Solidarité diasporique et temps nouveaux

Une solidarité s’est instituée entre le pays et les Comoriens de France depuis de très longues années. Cette forme de participation lointaine à la vie de l’Archipel pourrait prendre de nouvelles formes. Retour sur un gâchis financier ou comment une économie souterraine prend l’Etat en otage et crée un modèle d’assistanat. Repris une première fois le 01 mai 2002 par feu Komornet – premier site comorien d’information culturelle et citoyenne, aujourd’hui disparu – cet article que Ben Amir Saadi et Said Ahamada M’Boussouri ont d’abord écrit pour la revue Maandzish garde toute son acuité, encore aujourd’hui.

Madagascar, Réunion, Nairobi… Partout où ils déposent leurs valises, les Comoriens se regroupent et recréent un environnement viable pour de vieilles habitudes ramenées du pays d’origine. Mais c’est en France et surtout à Marseille que la diaspora comorienne va le mieux s’enraciner durant la seconde moitié du siècle dernier. Les premiers migrants arrivent, dit-on, dans les années quarante. La première vague importante débarque dans les années soixante-dix. Leur principal but au départ : travailler afin de subvenir aux besoins de leurs familles restées aux Comores. Ensuite, ils feront venir leurs proches à leur tour en France.

De cette histoire naîtra une formidable solidarité entre la diaspora et les Comores. L’envoi régulier d’argent à leurs familles deviendra un rituel obligé pour la majeure partie des Comoriens installés au pays de l’ancien colonisateur. La coutume du grand mariage par exemple incarnera un véritable moteur dans les transferts de fond opérés vers l’Archipel. Mieux que cela : la diaspora comorienne tiendra tout au long de son histoire un rôle économique, qui dépassera de très loin la mission économique confiée à l’Etat comorien par rapport au devenir de la nation. Ainsi, depuis dix ans, l’argent échangé à la banque centrale des Comores par la diaspora chaque année équivaut au budget de l’Etat, soit l’équivalent de 8 à 12 milliards de FC. C’est énorme quant on sait que les biens matériels dédouanés aux Comores par la diaspora ne sont pas pris en compte dans ce chiffre, alors que la douane représente environ 80% de l’enveloppe actuelle de l’Etat. On comprend alors pourquoi une famille établie en France représente un capital précieux et nécessaire de survie pour le Comorien dans sa vie de tous les jours. Les hommes politiques l’ont bien compris.

Des membres de l’association comorienne Sawa Sawa en Bretagne, lors d’un événement pour une collecte de fonds, afin de soutenir le pays.

Voir l’avenir autrement ? Actuellement, la diaspora comorienne passe pour être le premier bailleur de fonds des Comores. Sans elle, l’Archipel dont l’état économique est comateux, serait condamné au désastre le plus total. C’est pour cette raison qu’il devient urgent en ce début de millénaire de se poser les véritables questions sur l’avenir des enfants de cette diaspora dans l’économie comorienne à un niveau global. Leurs aînés sont animés par le mythe du retour au pays d’origine. Ils contribuent donc massivement au niveau de vie de leur famille, en imaginant des scénarios de retour souvent impossibles. Alors que la jeune génération, majoritairement née ou ayant grandi en France, est moins tendue vers l’idée d’une vie future aux Comores. Une enquête menée par nos confrères de Comores Mag révélait il y a un peu plus de deux ans que 78% des jeunes comoriens interrogés au sein de la communauté projettent de bâtir leur vie en France. Par ailleurs, ils se sentent moins concernée par l’idée d’envoyer des fonds au pays. Cette solidarité de la diaspora, qui prévaut encore aujourd’hui, risque alors de ne pas résister au temps qui passe.

Quelques jeunes cadres de cette nouvelle génération paraissent cependant se soucier de l’avenir du pays d’origine de leurs parents. Les Comores pourraient les intéresser davantage, si on daignait les encourager à y investir. C’est d’ailleurs grâce à certains d’entre eux que l’ACOR (Association des Comoriens Ouverts à la Réflexion) à été lancée à Marseille, dans le but de promouvoir l’économie comorienne, en soutenant la création d’entreprise. Contrairement à leurs aînés qui rêvaient de faire carrière dans les arcanes du pouvoir, cette classe montante – minoritaire certes – souhaite concentrer son attention principalement dans les affaires. Ce sont des jeunes pleins d’ambition, souvent formés en France et à l’étranger, qui veulent développer des activités nouvelles. Ils cultivent volontiers l’esprit d’entreprise, à l’image de ces jeunes qui avaient lancé ComorEXO, petite entreprise de commerce alimentaire (denrées tropicales), en région parisienne. Ils sont animés par l’envie de tourner une page dans l’histoire des Comoriens de France et préfèrent regarder l’avenir dans une perspective d’investissement prometteuse, plutôt que dans une éternelle situation d’assistanat par rapport à ceux qui sont au pays.

Image extraite du film consacré à la diaspora comorienne par Charlotte Penchenier. Planète Marseille, enfants des Comores – son titre – signale la fin d’une époque, avec de nouveaux questionnements qui pointent à l’horizon.

Un état d’esprit à travers lequel les Comores peuvent peut-être trouver des raisons d’espérer. Cependant, la situation chaotique du pays provoque la méfiance de ces jeunes. Elle ne les incite pas beaucoup à commercer avec le pays. A moins que l’Etat comorien ne prenne des dispositions à leur égard. Autrement, leurs idées et leurs capitaux s’empresseront de rester en France. Après tout, c’est dans cette réalité qu’ils évoluent depuis leur enfance. Rien n’empêche le gérant de ComorEXO à La Courneuve d’aller acheter ses bananes et sa vanille ailleurs dans le monde. Surtout si les conditions sont meilleures. Conclusion: ou le business est possible avec le pays d’origine des parents, ou ils iront ailleurs. Cette génération, qui vient en quelque sorte relever les précédentes au sein de la diaspora, a ses faiblesses, ses angoisses et ses moments de fragilité. Elle a aussi le choix d’orienter son énergie ailleurs, si elle en ressent la nécessité. Il est clair que ces jeunes ne feront rien, si on ne les soutient pas dans leurs efforts. Mais ils sont là. Ils existent. Et dans un proche avenir, on pourrait entendre parler d’eux. Il suffirait d’un geste de la part des Comores pour canaliser ce potentiel. Un geste de la part de l’Etat. Un geste aussi de la part des quelques décideurs, qui construisent actuellement le tissu économique dans le pays.

En fait, les liens qui unissent la diaspora au pays n’ont pas beaucoup changé en vingt ans. Ils sont restés basés sur le principe d’une aide directe destinée à permettre à ceux qui sont restés au pays d’accéder à un certain niveau de consommation. D’où l’opinion de certains observateurs qui parlent de « perfusion communautaire ». La diaspora joue à relancer la croissance par la consommation, en injectant de la monnaie dans l’économie de l’Archipel, en espérant ainsi accroître (artificiellement ?) le niveau de vie du Comorien, au quotidien. L’inconvénient, et non des moindres, c’est que ce transfert d’argent n’obéit à aucune règle macroéconomique. Cette manne financière n’est pas « organisée ». Elle place même l’économie comorienne dans une sorte de cocon virtuel, en décalage avec la réalité économique mondiale. Que deviendraient les Comores, si les contributions de la diaspora disparaissaient d’un jour à l’autre ? Cet apport est tellement essentiel que tous les scénarios sont désormais permis. Alors que cette aide, contrairement à ce tout le monde semble penser, si elle est bénéfique à court terme, peut avoir des conséquences néfastes sur le plus long terme. Autrement dit, le remède peut s’avérer être pire que le mal, en engendrant une situation peu salutaire d’assistés.

Ben Amir Saadi & Saïd Ahamada M’boussouri