1975-2020 ou 45 années de tourmente pour l’archipel des Comores. Une génération de sacrifiés, sinon plus, est passée sous l’autel de la mémoire. A force de réécriture et de férocité coloniale, le pays a vu ses limites territoriales biffées, de manière sournoise et singulière. Ses propres enfants contribuent à l’ultime opération de dépossession entreprise par l’ancienne tutelle, qui use de Mayotte comme d’un espace-repoussoir pour asseoir à nouveau sa mainmise sur l’ensemble archipélique. La banderole au-dessus date d’une manifestation de la diaspora contre l’occupation de la quatre!ème île sur la place du Trocadéro à Parisen 2007.
La question de l’île comorienne de Mayotte se complexifie au fil du temps et ce en raison – essentiellement – de la faiblesse de la partie comorienne. Contrairement à Maurice, Madagascar, voire la Palestine, qui, eux, se battent pour que l’ONU reconnaisse leur souveraineté sur tout ou partie de leurs territoires, les frontières des Comores ont été clairement définies, sans aucune ambiguïté possible, par la résolution du 12 novembre 1975.
Nous avons un problème avec l’Etat français et non avec l’ONU, dont nous disposons de l’arsenal juridico-administratif nécessaire pour nous défendre. Mais il est vrai que nous ne l’utilisons pas ou pas assez, au contraire de la France qui, elle, use de tous les moyens possibles pour affaiblir la position comorienne, avec, souvent, la complicité active ou passive de nos autorités. Nous avons en mémoire les déstabilisations récurrentes de la partie indépendante. La pression psychologique installée par les assassinats de certains de nos présidents.
Manifestation de Comoriens de France au Trocadéro, à la suite de la phrase du président Macron sur les kwasa à Mayotte, en 2017 : « Le kwassa-kwassa pêche peu ! Il amène du Comorien ! ». Cette communauté ─ « de la 5e île » comme le disent les médias ─ est l’une des plus critiques de la société civile comorienne aujourd’hui
Chaque fois que la France a une décision importante à prendre sur le statut de Mayotte, une crise naît, comme par hasard, dans la partie indépendante. Souvenez-vous de la crise séparatiste de 1997 à 2001, période correspondant à la loi sur l’ancrage de Mayotte dans la République française. Souvenez-vous du référendum de 2009, improvisé par Sambi comme pour faire oublier celui sur la départementalisation de Mayotte, au même moment.
Ce n’est pas tout.
Il n’y a pas si longtemps, nous avons vu diffuser un agenda luxueux par la Présidence des Comores dans lequel figure une carte avec une frontière maritime située entre Mayotte et ses îles sœurs. Nous avons aussi vu un livre sur les ressources côtières des Comores, financé par le programme des Nations Unies pour l’environnement, préfacé par un ministre comorien de l’environnement, où il est indiqué que la République des Comores est composée de trois îles. Nous avons vu un vice-président signer un document de la Banque mondiale, où il était question de l’Union des Comores formée de ces trois mêmes îles. Nous avons ensuite vu la France départementaliser et « rupéïser » Mayotte, sans réaction conséquente de la partie comorienne.
Rappelons que la demande de « rupéisation » de Mayotte, initialement prévue pour être adoptée lors du conseil européen des 28 et 29 juin 2012, avait été reportée à cause d’une réserve parlementaire de la Grande-Bretagne. Ce qui aurait pu servir de « déclic » pour une contre-offensive comorienne semble n’avoir bougé aucun neurone du côté de nos diplomates. Et quand Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères de la Russie, fustige la politique de deux poids / deux mesures de la France, qui « continue à détenir Mayotte d’une façon illégitime », après l’avoir séparé du reste de l’archipel, et précise que le cas de la Crimée « ne peut pas être examiné isolément, sans regarder les précédents historiques (…) la Crimée [signifiant] incomparablement plus pour la Russie que (…) les Comores pour la France », la diplomatie comorienne est restée sourde.
On feint de l’oublier, mais ce sont les autorités comoriennes qui ont demandé le retrait de la question de Mayotte du débat à l’Assemblé Générale de l’ONU. L’ONU leur a d’ailleurs signifié qu’elles n’ont pas autorité pour une telle demande, l’inscription permanente à l’ordre du jour de l’AG ayant été faite non pas par les Comores, mais par l’OUA. Chaque mois de septembre, donc, l’autorité comorienne se rend à la tribune de l’ONU pour se livrer à un numéro de claquettes, en déclarant Mayotte « comorienne », alors qu’elle a elle-même suspendu tout débat sur la question par son étrange décision. Ce qui se traduit par l’absence de nouvelles condamnations de la France à Mayotte. L’Etat ou le président comorien use ainsi de la technique convenue de la cartouche à blanc, qui fait du bruit sans prêter à conséquence.
Des député et sénateur français du Parti communiste déclarent au parlement français que les agissements de la France à Mayotte relèvent du crime contre l’humanité, alors que les autorités comoriennes se montrent incapables de prononcer ces mots. Ils osent encore moins penser à l’idée d’une plainte à la Cour pénale internationale. On connaît pourtant les conséquences du Visa Balladur à ce jour, ainsi que les dérives liées au déplacement de population, orchestré par l’administration française depuis Mayotte. Nous tenons justement à saluer la constance du PCF depuis quarante cinq ans dans son engagement contre la balkanisation des Comores par l’Etat français.
Petit film commandé à l’artiste Soeuf Elbadawi par le mouvement Mvukisho Ye Masiwa en France à l’occasion des 45 ans de l’indépendance comorienne.
Autre fait étrange ! Dans nombre de nos administrations, civiles et militaires, évoluent des gens supposés être des « Comoriens », mais qui n’en ont que le visage. Des gens qui ne sont pas du tout au service de leur pays. A la présidence et au Mirex, en particulier. Ils peuvent être des secrétaires, des conseillers ou sans titre officiel. Ils veillent notamment à aseptiser les discours que le président du moment a à prononcer dans les forums internationaux. Il ne faut pas qu’il y ait des termes susceptibles de déplaire à la France. Me vient à l’esprit cet excès de zèle, situé à la limite du « lèche-bottisme ». Dans le cadre de la célébration du 50e anniversaire de l’Union africaine à Addis-Abeba, feu Salim Himidi a été invité pour participer à une conférence sur le Panafricanisme. Il y est allé par ses propres moyens et sans titre officiel.
Sollicité par les journalistes, Himidi a déclaré, notamment, que « la présence française sur l’île de Mayotte est toujours considérée par l’UA comme étant illégale » et que « la décolonisation de l’Afrique aurait réussie si ce n’est le cas du Sahara occidental et celui de Mayotte ». Une déclaration, somme toute, sobre et non tapageuse. Eh bien ! Le Ministère comorien des Affaires étrangères s’est cru obligé de le désavouer et de démentir des propos n’engageant pas l’Etat, car tenus par quelqu’un ne le représentant pas. Le Mirex s’en est excusé, platement, par une note verbale, rédigée dans un français approximatif, d’ailleurs. Comme s’il voulait signifier que la présence française sur l’île de Mayotte était désormais « normale ». La logique voudrait pourtant qu’ils soient contents de ce que d’autres disent ce qu’ils ne peuvent ou ne veulent signifier eux-mêmes, que des personnalités, ayant une voix qui porte, défendent le principe de souveraineté nationale.
Mais il n’y a pas que les « politiques » qui ont failli dans cette histoire. La société civile, non plus, ne participe pas à ce combat, à la hauteur de ce qu’il devrait être. Bien sûr, on trouve un Comité Maore ou un GRDC par-ci, un collectif CDISCOM ou un Mvukisho ye Masiwa par-là. Et ils font ce qu’ils peuvent pour sensibiliser les opinions, nationale et internationale. Mais concrètement, la part de nos intellectuels reste infime dans ce combat. Et on se demande pourquoi… On dirait qu’on est vraiment formé pour ne plus nous interroger. Or, comme on le sait tous, un intellectuel, ça pense, ça réfléchit, ça se pose des questions et ça essaie de trouver des réponses. Ce qui n’est pas le cas de la plupart d’entre nous.
Petit film commandé à l’activiste Abdou Ahmed par le mouvement Mvukisho Ye Masiwa en France à l’occasion des 45 ans de l’indépendance comorienne.
Que peut on attendre des autorités comoriennes, quelles qu’elles soient, s’il y avait une once de patriotisme dans leur cœur ? Qu’elles sortent du huis clos suicidaire avec la France, en soumettant toute discussion à un arbitrage international. Qu’elles portent plainte à la CPI contre les autorités françaises pour crime contre l’humanité et crime d’agression. Qu’elles s’adressent à la Cour Internationale de Justice (CIJ), ne serait-ce que dans sa compétence consultative. Qu’elles portent plainte contre l’Etat français au Conseil de sécurité (CS) de l’ONU, comme l’a fait, en son temps, feu le président Ali Soilihi _ la seule fois d’ailleurs où on a disposé d’une diplomatie offensive, avec un succès incontestable. Sur les 15 membres du Conseil, aucun n’a voté en faveur de la France, y compris parmi les puissances occidentales (11 voix en faveur des Comores, 3 abstentions [USA, Royaume-Uni et Italie]).
Contrairement à la fable qu’essaient de nous faire avaler les différentes autorités gouvernementales comoriennes, nous n’avons pas à avoir peur du véto de la France. Il ne peut plus jouer contre nous. C’est par la singularité de notre cas et un malheureux concours de circonstance que ce véto a pu passer en 1976. Les débats au Conseil de Sécurité, relatifs à la plainte contre l’Etat français, déposée par le président Ali Soilihi, ont duré plus de quinze heures sur trois jours. Les gens étaient déjà fatigués lorsqu’à 21 heures passées, mais surtout après le vote, nos amis, représentants du Benin et de la Libye, ont soulevé la question de la légalité du vote de la France. Le représentant de la France a invoqué un précédent concernant un conflit entre le Panama et les USA, mais le représentant du Panama a démoli son raisonnement. Le fait que la question n’a pas été soulevée avant le vote l’a emporté. L’article 27.3 de la Charte de l’ONU est sans aucune ambigüité. Dans la prise de décision, concernant un conflit comme celui qui nous oppose à la France, tout membre permanent du Conseil de Sécurité, partie au différend, ne peut prendre part au vote.
Abdou Ahmed