Les jeunes du Club Soirhane publient ce petit recueil aux éditions Bilk & Soul. 18 textes interrogeant la mémoire d’une cité – Mirontsy – qui les a vu naître et grandir. Une démarche rappelant l’urgence du récit dans un pays, où l’Histoire a rarement été écrite par ceux qui la vivent.
Un conte de fin d’année pour ruser avec le temps. Il était une fois une cité, que l’on surnommait Mirontsy, comme pour la situer « de l’autre côté des rivières ». Une cité de gens de mer dont le souvenir pourrait nourrir une légende du 16èmesiècle. Un vestige de ce passé se trouve encore à un endroit sacré – Mkiri wa mpwani – où viennent se recueillir des âmes en peine. On y trouve un mihrab dont les motifs inscrits à même la roche rappellent l’héritage ancien des chiraziens. Le Mirontsy d’aujourd’hui, officiellement érigé il y a un peu moins deux siècles, cacherait ainsi son jeu, en se réclamant d’une histoire dont le visage le plus actuel n’est pas toujours le plus représentatif de sa destinée, qui entremêle figures de watoro, razzieurs malgaches, esprits du monde invisibles et colons prédateurs dans un long feuilleton que les petites mains du Club Soirhane ont tenté de consigner dans ce livre.
Une autre histoire de Mirontsy est surtout une tentative de récit, annonciateur d’un mouvement inextricable. Celui de tous ces jeunes comoriens, qui, en grandissant, s’impatientent à l’idée de ne rien savoir sur les tracés les plus anciens de leur pays. En famille, à l’école et dans l’administration, tout se vit comme si les éléments d’appartenance archipélique se limitaient au seul présent. Comme si le vécu passé n’avait plus droit de vie dans leurs réalités contemporaines. « Les Anciens s’en vont, emportant leurs secrets » confiait, un jour, l’écrivain Salim Hatubou, auteur notamment de Métro Bougainville (Via Valeriano), un texte où l’on voit un vieil immigré, condamné sur un lit d’hôpital à Marseille, tendre la main à son petit-fils, pour lui conter son épopée par-delà les mers.
Mirontsy, la nuit. La vue qui a inspiré la couverture du livre.
Que devient la mémoire d’un peuple, lorsque les plus âgés se retrouvent à emporter les souvenirs de leurs enfants dans l’au-delà ? Le vent, seul, peut-il combler les vides laissés par leur existence sur cette terre ? Difficile de se construire un monde sans puiser dans le passé ! Un constat que ruminait déjà le sage de Bandiagara, également connu pour avoir affirmé qu’un vieillard qui se meurt égale une bibliothèque qui prend feu. Aux Comores, ils sont peu nombreux à avoir noté les paroles de ceux qui s’en vont… Il en résulte cette tragédie au sein de laquelle l’oraliture – pourtant vivante – ne joue pas toujours son rôle, faute de supports durables dans le temps.
La démarche du Club Soirhane ne cherche pas forcément à répondre à ce type de questionnements. Mais l’édition d’un tel livre représente une alternative possible, à l’heure où s’effondrent les mythes fondateurs de l’archipel. Quatre maisons d’édition au moins existent dans l’Union des Comores pour mener ce type de travail à bien : Komedit, Coelacanthe, Bilk & Soul, 4Etoiles. De quoi sauvegarder des pans entiers de l’histoire comorienne, s’il se trouve, bien sûr, des auteurs assez inspirés pour produire le récit nécessaire face aux limites de l’historiographie actuelle. On parle de moins de 500 titres, écrits par des Comoriens ou parlant des Comores, sur le marché. Autant dire un choix limité.
Une fille Gaspa venue témoigner des débuts de l’école publique à Mirontsy, lors de la présentation du projet, le 8 décembre dernier. Son père, Gaspa, a été l’un des pionniers de cette histoire qu’évoque en partie le livre.
Nombre de chercheurs ayant travaillé sur l’archipel tombent par ailleurs sous le contrôle d’un discours taillé par des tutelles étrangères. Une situation liée à l’énigme de la reconnaissance universitaire. Les moyens de la recherche comorienne étant limités, les seuls chercheurs à fournir du grain à moudre (trama la wendza manyo) trouvent manière à exister ailleurs. Dans des officines, dont le travail génère, parfois, un contre-récit, ne valorisant, ni le patrimoine, ni le pays. Un défi que le CNDRS n’arrive pas vraiment à relever, même après 40 années d’existence. D’ailleurs, c’est durant ce laps de temps que les derniers témoins du passé colonial – l’histoire la plus récente – ont commencé à tirer leur révérence.
Une autre histoire de Mirontsy, petit livre sans prétentions, commis par de jeunes auteurs, qui ne sont ni historiens, ni écrivains, n’est peut-être pas à interroger sous cet angle bien spécifique. Sauf que la démarche de ces jeunes répond à un manque évident. Au nombre de 27, ils aiment la lecture, cheminent beaucoup dans les livres et ne trouvent pas toujours figure à leur image dans ce qui s’y raconte. Sous l’égide du Dr Anssoufouddine Mohamed, poète cardiologue, ils apprennent à décrypter le monde grâce aux mots arrachés des livres du monde entier. A force, ils finissent par s’interroger. Qui ils sont ? Et quel récit privilégier, quand on a moins de 22 ans et qu’on n’a pas encore pris la mesure de la complexité du monde ? Et puis comment se dire lorsque personne ne vous a murmuré votre histoire à l’oreille dès la naissance ? Ce livre est là, sans doute, pour qu’une part de leur passé demeure et contribue à structurer un avenir.
Lors de la première présentation du livre à Mirontsy.
Elément intéressant : les jeunes auteurs du Club Soirhane ne se sont pas contenté de déconstruire les mythes d’une cité à la réputation farouche _ waMirontsy wabeja. Ils se sont aussi occupés d’inventer leur public. Une leçon d’économie dans le domaine de l’action culturelle : ils ont fait du porte à porte avec leur livre, expliquant à leur parentèle, proche et lointaine, l’importance d’une telle folie. Car c’est folie que de miser sur un livre pour venir à bout de la fragilité des mémoires sur cette terre qui n’apprécie guère de lire. C’est folie que de le croire, mais ces jeunes ne peuvent que s’accrocher à leur projet, dans la mesure où leurs rêves se sont aussi forgés dans le secret des livres. Qui sait ? De leurs destins de poètes, naîtront peut-être des mondes…
La démarche est sans nul doute à encourager, d’autant que Mirontsy, avec les figures de Saindoune Ben Ali, Dr Anssoufodudine Mohamed et Mao, est une cité consacrée par la fratrie des poètes. Ils ont de qui prendre, ces jeunes. Pour l’heur, ils refont leur porte à porte dans les écoles de la région. Pour sensibiliser autour de leur démarche. Et qui sait encore ? Peut-être que de ces rencontres naîtront des vocations, qui voudront tisser d’autres histoires à leur tour. Qui peut dire de quoi sera faite la littérature comorienne, demain ? Soutenir cette démarche du Club Soirhane, c’est aussi contribuer à ouvrir un champ des possibles.
Soeuf Elbadawi