Entre la promotion de dynamiques marchandes alternatives et la valorisation du fait culturel et archipélique, ulimiz-b.com se fraie un chemin sur la toile, en voulant proposer une vitrine de ce qui se fabrique le mieux sur la scène comorienne actuelle. Le site est ouvert depuis le 1erseptembre 2020. Il est plus vu comme une expérience que comme une certitude par ses fondateurs, mais commence à faire parler de lui dans le pays.
Ulimiz-b est une petite énigme à la comorienne. Se voir comme une épicerie est déjà un choix singulier. Le site ne souhaite pas se confondre avec une plate-forme de commerce classique. Simba Khaled, l’un de ses promoteurs, parle de duka la kapwani, expression empruntée à Ngazidja pour désigner les étals de rue, qui sont une réponse évidente au stress du quotidien. Au marché ou dans les quartiers, on trouve nombre de ces boutiques improvisées à la hâte, mais qui fournissent l’essentiel aux foyers nécessiteux. Se revendiquer de cette histoire, bien qu’en y accolant un esprit tendance 2.0, est probablement une manière de se forger une image de maison ouverte à tous les Comoriens, qui, eux, ne s’adressent au marché de la culture que lorsque la nécessité les y oblige.
Présentation du site avec Simba Khaled, un de promoteurs du site.
Car la question demeure. Pour qui ce site a-t-il été pensé ? En dehors du remue-méninge permanent des réseaux sociaux, où se réinvente, ces derniers temps, une opposition politique à peu de frais, les Comoriens se méfient du web. Ils préfèrent aller faire la queue au guichet de la poste, plutôt que de transférer de l’argent, de compte à compte. Ils donnent volontiers une enveloppe d’argent pour un achat longue distance, mais évitent autant que possible de commander sur le net. Ils se demandent toujours, qui, à l’autre bout, va manipuler leurs infos. « Cette défiance est presque vécue comme normale. Déjà qu’on se méfie de l’administration et de toute entreprise œuvrant dans le pays… Il faut vous imaginer la peur qu’on peut avoir du web, où l’on doit se contenter d’une interface sans humanité » avance un habitué. L’artiste Baco raconte pour sa part comment ses fans l’appelaient de Maore pour prendre part à son opération de crowdfunding, sans passer par la case « carte bleue ».
Une logique qui va devoir changer, dans la mesure où « le monde se décide de plus en plus autour de cette petite carte à portée digitale », affirme cet agent de banque de la capitale. « On use déjà du transfert via mobile pour les transferts d’argent. Mais cela ne permet pas d’accéder à certains services, qui reviennent relativement moins chers, pour x raisons, en passant par le net. Moins de stockage, moins de frais, moins d’intermédiaires. Les consommateurs qui en ont les moyens vont devoir revoir leur modèle économique. Je parle, bien sûr, des moyens de s’organiser pour profiter du net. Celui qui a une carte bleue peut faciliter la vie à des tas de gens autour de lui. Par le passé, celui qui avait un compte bancaire faisait pareil pour tous. Quand il y avait besoin de garantie pour obtenir un visa ou pour emprunter à la banque, on comptait sur le cousin. Aujourd’hui, il nous faut trouver celui qui a la carte magique, afin de pouvoir commander, plus facilement, si l’on ne veut pas soi-même disposer d’une carte ».
Présentation de Rocking my roots, le triple-album de Baco, une des nouveautés de la vitrine ulimiz-b.com
Les plates-formes de commerce en ligne, qui ont vu le jour, ces derniers mois aux Comores, ont également un autre souci à régler. Il concerne la question de la livraison à bon port. Il y a bien longtemps que le courrier ne fonctionne plus à Moroni., à moins de recourir aux services coûteux d’une entreprise comme DHL. La poste est un service public en fin de vie dans les trois îles sous tutelle de l’Union. Les Comoriens, en dehors de Mayotte où le principe de continuité territoriale, garantit un bon fonctionnement de la poste, garantissant les envois, là où d’autres recourent désormais au plan « B » du voisin qui voyage et qui, dans son bagage, emporte le paquet attendu sur l’autre rive. Beaucoup se font ainsi livrer leurs commandes à des adresses en France, d’où repartent les paquets à Moroni, par la suite, via le réseau communautaire. Des plates-formes comme Coliskom.com ou helloColis se constituent autour de cette idée. Sur place au pays, les boîtes de vente en ligne n’ont qu’un seul moyen d’assurer le service, localement : engranger du stock.
A terme, se pose un problème de satisfaction du consommateur. « Les promoteurs de ces plates-formes digitale n’ont pas encore trouvé le bon modèle, susceptibles de booster leur business » reconnaît un ancien d’Exim Bank. « Ils tablent sur les sous de la diaspora, qui paierait le service depuis un pays étranger pour qu’on livre les produits au village. Un clic, et on livre du ciment ou du riz à l’oncle ou à la tante. Mais pour certains produits, frais ou d’un genre spécifique comme la culture, et dont la provenance est liée à une actu circonstanciée, tout en étant redevables d’un fournisseur installé à l’extérieur du pays, l’affaire se corse. Car le produit, s’il est payé, ne peut être livré assez vite sur place. D’où l’intérêt d’avoir un ami de la famille, qui accepte, en voyageant de Paris, Saint-Denis ou Mamoudzou, de ramener la commande faite sur Amazon ou à sur La Redoute en France. Il n’y a pas de raison pour qu’un site culturel à ces soucis, vu que les livres ou les cd d’artistes comoriens sont en majorité fabriqués en Europe ».

Ulimiz-b, qui choisit, paradoxalement, de ne pas miser sur du stock va certainement devoir se montrer inventif. Le gros de leurs produits vont arriver depuis l’étranger. « Il y a le risque, en effet, de s’adresser à une clientèle plutôt située à l’extérieur du pays. Les Comoriens de la diaspora ou les étrangers ayant vécu aux Comores, encore soucieux de garder un certain lien avec le bled. Ceux-là ont souvent la carte bleue, connaissent Paypal et n’auront aucun mal à se faire livrer, quitte à renvoyer le colis au pays via un ami » relève un proche des promoteurs du site. Ces derniers répondent par l’affirmative. Un des fondateurs du site explique : « Il n’y a aucune gêne à d’abord s’adresser à ce public-là, surtout qu’il a réellement besoin de renouveler son sentiment d’appartenance. Consommer du culturel comorien est une manière de s’affirmer, d’assumer ses origines. Souvent, les gens ne savent pas à qui s’adresser, ni où trouver les produits qui leur ressemblent. Il suffit de voir le succès que remportent les restos comoriens nouvellement ouverts à Paris ou à Marseille. Les Comoriens appartiennent à des marchés de niche, qui ne connaissent pas trop de visibilité. Avoir un site qui promeut leur culture est une avancée certaine ».
D’ailleurs, on ne trouve nulle enseigne de ce genre dans le pays. Ni à Moroni, ni à Mamoudzou. Ni à Fomboni, ni à Mutsamudu. C’est sans doute lié au fait qu’il n’existe pas encore de demande pressante de la part du public. On trouve des libraires, qui, à l’exception d’une ou deux, n’ont pas assez d’ouvrages comoriens sur leurs étagères. On trouve aussi des supermarchés, revendant quelques disques d’artistes, sans plus. Mais il n’existe pas d’enseigne dédiée, regroupant la culture du pays dans ses rayons ou aspirant à une telle ambition. « En attendant, les Comoriens de l’extérieur et leur amis, ont besoin de consommer des produits qu’ils ne trouvent pas toujours, facilement. Ulimiz-b vend de la musique, des livres, de la presse, en l’occurrence. Des objets qui ambitionnent d’être représentatifs d’une diversité de pays. Bientôt, nous comptons développer une rubrique « arts visuels ». D’autres surprises vont suivre, et surtout, nous ne parlerons pas que le langage de la vente. Car la culture n’est pas qu’un commerce. C’est pour ça qu’on le vit comme une expérience pour le moment et qu’on imagine d’autres perspectives à venir ». Il est ainsi prévu un événement à Paris en novembre prochain, à l’occasion de nouvelles entrées-produits sur le site. Un événement organisé en partenariat avec le restaurant Upisi et les éditions Bilk & Soul.
Med
Pour se rendre sur le site, cliquer ici.