Solidarité et nouveaux modes d’organisation. De la prise en charge morale et identitaire jusqu’à la simple organisation de bals, les associations comoriennes en France mobilisent plusieurs raisons sociales. L’ASEC a été un précurseur dans ce domaine. Mais depuis peu apparaissent de nouvelles structures essentiellement basées sur l’appartenance à la région, au village, au quartier. Repris une première fois le 22 mai 2002 par feu Komornet – premier site comorien d’information culturelle et citoyenne, aujourd’hui disparu – cette réflexion que Fouad Goulam avait d’abord écrit pour la revue Maandzish garde toute son acuité, encore aujourd’hui.
L’ASEC glorifiée et désertée. L’association des Stagiaires et Etudiants des Comores, dont l’action a fait autorité à l’époque coloniale et pendant les premières années de l’indépendance, s’avère un repère incontournable du mouvement associatif comorien en France. Avec elle commence l’histoire de ce mouvement dans l’euphorie du printemps révolutionnaire, fort d’espérances et d’avancées syndicales, à une époque où la culture collective était celle des mouvements intellectuels accompagnant le mouvement ouvrier international. L’ASEC aura été la plus ancienne et la plus entreprenante des associations comoriennes en France sur les fronts politique, idéologique, syndical, culturel et sportif. Sa disparition du paysage a même généré un vide. Pourquoi ? Les explications sont sûrement nombreuses. Cependant, je me contenterai de noter simplement qu’elle avait comme principe fondateur celui d’un syndicalisme militant, reposant sur un engagement fort, mais avec un taux d’adhésion insignifiant. C’est la raison pour laquelle elle défendait avec acharnement les intérêts de tous les étudiants comoriens, qu’ils soient membres de l’association ou pas.
Ce fut surtout le cas de la période post-coloniale où les conquêtes d’ordre matériel ont connu leurs grandes heures. Mais aussi loin que l’on puisse remonter dans l’histoire de l’ASEC, on peut toujours constater le contraste existant entre ses moments de gloire (l’époque de ses « regroupements culturels »[1] notamment) et sa faible implantation numérique en France. Elle occupait ainsi les devants de la scène politique et sociale, mais n’arrêtait pas de perdre ses militants à cause de son discours idéologique. La continuation semblait donc aléatoire, quand le mouvement ne se préoccupait pas de recruter. Alors que les véritables piliers se tournaient vers d’autres cadres de lutte.
En fait, en tant que mouvement social, l’ASEC ne pouvait échapper totalement à la structuration à la fois idéologique et organisationnelle du champ politique. Il y avait toutefois une surdétermination politique frappante. Et le mouvement voulait s’occuper de tout pour politiquement influer sur toute la communauté implantée en France. La chute des adhésions était dans ces conditions imparable. L’engagement de la responsabilité de l’ASEC dans le relâchement du mouvement associatif de ces derniers temps s’explique aussi par le fait qu’elle s’opposait viscéralement à l’existence d’autres associations dans la communauté, même si elle a fini par légitimer les associations régionales et villageoises.

Les pratiques associatives qui ont suivi la disparition de l’ASEC se sont principalement limitées au cadre socioculturel, plus dans le social que dans le culturel. Les organisations sont légion et font quelque peu pagaille. On sait qu’elles luttent toutes contre le mal-vivre dans l’Hexagone ou pour résoudre des problèmes quotidiens au pays. Cependant, leur multiplication ne joue pas pour l’efficacité de leur action.
Bien que ces organisations se dotent de statuts inspirés de la loi de 1901, elles se maintiennent dans une sorte de « ghetto mental », comme dans une cellule plus ou moins clandestine, dont l’activité se résume à l’organisation du bal annuel ou semestriel, avec des fonds qui sont ensuite transférés dans l’Archipel pour des actions de développement. L’absence d’un programme d’activité (conséquent) les limite, inconsciemment, à un univers relationnel déterminé, exposé à toute sorte de difficultés de fonctionnement.
A Marseille, par exemple, des conflits de génération entraînent fatalement la division de certaines associations autour du remplacement des bals par des « madjliss » comme source possible de financement des actions menées par les associations de la cité phocéenne. Comme si les deux ne pouvaient être complémentaires. Des conflits d’intérêts dominent les débats, des situations de détournement d’argent également, des luttes intestines basées sur des motifs futiles. Une situation qui amène les jeunes de la seconde et de la troisième génération à se méfier de ce milieu associatif. En fait, tout est à reconsidérer, notamment dans l’approche de la notion de solidarité au sein de la communauté. Cela nécessite du sang neuf et un renouveau des initiatives au sein de chaque association en rapport avec les nouvelles attentes exprimées par les nouvelles générations. Une telle approche est indispensable, si ces associations veulent contribuer efficacement au bien-être de tous « ici et là-bas » et s’offrir une autre identité que celle d’association de troisième zone.
Fouad Goulam
[1] Rencontres socioculturelles à forte mobilisation, interpellant toute la communauté, sans distinction d’âge, ni d’appartenance idéologique, dans les villes françaises à forte concentration d’immigrés comoriens.