« Tout le monde s’improvise photographe »

Sur le panga se dresse la légende des familles de Fomboni, cette cité de tous les mohéliens. Les mariages sont cette occasion rêvée d’éprouver les limites du clan, en obligeant les corps à se plier en cadence devant la bête. Le goma la nyombe ou ngoma nyombe – son nom – se danse à pas mesurés (hau uzuri), dans la liesse et la joie. Y reconnaître les siens est un principe de survie dans cet espace. Mab Elhad, poète et photographe, s’y est invité, le temps d’un court récit. Une belle carte postale dépliée en cinq petits fragments. Ils sont tous là, les noceurs rassemblés, pour défier les sans-grades et se jouer du mépris de classe. Ne célèbre son mariage sur le panga que celui que les mânes reconnaissent et que les gardiennes du legs saluent de leur vivant. Ainsi se raconte Mohéli la cadette, sans fanfare, ni trompette. Juste dans le respect des traditions. Entretien express et images du portfolio paru dans le Mwezi Mag n°3, paru en juillet 2019.

L’intérêt pour le monde de la photo vous est venu comment ?

A l’école primaire. A la fin des années 1970. J’ai encore les photos de l’époque, et c’est ainsi que j’ai pris goût à la photo. Un frère – Cheikh Said – venait d’acquérir un 110 Kodak. Au Lycée Agricole de Luçon – Pétré en Vendée, j’ai intégré le club photo, où j’ai appris à développer le noir et blanc. En 1988, j’ai suivi une formation de quelques mois à l’École des sous-officiers de la gendarmerie de Fontainebleau, en photographie forensique. Une telle formation met la photographie à disposition de la justice pour la reconstitution des scènes de crime. C’est ainsi je suis devenu le 1erphotographe de l’Armée comorienne.

Depuis, j’ai cru en ma passion, et suivi mon bout de chemin. J’ai réalisé une quinzaine d’expositions, aux Comores et à l’international (France, Tanzanie, Madagascar). J’ai reçu quelques trophées, notamment celui du Carrefour des créateurs à St-Dénis de La Réunion en 2004, et celui du Conseil National Delphique de Madagascar en 2004. Quand j’ai pris ma retraite de l’armée en 2009, j’ai opté pour la conversion vers la photo artistique et sociale. D’ailleurs, mes prochains livres porteront sur ce travail.

MEL1B

Vos images témoignent d’une réalité patrimoniale, aujourd’hui menacée…

Effectivement ! Le regard du photographe doit être le témoin de son époque. Quand je fais le bilan de mes expériences photo, je regrette de n’avoir pas fixé nos jeux d’enfance, qui ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Du kirihiri nyangwe, au nyombwe, duura geliau kiba. Tout a disparu ! Plus de folitri, plus de saladi, etc.   Aujourd’hui nos enfants vivent le siècle des jeux électroniques. Nos us et coutumes perdent leurs originalités parce que transformés au fil du temps. L’enfant passe son temps devant l’écran.

Que retenir de ce cliché, où l’on voit un ancien procureur de la république, faire le pas devant le zébu, sur le pangahari de Fomboni ?

Que la culture fait s’estomper les complexes. Toutes les catégories sociales se retrouvent ici – tous âges confondus – pour partager le bonheur de l’un des leurs. Et la photo devient cet objet miraculeux et indispensable pour fixer l’instant vécu. Ce cliché exprime le bonheur de toute une communauté. Et là, le statut ou le titre de procureur s’efface pour laisser place au grand notable, à l’enfant du village.

Que dire de ces femmes, assises, telles des gardiennes du passé, sur le panga ?

Ces femmes attendaient le début d’une danse. La tenue – « sare » – qu’elles portent leur permet de s’identifier par rapport à leur association communautaire, à ne pas se confondre avec d’autres participantes présentes à ces festivités, qui devaient conduire l’un de leur fils au rang de notable (kombe).

 

Pourquoi parle-t-on si peu des pionniers de la photo aux Comores ? On a toujours l’impression qu’il s’agit d’un art nouveau sur cette scène…

Les photographes actuels eux-mêmes ont du mal à s’accepter. Chacun évolue dans son petit coin. Nous avons des talents aux Comores tels que Medass, Bara, Elamine, Aboudou Jacques, Mahamoud Ali Ahmed Bacar, Farouk Djamily Isma Kidza. D’autres évoluent à l’international comme S. Assoumani. Je pense aux femmes, qui évoluent aux Comores et en France à l’Instar de Layina Ansal, de Nawal Moilime. Nous venons de créer une association des photographes comoriens. Espérons que cela va changer la donne. Pour ma part, j’ai déjà eu à rendre hommage aux pionniers sur mon blog : Mbaraka Sidi, Boina Maphoto, Bafakihi, Salim Ahmed Dahali, Photo Med ou encore Mdjomba Hassani à Mohéli.

La rapacité avec laquelle les portables s’approprient le paysage ne signale-t-elle pas la fin des photographes professionnels ?

Tout le monde s’improvise photographe, en effet. Mais j’estime qu’en aucune manière les portables ne pourront remplacer les photographes professionnels. Même si l’évolution du numérique reste impressionnante, un professionnel est quelqu’un qui a un vécu, qui a acquis une technique que le commun des photographes n’a pas.

Propos recueillis par Soeuf Elbadawi

Les images illustrant cet article proviennent du n°3 de Mwezi Mag, téléchargeable ici: MWEZIMAG#03.