enregistrés aux côtés de Boina Riziki, après des collaborations plus ou moins réussies, avec le slameur marseillais Ahamada Smis notamment, Eliasse et Mwenyi Mmadi, avec qui il a tourné en trio, Soubi rêve de son premier opus solo. « Comme ça, il restera quelque chose après ma mort. On pourra se dire que j’ai réussi à faire œuvre. Je veux faire mon petit album et le poster dans les airs à mon tour… »
Mouna B.