Mwegne M’madi le soudeur au ndzedze

Portrait express d’un artiste atypique. Consacré aux côtés de Soubi et Eliasse (trio Elisouma), multipliant les rencontres expérimentales, notamment avec le monde du théâtre, Mwegne (ou Mwinyi) M’madi est devenu l’un des interprètes au ndzendze les plus surprenants de ces dernières années. Paru dans le numéro 64 de Kashkazi en juin 2007, cet article permet de se faire une idée des débuts de son parcours singulier.

Invité surprise du Komor4 Festival en janvier 2006, Mwegne (ou Mwinyi) Mmadi a mis le feu deux mois plus tard, lors d’un show-case express, sur la scène de l’Alliance franco-comorienne de Moroni, aux côtés de Costy, ex-guitariste des Belle Lumière, de Zaka et Didi, choristes du groupe Kiyo. L’ambiance fut déjantée ce soir-là, avec une volonté affichée de bousculer les habitudes du microcosme, en cultivant un répertoire des plus décapants. Un mélange troublant de chansons de troubadour et de mélodies ressurgies du passé, qui rappelle étrangement Kassav, James Brown ou Fela Anikulapo Kuti par certains accents, tout en étant bien inscrit dans le patrimoine des quatre quarts de lunes. 

Un drôle de parcours que celui de cet artisan soudeur, amateur d’afro-jazz et bon vivant à ses heures. Un homme qui se situe loin de la nouvelle génération d’artistes chicaneurs, pour qui la musique n’est que parodies et simulacres de dj’s sur une scène nationale désertée par les meilleurs de nos instrumentistes. Frère du Cybor percussionniste de Ngaya, Mwegne M. est de ceux qui ont connu le faste et la magie de la salle Al-Camar remplie à ras bord, lorsqu’il jouait à l’illusionniste avec feu Ahmed Matswa Ndrundru. Il pouvait alors vous avaler une couleuvre en live ou se transformer en chat blanc sous l’œil attendri d’un public affamé de sensations nouvelles. 

Mwegne M’madi au théâtre avec la compagnie O Mcezo* lors d’un atelier de création à l’Alliance de Moroni.

Mais « artiste » n’étant pas un métier, Mwegne a fini par donner l’impression un jour de se tromper de vocation. Au fil du temps, il devint effectivement austère en affaires et habile de ses mains, en fondant une petite famille sans histoires. Il faut croire qu’il voulut alors rejoindre le commun des gens sérieux, en mettant de côté son rêve de saltimbanque. Ce qu’il ne réussit que difficilement, puisque le fait de fredonner de riches mélodies entre deux rendez-vous de boulot l’amena vite à se retrouver aux côtés des plus illustres de nos folksingers, de Ali Cheik à Maalesh. Comme quoi, on ne guérit jamais totalement de ses passions, y compris après un long périple qui le traîna de l’Afrique du Sud à la France.

Toujours est-il qu’il revint un matin sur le sol natal avec l’idée que son avenir ne pouvait se lire que dans la pratique d’un art de la scène. Puis vint le moment crucial où il lui fallut choisir entre les ritournelles heureuses ou engagées et le reste de sa vie. Un moment difficile qui est vite passé. Les rhumatismes aidant, Mwegne M. sentit en lui une envie de se rendre encore plus léger sous les spotlights, même s’il lui fallait continuer à officier sur des chantiers de construction improvisée. Dans l’absolu, Mwegne M. reste un bon artisan. Mais aura-t-il toute la vie pour s’offrir un second souffle en musique ? 

Sur scène, avec ses amis du trio Elisouma.

A cette question, Laher, propriétaire d’un studio à Ntsudjini, a cru bon de répondre par un « oui ». C’est ainsi qu’il devient depuis quelques semaines son premier producteur. Un producteur fasciné. Un peu à l’image de ce public qui a vu Mwegne Mmadi débouler en ikoiet hirizi, avec descris de « possédé » à l’Alliance de Moroni l’an dernier. Un vrai show qui fit de lui un artiste quelque peu atypique dans le paysage. 

Issu d’un milieu où seuls l’emportaient le twarabet les sonorités étrangères, Mwegne Mmadi déstabilise son public de cœur par l’énergie qu’il met au service du ndzendze. Un instrument à corde, quasi méconnu à Ngazidja, son île natale. Un instrument que l’on associe volontiers à Mwali, Ndzuani ou Maore, et pour lequel il développe une passion démesurée, contractée à la suite d’une rencontre avec la bande à Soubi. Le ndzendze est cet instrument percussif, au son parfois habité par les djinns d’un royaume malgache. C’est avec lui que Soubi lui a donné le goût des rythmiques décalées. A force, il s’en est fabriqué un. Un instrument qui est surtout loin de lui livrer tous ses secrets à ce jour.

Soeuf Elbadawi