Moroni avant l’annonce du premier cas de Covid-19

L’archipel, comme le reste du monde, vit ce temps apocalyptique, où le covid-19 régit tout. Muzdalifa House a demandé à certains acteurs de la société civile de nous raconter la manière dont leur quotidien a changé depuis l’annonce de cette maladie. Aujourd’hui, nous publions ce texte de Mohamed Abderemane Boinafoumou (Mab Elhad), poète et photographe, auteur de Kaulu la Mwando etde regard biaisé. Il nous parle de la situation d’avant le premier cas de Covid-19 à Moroni.

Avenue de la République de Chine, ayant pris un taxi pour me rendre au travail, j’entends au loin, la sirène d’une ambulance, dominer le brouhaha, comme pour se frayer un chemin, dans les embouteillages. Derrière elle, trois voitures suivent, toutes lumières allumées, avec les feux de détresse clignotants. Notre chauffeur se voit obligé de céder le passage. Un passager à mes côtés engage une discussion : « En voilà un ! A l’hôpital, on le soupçonnera de Coronavirus. Or les autorités assurent que cette maladie n’est pas encore parvenue à nos frontières ».

Car voilà le sujet qui anime les places publiques et les foyers. Chaque jour qu’Allah fait se lève, avec son lot de commérages, de suppositions et de suspicions sur cet ennemi invisible : le Covid_19. Le commun des mortels, peur au ventre, s’interroge encore sur l’arrivée du virus dans nos vies. Même si on n’a pas cette impression d’une grande inquiétude, à voir le comportement des gens sur la voie publique. La plupart d’entre eux ne prennent aucune précaution, continuant de vaquer à leurs occupations, comme si de rien n’était.

Covid-Mts

Situation d’il y a une semaine

Ils sont peut-être moins d’un pour cent de la population – estimée en 2016 à 806.153 habitants – à prendre conscience de cette crise sanitaire. Moins d’un pour cent à prendre des dispositions pour se protéger. Porter le masque et se laver les mains, régulièrement, avec de l’eau et du savon, éviter de se toucher les yeux, le nez ou la bouche. Eviter les contacts avec des personnes malades, souffrant d’infections respiratoires. Nombre de personnes se disent « à quoi bon », vu que la maladie n’est pas encore là. La semaine précédant le ramadan, certaines personnes n’ont pas manqué d’honorer des cérémonies de mariage de leur présence, même si certaines familles faisaient de leur mieux pour limiter le nombre d’invités à 20. Chaque fois que quelqu’un décède, les proches, amis et relations se retrouvaient pour un dernier adieu, sans que l’on prenne soin de respecter la distance d’un mètre recommandée. Et là encore, ils sont moins d’une dizaine sur 100 à porter le masque.

Certaines mesures, préconisées par les autorités, sont néanmoins respectées. Les tahalili[1]à la mémoire des morts, se font, à présent, à domicile. Les rassemblements publics sont également interdits, y compris dans les mosquées. La population comorienne est jeune. La proportion des moins de 20 ans représente 57,4%, pour une densité moyenne évaluée à 433 habitants au km². Cela oblige à se poser la question de ce qu’il adviendrait réellement, si la maladie frappait de plein fouet à nos portes. La confusion règne à ce sujet. Trop de confusion face aux propos des autorités, qui, dans leurs déclarations, affirment qu’aucun cas n’est connu sur le territoire. Trop de confusion face aux cas suspectés, déclarés infondés par la suite, et conduisant le Ministre des transports, Houmed Msaïdié, à déclarer que certaines personnes cherchent à semer la panique. Trop de confusionsur un sujet qui renouvèle lesquiproquos entre les autorités, françaises et comorienne. Tout cela, bien sûr, finit par rendre perplexe.Des efforts considérables ont pourtant été fournis par l’État, qui a mis sept comités en place, en charge d’évaluer l’évolution épidémiologique et de gérer cette crise devenue mondiale. Un Comité de prise en charge, un Comité scientifique, une coordination, en plus des comités insulaires…

Covid19

A Moroni, une feuille de route a été initié et des actions engagées, notamment au niveau du nettoyage des marchés par la Protection Civile (COSEP), en plus de la prévention et de la sensibilisation, à travers une campagne d’information, d’éducation, de formations-relais et de communication. Le fameux « PCR » annoncé est enfin arrivé dans le pays, même si la formation des techniciens devant l’utiliser n’est pas achevée.  Une partie de l’aide octroyée par le chinois Jackma a semble-t-il été distribué dans les milieux hospitaliers et sanitaires. Le PNUD a, quant à lui, a apporté un appui en produits de protections aux services de l’ordre. Une unité anti-corona virus au sein de la gendarmerie intervient régulièrement dans l’espace public pour faire respecter les mesures d’accompagnement initiées par les autorités. L’armée et la police sont mobilisées sur les côtes et les ports secondaires, pour empêcher l’intrusion dans le pays d’embarcations en provenance de Mayotte ou d’ailleurs.  Le Haut conseil de la notabilité s’investit dans une campagne de sensibilisation des villages côtiers.

Corona-dingue_19 l’autre nom

Le Covid-19, est venu avec son lot de questionnements, d’ordre politique, économique, social et culturel. Certaines entreprises ont dû réduire leurs effectifs et mettre en « chômage technique » leurs agents.  L’activité est au ralenti. Les marchés ouverts de 8 à 16h sont de moins en moins fréquentées. Les commerçants, même s’ils ouvrent leurs magasins, reçoivent peu de clients. Le culturel et le cultuel, en dehors du jeûne, sont interdits dans l’espace public. Décrété la semaine passée, le couvre-feu, interdisant de circuler la nuit de 20h à 05 heures du matin, vient empêcher le tarawehi et sa suite.  Pourtant, on se rend bien compte que les clients et les patients (dans les banques comme dans les hôpitaux), convaincus qu’ils sont qu’Allah nous protège (Mgu ngenasi), ne respectent pas toujours les mesures recommandées. Au marché de Volo Volo, il semble ainsi difficile de respecter la distance d’un mètre, et peu de gens y portent le masque.

Covid-Had

Jeu de mot, amalgame ? « Corona-dingue_19 » est le terme inventé par la rue pour se représenter la pandémie. A cause d’une confusion entre la pandémie et une épidémie de dengue, sévissant en ce moment dans le pays, clouant de ombreux malades au lit, parfois durant deux à trois semaines. Cette maladie, qui attaque en majorité des personnes âgées, fait son lot de morts, chaque jour, surtout du côté des diabétiques, des dialysés et insuffisants respiratoires. La plupart des malades atteints préfèrent cependant se soigner d’après les canons de la médecine traditionnelle, avec des racines et des herbes concoctées sous forme d’infusions. Ils estiment que les soins hospitaliers ne leur apportent pas de satisfaction. Leur état conduit surtout à s’interroger sur une forme nouvelle de la dengue, différente de tout ce qui été connu par le passé. Comme l’explique ce vieil homme, rencontré à l’hôpital El-Maarouf : «  On en a vu d’autres, qui n’étaient pas aussi mortelles ». L’évacuation d’El Maarouf à Sambakuni – où sont censés être accueillis les cas dépistés de Covid-19 – d’une douzaine de patients, souffrant de dingue, a suscité une vraie panique, il y a quelques jours.

En attendant de lever le doute sur les confusions actuellement entretenues, les villages se mobilisent pour protéger leurs ressortissants. Si certains entrepreneurs ou personnalités à l’instar de l’avocat Me Mzimba, ou l’entrepreneur, Mahamoud Ali Boinafoume de la CBE, ainsi que certains prédicateurs, mettent la main à la poche pour venir en aide à la population à Moroni, certains se demandent comment l’État va pouvoir gérer la suite. Pendant ce temps, les bateaux commerciaux continuent à mouiller au port. Ce qui fait dire à ce vieux du petit port de pêche d’Itsangadju : « Et si le virus nous venait de ces grands bateaux, qui mouillent dans nos eaux territoriales ? »

MAB Elhad

[1] Cérémonie religieuse.