Et de quatre pour un mag !

Le dernier Mwezi Mag vient de paraître. Avec un focus sur Maore, la quatrième île. Un sommaire fourni, qui parle de Mamoudzou (l’ex Momoju), de Baco en musique, de la tradition du debaa, des limites du manzaraka, du poète Nassuf Djaïlani, des rituels de trumba, avec deux portfolios, signés Balthazar et Kidza.

Qui sait pourquoi le chef-lieu de Mayotte – Mamoudzou – a perdu son précieux petit nom du temps jadis, « Momoju » ? « La légende raconte qu’à l’origine, 
il y eut cette utopie : ériger une communauté de destin dans un contexte d’éparpillement des origines. Une communauté d’individus dont l’objectif serait
 le même dans ce monde où le féodal, seul, arrimait les envies ». Une histoire de shungu et de watoro déchus, en vérité. Et qui connaît l’artiste Baco, en dehors de ses locks, de sa voix grave et de sa réputation de rebelle impénitent ? Il y aurait « beaucoup à dire, si l’on en croit ce numéro, sur le parcours [de ce] gars qui tâte de sa première guitare à 10-11 ans, après avoir traîné ses guêtres de minot dans les rituels de possession où règne le tambour et les cordes à l’ancienne ». Un artiste passé au shaker de toutes les musiques et influences, sans jamais se perdre, lui et sa terre. Le mag fait une légère introspection dans l’univers littéraire du poète Nassuf Djaïlani, rend un hommage appuyé au débaa, musique et danse sacrée, dresse un constat douloureux autour du manzaraka, effectue un petit arrêt-image sur les rituels de possession héritées du voisin malgache, fait une place aux travaux du plasticien Denis Balthazar, à ceux du photographe Isma Kida, tout en donnant des nouvelles de la compagnie AB au passage. Ce dernier numéro mérite – pour ainsi dire – son pesant…

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La page consacrée à Baco, dont le double album, My Rocking roots, sort, ces jours-ci.

Difficile, en effet, de ne pas applaudir cette folle entreprise. AB Media, issue du groupe AB, essaie, tout en offrant un journal de bord aux passagers de sa compagnie (AB Aviation), de faire entendre les émois de la scène culturelle. Le magazine donne un visage à un univers dont on parle difficilement dans la presse classique. Celui du patrimoine et des créateurs. Lorsqu’est sorti le premier numéro s’est posé la question de savoir si le cahier des charges allait tenir sur le long terme. Belle pagination en quadrichromie, un contenu super documenté, une écriture des plus soignées. L’ambition du magazine pouvait surprendre dans un contexte, où les médias, souvent, se contentent de louer la grandeur d’un artiste, sans discuter de son univers, de façon critique. Dans Mwezi, le sujet est décortiqué au millimètre près, déconstruit, si besoin, « retourné » avec des outils de langage inédits (jusque-là) pour le commun des comoriens. On y ressent la volonté d’un nouveau discours sur les expressions culturelles du pays. Sur le passé comme sur le présent de cette scène.

Dans les années 1990, il y avait eu Le Tambour, magazine financé par le CICIBA, réalisé par le journaliste Kamal Eddine Saindou. Ce fut la première tentative du genre, mais elle n’a pas tenu sur ce marché, faute de lecteurs. Le Tambour s’est retiré du paysage comme il était venu. A petits pas. Sans que les acteurs culturels – les principaux concernés – s’en inquiètent. Or, il s’agissait bien d’un pari audacieux pour une scène, à qui il manque des mots pour signifier son existence et son génie. Dans les journaux de la place, la culture , à l’exception de quelques titres disparus comme Jana na leo ou Kashkazi, est rarement mis à l’avant du carrosse. Quand elle ne joue pas un rôle de bouche-trou entre deux rubriques socio politique, elle devient objet-alibi d’un catalogue d’auto promotion insulaire, où l’on discute assez peu sur les limites imposées à cette scène culturelle. Voir les images et les analyses qui se superposent dans les différents numéros de Mwezi Mag depuis son lancement amène à reconnaître une place singulière à la culture dans l’archipel. Une culture vivante, créative, résilience.

 

Les trois premiers numéros parus, dont celui portant sur les gens du gnome à Mwali.

Mwezi  Mag, telle une petite lampe posée dans la nuit, éclaire avec ses mots sur des manières d’être ou de vivre. Il y est question de poétique et d’utopie archipélique. De relation entre les gens de ces îles. De production discursive autour d’un écosystème. Longtemps, le Comorien donna cette impression d’être tributaire du discours d’autrui pour nommer ses réalités. En plus de croire que la culture se vit, se transmet, mais ne se discute point, « l’habitant de ces lunes » (expression du poète Saindoune Ben Ali) a eu tendance à laisser pérorer les autres à son sujet. Une logique imparable dans les sciences humaines, qui oblige les chercheurs comoriens à emprunter leur propos à des homologues étrangers pour, enfin, se dire dans la langue d’aujourd’hui. Le sentiment, souvent, d’avoir à se regarder dans les yeux des autres, lesquels autres sont issus, d’un monde qui vous catégorise, sans tenir compte de votre complexité. Ainsi s’esquisse le débat sur la nécessité d’un discours-pays. Un débat que l’apparition de ce mag nourrit à point. Il est clair en tous cas qu’un certain discours, se référant aux Gevrey et autres Faurec d’un temps révolu n’a plus lieu d’être. Comme à l’époque du mongozi Ali Soilihi et du msomo wa nyumeni, surgissent ici des mots et des concepts, résonnant en écho avec les mutations culturelles du moment.

En plus d’exister, ce magazine d’AB Aviation – un label privé pour une folle aventure – réussit le pari  d’être un objet gracieux. Sa gratuité y joue pour beaucoup. Grâce, sans doute, à ses pages de pub. 15.000 exemplaires distribués dans les quatre îles représentent un atout non négligeable pour les vendeurs de pub. En dehors des avions et des agences de voyage, on retrouve le mag sur les tables de l’Office national du Tourisme. Sur une étagère de l’Alliance française. Dans des hôtels comme Le Retaj. Des supermarket(s) ou des librairies, telles La Bouquinerie d’Anjouan ou de Passamainty. Le désir de satisfaire à une clientèle AB finit donc par rendre service à toute une communauté. L’objet – à l’écoute des créateurs – trouve son utilité publique dans la promotion d’un pays, faisant même redécouvrir des trésors oubliés comme la poupée à base de mvangati ou l’histoire de Mfalume Mtsambu. A Paris, on déniche Mwezi Mag sur une table de l’ambassade des Comores ou chez un voyagiste comme Ulanga tours. Très récemment, on l’a vu distribué au FUKA fest. à Mirontsy et aux étudiants de l’Université à Mpatse. Avec Mwezi Mag, AB Aviation initie un discours sur l’un des secteurs les pus prometteurs du pays, celui de la culture. Un secteur dans lequel il s’est déjà signalé, en soutenant le travail, par exemple, d’un artiste comme Bourguiba, sacré ambassadeur AB de l’année 2019.

Moha.

Vous pouvez télécharger le numéro précédent, en cliquant ici: MWEZIMAG#03.