Certains acteurs de la musique parlent de retrouver un âge d’or du live dans cette ville. La scène live y a effectivement perdu de son faste depuis les années 2000, à cause notamment de la grande mode des playbacks à l’affiche.
À Moroni, il a pourtant été roi, longtemps. Le twarab des années 1950 y a marqué des esprits. Avec la naissance et la promotion d’associations musicales comme Asmumo ou Awladil’Comores. « A cette époque, presque chaque ville ou village avait son propre orchestre », souvient Zenab Elyas, ancienne journaliste de Radio Comores et correspondante de RFI. Le live à Moroni est fondateur de grandes histoires en musique. C’est de là que certains artistes sont partis se distinguer sur les scènes du monde. Elle cite en exemple Abou Chihabi, qui remporte le prix des auditeurs des Découvertes RFI en 1981. Abdallah Mohamed Poundja alias Boul des îles, qui reçoit le prix spécial du jury du même concours avec Tsanga nge utsangiwa en 1983. Adinane Saïd Mohamed Taanchik (Adina), qui décroche le grand prix du concours musical panafricain en 1987 et devient « ambassadeur de la musique africaine » la même année, avec le tout premier clip comorien, largement diffusé à l’étranger.
« Dans les années 1980, il y avait une consistance du live. Je me souviens comme hier des carnavals, animés par les orchestres d’Asmumo et Awladil’Comores. Ils jouaient un peu de tout et dans tous les styles. Ils ne manquaient pas d’imagination », se rappelle encore Soilih Abdallah Moina, journaliste de l’Ortc. Sauf que cette mémoire a fini par s’éteindre. Il y a longtemps, maintenant, que Moroni ne chante plus avec autant de faste. Depuis qu’Asmumo et Awladil’Comores ont rendu l’âme, depuis que la facture du live a incidemment augmenté, surtout. Il n’y a plus que les ukumbi et les boîtes de nuit pour remplir les yeux et les oreilles des mélomanes. Seuls Salim Ali Amir et Ngaya parviennent encore à tenir le flambeau avec panache, face à la techno music des jeunes générations, qui n’ont besoin, eux, que d’un bon dj ou d’un ordinateur pour sévir à Al-Camar ou sur la place Ajao. Le live d’une époque a laissé place au playback des deejay’s. La bascule a eu lieu dans les années 1990. Le phénomène a pris de l’ampleur dans les années 2000, avec l’avènement d’artistes comme Djobane Djo, Ayzdi ou Ambargo.
Des images venues du passé. Photo 1 : le kenyan Jimmy Mawi. Ph. 2 : Vevey National en tee-shirt collector. Ph. 3 : les membres du Venus Club en plein show.
Beaucoup de pros, à l’instar de Mwinyi Allaoui Abderemane (Chebli) considèrent l’apparition de ces nouvelles pratiques musicales comme responsable de la disparition du live. Vue comme une facilité, le playback coûte peu. Pourquoi se prendre la tête, se disent certains, à engager des musiciens, alors qu’il suffit de passer un disque ? La mort du live est d’abord liée à une affaire d’économie. « Le public comorien à aussi une responsabilité sur cette disparition du live. Il ne veut pas payer le billet au-delà des 1.500 francs. Ce qui est insuffisant pour couvrir les dépenses de la sono, des lumières et assurer un cachet convenable », souligne Salim Ali Amir. Mais il n’y a pas que l’argent, bien sûr. Zenab Elias indexe la nouvelle génération, qu’elle trouve peu inspirée : « Les jeunes ne veulent pas travailler pour se doter de créations originales, [en lien avec leur] culture et [leur] tradition. Aujourd’hui, avec les covers, que je considère comme étant un des ennemis du live, on ne reconnaît pas les artistes comoriens, si ce n’est par leur langue. Il suffit que des Tanzaniens comme Diamond Platnumz et Harmonize sortent une création le soir pour l’entendre en version comorienne, le lendemain ».
La fascination pour les groupes étrangers de passage n’est pourtant pas un fait nouveau. La scène moronienne a toujours accueilli des artistes internationaux, sans que cela ne remette son intégrité ou son intelligence en cause. D’aucuns se rappellent encore du succès des kenyans Jimi Mawi, invité par le Venus Club de Mboueni, et Boma Liwanza, alors convié par Veve National de Magoudju. Le temps des Kart’s, des Anges noirs ou des orchestres de la révolution à Al-Camar comme Joujou des Comores paraît bel et bien fini. La majorité des figures, ayant contribué au succès du live à Moroni (1970-1990), se sont retirées du paysage. Maabadi Mze et Youssouf Abdoulhalik, tous deux compositeurs émérites de twarab, sont décédés. Athoumane Ibrahim et Mze Abdallah Hadji ne taquinent plus le violon. Abou Chihabi, père du folkomorocean et de l’hymne national de l’époque révolutionnaire, est parti s’installer à Mayotte. Ahmed Barwane, Mohamed Mattoir et Mohamed Hassane Alfeine, interprètes connus des orchestres de mariage, se sont lancés dans d’autres dynamiques, politiques, entre autres. Ali Cheikh, chantre du Veve National, a renoncé à la musique. Chakira et Abdillah (Jerry), piliers de Venus à Mboueni ont pris de l’âge.
Des images de live récent à Moroni. Ahmed Cheikh à Badjanani, lors d’un Badja Place. Maalesh à l’Alliance française de Moroni. Boul des îles en show-case au Muzdalifa House à Sanfil’iho Hankunu.
On se souvient de moins en moins des artistes consacrés d’une certaine époque. Le groupe Sy et son buzz cosmopolite ? Sedo et sa voix de chœur ? Fatima Djambae et son chant de femme libérée ? Il y en avait des plus pointus. Mohamed Ali Mohamed, Abou Oubeïdi (Ampwenti), Armand. Zeynab Elyas repense, non sans une pointe de nostalgie dans la voix de ce fameux concert de Boul : « Jeunes et vieux, hommes et femmes avaient répondu « présent ». Je me souviens qu’à cause de l’ambiance,Boul était scotché, au micro sans pouvoir articuler un mot. Et heureusement que son choriste, Maalesh, l’a rapidement suppléé, sans que tout le monde l’ait remarqué. Il y avait beaucoup de complicité. On sentait qu’il s’agissait de musiciens qui répétaient à longueur de journée ». Le public était exigeant, et artistes rêvaient d’un son alternatif à l’époque. Pop et néo folk, sans oublier le son des vieux orchestres : « Le live était ancré principalement dans le twarab »,se rappelle Mwinyi Allaoui Abderemane (Chebli), avant d’expliquer que le terrain du liveest désormais dévolue à la seule musique urbaine. Une situation qui l’attriste : « Avec un seul concert live par an, on peut considérer la scène live comme morte ! »
Seul Ngaya, passé de Boul à Salim, incarne encore une certaine idée du live, pendant que Maalesh et ses avatars, Souleymane Mze Cheikh et autres Kosty deviennent des sortes d’exception dans la nuit moronienne, en l’absence d’une vraie dynamique de programmation. Non pas que tout soit perdu à jamais, mais trop d’enjeux réduisent le champ des possibles. Les acteurs de la profession aspirent à retrouver cet âge d’or du live, mais n’ont pas toujours les moyens d’investir. Des restaurants courus comme le Select ou le Cœlacanthe s’activent en coulisses, avec des projets de live, mais la crise actuelle ralentit leurs envies. Un seul projet a pu voir le jour, malgré le covid-19. Le Wee Maquis de Chebli Msaidié. L’artiste a ouvert les portes de son cabaret show en mars dernier. Il y accueillait Céline Bandza, chanteuse congolaise, prix découvertes RFI, au nom de l’Alliance française : « Je vais donner à la capitale ce qu’on trouve à Douala, Abidjan, Conakry ou même à Tana. Il n’y a pas d’endroit à Moroni où l’ont peut se détendre, manger et écouter de la bonne musique, interprétée par de bons musiciens ».
Céline Banda, invité de l’Alliance française au WEE Maquis. Logo des sessions Kara-live. Salim Ali Amir, l’artiste aux 33 ans de live. Son dernier opus s’intitule Tsi wono zindji. Comme une sorte de rappel…
Le patron du Wimaki – qui dit avoir investi plus de 20.000 euros dans le projet – sait que l’entreprise a un coût : « Il faut que la population comprenne qu’une œuvre a un prix, qu’il faut payer pour voir un artiste. C’est inadmissible que des artistes comme Zaza ou Salim Ali Amir soient payés 400 à 500 euros pour une chanson de mariage et que les mêmes personnes ne soient pas payées beaucoup plus chers pour un concert pour lequel ils ramènent 11 musiciens », soutient-il. Salim Ali Amir, trente trois ans de scène, l’un des rares à vivre du live dans le pays estime que le live des bals d’une certaine époque a également aidé à ce que les musiciens se maintiennent le sur la scène plus longtemps. Il en profite pour tacler les amateurs de playback : « La différence entre nous et les jeunes d’aujourd’hui, c’est qu’on ne jouait pas la musique pour le buzz, mais pour l’amour de l’art ». Sa poursuite du live s’explique par la fidélisation de son orchestre : « Je suis [celui] qui paie le mieux ses musiciens. Il faut savoir gérer son succès ». Il mise surtout en sa relation avec le public : « Être humble et en contact permanent avec les gens. Ne pas perdre ses repères, sous prétexte qu’on a sorti deux ou trois chansons à succès. Au final, c’est le public qui reste roi et il faut savoir être reconnaissant. C’est comme ça qu’il te rend meilleur et qu’il te donne tout son amour ».
Notons également ce phénomène, récent. Celui des live on line. Des émissions et des concerts que les internautes suivent en direct. Watwaniya Production de Cheikh Mc s’y est mis avec des sessions décalées. L’Alliance française de Moroni avec son clin d’œil des artistes. Mais Lee-Nossent et sa femme Malha ont été les premiers à se faire le plus entendre sur ce plan. Le couple a d’ailleurs mis une émission en place, le Kara-live, pour leurs nombreux fans. Accompagné d’un groupe, Lee-Nossent et Malha offrent un show brut, sans fioritures, sur une page facebook. Avec interaction et vote en direct des internautes. Ce qui assure une certaine visibilité aux artistes conviés. « Je salue cette initiative qui vise à mettre en avant le live dans la musique urbaine, où c’est très rare. J’estime que Kara-live donne déjà un coup de pouce à la musique comorienne », commente le producteur et rappeur Ast.
Mahdawi Ben Ali