Djumbe Fatima, Ramanetaka, Makadara, Lambert et Fleuriot

Consacrée à Mwali au 19ème par la France conquérante, un temps menacée par la présence anglaise à Ndzuani, Djumbe Fatima sera surtout le jouet de Joseph Lambert, dont l’ambition première se résume à fonder une usine sucrière sur l’île. Cet article est repris du n°3 de Mwezi Mag, seul magazine culturel de l’archipel, qu vous pouvez aussi télécharger, en cliquant sur le lien situé en fin de texte.

L’histoire de Djumbe Fatima – Fatima Soudi Binti Abderrahmane – est celle d’une femme abusée, reine de la petite île, née à Wallah en 1836 de parents venus de l’île rouge pour échapper à une répression politique. Son destin se raconte tel un méli mélo sans nom, où des prétendants se précipitent à son chevet, afin de la dépouiller de son héritage. Les spécialistes la dépeignent volontiers comme la souveraine malgache d’une île comorienne sous contrainte française. Elle est née fille d’un usurpateur, Ramanetaka, cousin fugitif de Radama 1er, venu se terrer à Mwali, après l’assassinat de ce dernier.

Ancien gouverneur de la province de Majunga, Ramanetaka, prête allégeance au sultan de Zanzibar, en débarquant dans l’archipel, pour être sultan de Mwali, sous le nom d’Abderrahmane. Son règne cruel sur l’île se distingue par son extrême violence. Il est connu pour avoir assassiné Boina Kombo et Abdallah, à la suite d’une tempête. En 1841, l’année de sa mort, sa fille, Fatima, sous la régence de sa mère, Rovao, a juste cinq ans. Elle est mise sous l’autorité de Mme Droit, gouvernante désignée par les amis de Passot, qui venaient de mettre Maore en coupe réglée, s’apprêtant à conquérir le reste de l’archipel. Créole mauricienne d’origine madécasse, Mme Droit, institutrice passée par l’école des bonnes sœurs à Saint-Denis de la Ré- union, est chargée de transmettre des valeurs chrétiennes à la jeune princesse, avant que la France ne décide de l’introniser reine en 1849, en projetant de lui trouver un mari.

L’entourage immédiat de la souveraine se débrouille pour se débarrasser de la gouvernante, morte empoisonnée à l’hôpital de Mayotte, et marier Fatima selon les rites musulmans à un prince du nom de Saïd Mohammed Nasser Makadara. Un mariage célébré avec faste à Zanzibar en 1852, qui leur donne trois enfants. Une descendance qui vient gêner les appétits de pouvoir des principaux ministres de la reine, Tsivandini en tête. La marine française s’en mêle, et comme pour annoncer les tragédies politiques futures, fait disparaître le mari dans des conditions encore inexpliquées par les historiens. C’est alors que l’entourage essaie de rapprocher Djumbe Fatima du prince Said Omar à Ndzuani que les Anglais semblent contrôler. Ce mariage ne dure pas, et les Français en profitent pour exiler Tsivandini, avant d’introduire Joseph Lambert dans sa cour, personnalité trouble chassée de Madagascar, mais stratège implacable dans cette période de conquête.

Devenu l’intime de Fatima, Lambert l’amène à signer une convention, le rendant maître des terres de Mwali pour une durée de soixante ans[1]. Un marché de dupe auquel la jeune reine, désemparée, a du mal à se refuser. A la mort de la reine Ranavalo en 1861, Lambert – duc d’Imerina prétendu – tente un retour sur Madagascar, et Djumbe Fatima en profite pour abdiquer, en faveur du sultan Muhammad, son fils aîné, pensant ainsi mettre fin aux ambitions du planteur français, dont elle a enfin compris le dessein. Maore, sous tutelle, bombarde la baie de Fomboni, en soutien à Lambert, avec les navires armés de l’amiral Fleuriot de Langle. Paniquée, Fatima s’enfuit vers Zanzibar, où les Anglais l’encouragent à solliciter l’arbitrage de l’empereur, Napoléon III, en 1868. Son voyage à Paris n’a aucune conséquence sur les événements. Mais la presse, par souci d’exotisme, s’empare de sa personne et en fait ses choux gras.

Queen_of_Mohéli

Le retour de la reine à Fomboni en 1871, où Lambert joue les tuteurs auprès du sultan Muhammad, se conclut par un deuxième bombardement français, qui n’empêche pas la réconciliation entre les deux amants, Lambert reprenant sa place dans le cœur de la souveraine quelque peu déchue. Le français se meurt en 1873. A la mort de son fils Muhammad un an plus tard, Djumbe Fatima remonte sur le trône, un peu désemparée, vraisemblablement in- capable d’affronter les enjeux du moment. Emile Fleuriot, le fils de l’amiral de Langle, la prend alors pour épouse et s’empare des plantations de Lambert, dont il devient l’unique gérant. Le couple aura deux enfants, dont la fameuse Salima Mashamba binti Saidi Hamadi Makadara, présentée comme la dernière souveraine de Mwali, sans avoir régné[2], à cause notamment des intrigues de Tsivandini Mahmudu bin Mohamed Makadara. Djumbe Fatima, elle, s’est éteinte en 1878 à Maore, dans l’indifférence générale, selon l’historien Mahmoud Ibrahime.

Il a été question, il y a quelques années, de réhabiliter la mémoire de Djumbe Fatima sur l’île de Mwali[3]. Un travail mené par l’une de ses descendantes, Anne Etter, présidente de l’associationDéveloppement des îles Comores, élevée par ses origines au rang de chevalier de l’Ordre national du mérite en France et de chancelier de l’Ordre de l’étoile de Mohéli. Un travail qui n’a eu qu’un écho maladroit dans une mémoire archipélique encore en peine, s’agissant de l’histoire coloniale récente. Le poète Saïndoune Ben Ali dans Testaments de transhumance (Komedit) se demandait : « Comment mouvements de mers / érigent sultanats sur bordels sauvages ? » Il parlait de ce paysage « ou le fruit du cri d’une fille-reine / nourrit la verdeur océane, l’errance et le songe ». Des « blanches amours de reine », il ne retenait que « le visage tombant dans la brume / continûment dans la brume ». A cette reine devenue « jouet du maître », le poète adressait ces mots : « Ma reine tu n’as jamais été ma reine / Dans l’île les pierres éclatées portent deux noms et des banderoles de bienvenue ». De quoi semer le doute, relevait Kashkazi en 2007, sur le destin d’une reine, qui, jamais, ne fut symbole d’une résistance face à la pénétration coloniale. Bien au contraire, elle donne l’image d’une alliée indéfectible de la puissance française dans le pays.

Farah Zineb

Le n° 3 de Mwezi Mag, magazine culturel produit par la compagnie AB Aviation, où figure cet article, est téléchargeable ici: MWEKZIMAG#03.
[1] 42 % de la surface cultivable.
[2] Elle a subi les régences de Fadeli bin Othman, de Balia Juma et d’Abudu Tsivandini Mahmudu bin Mohamed Makadara, avant d’être chassée de l’île par les résidents français. Epouse de Camille-Paule, elle cède o ciellement son trône à la France en 1902. Une stèle à Pesme dans la Haute-Saône en Bourgogne-Franche-Comté, où elle est enterrée, porte cette mention : « Ursule Salima Machamba, reine de Mohéli, épouse Paule ».
[3] Aux éditions Dominique Guéniot et Komedit sont sortis des livres censés contribuer à ce travail : À Pesmes, en Franche-Comté : Une reine oubliée par l’histoirede Julienne Nivois (1995), À Salima de Mohéli, dernière reine comorienne, la fidélité d’une petite-fille de Anne Etter et Raymond Riquier (2012).