Mounawar et Nathalie Natiembé sortent Pigment (Sakifo Records, 2019), à la suite d’une résidence de création réalisée au Kabardock à la Réunion. Cinq titres, se situant au-delà du simple et traditionnel concert de restitution. Ils prennent la forme d’un EP, accompagné d’une tournée dans la région, en Afrique et en France. Artiste comorien, Mounawar surprend ses fans, en s’aventurant dans des contrées musicales éloignées de ses terres d’origine.
Mounawar étonne dès son tout premier album (Sawa, 2012), en s’invitant dans des genres peu communs pour ses compatriotes mélomanes. Un mélange raffiné de funk, rock et afrobeat. « Je n’ai pas voulu me mettre de barrière, ni d’étiquette, dit-il. Mes influences sont le fruit de mes rencontres et la collaboration avec d’autres artistes musiciens ». Pour Sawa, l’artiste bénéficie du regard artistique de Claude Dibongué, l’arrangeur de Tony Allen. Mounawar arpente alors les scènes de l’Océan indien et celles, plus lointaines, de l’Europe, le Paleo Festival entre autres, sans s’infliger des limites. Il s’essaie en décalé à différents univers. Du ciné-musique au théâtre jeune public. Sa musique s’y réinvente, en continu. Il en profite pour expérimenter de nouvelles sonorités à coup d’effets et de loop station, en peaufinant son profil de serial conteur au passage. Car Mounawar, tout en affichant son intranquillité sauvage, se range du côté de ceux qui sèment du récit. Pigment, son projet avec Nathalie Natiembé, se réclame en tous cas de cette veine.
C’est au Kabardock, à la Réunion, que sa collaboration avec la grande dame de la musique réunionnaise a vu le jour. Entre les deux, une grande complicité, qui donne sa part de magie au travail de création, même si chacun devait sortir de sa zone de confort pour parvenir à l’inédit. Rapides et fulgurants, ils ont vite surpris leurs partenaires. Pigment prend forme en moins d’une semaine, telle les restes d’une éruption. Une semaine ! Le temps d’aligner ces cinq titres à l’identité mi rock mi psyché. Avec des riffs saturés aux effet wah-wah, des envolées de chœurs et quelques touches d’électro. Mounawar parle d’une « équipe de musiciens très professionnelle », ainsi que « de très bonnes conditions de travail ». A leurs côtés, il y a en effet Cyril Faivre à la guitare, Daniel Riesser à la batterie et Jean-Philippe Georgopoulos à la basse. « Après notre concert du 28 octobre 2018, confie Mounawar, les retours du public et des professionnels ont été tellement positifs que cela aurait été du gâchis de se limiter à un one-shot ». Le concert de restitution prévu à l’issue de la résidence ne pouvait seul suffire pour canaliser leurs envies. Ainsi est née l’idée de l’EP.
Pigment renvoie à des couleurs, qui résonnent comme autant de moments de vie. Il y a le noir de BlakWar, retranscription créole de « black world ». Traversée d’un monde sombre, sous la menace de voix hautement perchées, tendance death metal. Où Natalie Natiembé scande : « conflit, émeute, boucherie, guérilla, baroud, razzia ». L’histoire et l’actualité ne sont pas loin. Mounawar, lui, rappelle qu’au bout guettent les brasiers. L’humanité devrait s’interroger sur ses limites : « haraka wuzie nkondro/ be umoro wutso towa roho »[1]. Il y a ce Rouge Safran des « révoltes silencieuses », ensuite : la poésie, la marche, la danse, tout ce qui se meut « au creux de la vie ». Il y a le bleu de BlueSuicide, celui qui tire vers l’abîme. Tout ce qui peut redonner le moral est bon à prendre. Ici, c’est la musique dansante, basculant dans un rythme endiablé au groove celtique. Mounawar y place une petite comptine comorienne, qui a la force d’une énigme à elle seule : « Salina salipo/ wali bandarini/ kulia mfamatso/ fumbatse pembe/ anlia pitsi pitsi / djamoua djasedja/ heleleya nkungumanga/ tria mhono kapwani ». Cet EP du 3ème type se doit probablement lui garder une part d’opacité. Tout ne peut être traduisible dans la langue de l’autre, même si la musique y aide, souvent.

Dans Pigment, le chant en langue shikomori – à côté du créole et du français – rappelle l’origine comorienne de Mounawar. Ce que la musique elle-même ne raconte pas. Aucune trace de sonorités comoriennes dans ce projet, en effet. Même pas un clin d’œil à ce twarab que Mounawar a si bien appris aux côtés de son père[2] ou au mgodro qui fait s’enflammer son archipel d’origine dans les stades, la nuit. Il temporise néanmoins sur son envie de toujours se situer dans l’ailleurs. Avec le risque, sans doute, d’être incompris par ses fans comoriens : « Je ne pense pas avoir créé quelque chose de nouveau dans le paysage culturel comorien. Quand on tend l’oreille dans notre musique traditionnelle, on découvre déjà plein d’influences, venant d’Afrique et d’ailleurs. Cette richesse puisée de par nos diverses origines est malheureusement étouffée aujourd’hui par la musique moderne très facile à créer et consommable comme une boite de sardine avec une date d’expiration qu’on achète chez l’épicier du coin (rire) ».
Le point de vue se tient, mais n’emportera pas forcément les faveurs de ses compatriotes, qui, eux, apparaissent de plus en plus sages, en matière de goûts musicaux. « J’envisage de venir d’ici deux ans pour une tournée concert et c’est à ce moment-là que je saurai si mon univers accroche ou pas ». D’autres artistes de l’archipel des Comores, tels que M’toro Chamou ou Baco, se sont laissés tenter, ces dernières années, par des penchants « rock ». Mtoro Chamou se réclamait même d’un « mgodro rock ». Baco, lui, a complexifié ce mouvement, en forgeant les bases du « R’n’G », qu’il associe à une démarche de retour diasporique vers l’Afrique. A une histoire du peuple des tambours. Manière de dire qu’il ramène les musiques des afrodescendants, dérivées du blues, au ngoma (tambour), que l’on rencontre partout en Afrique. Mounawar, lui, dit se moquer des étiquettes et espérer de chaque rencontre, comme cette dernière avec Nathalie Natiembé, une brèche dans laquelle pourra se glisser son âme aventureuse…
Fouad Ahamada Tadjiri
[1] « Cesse immédiatement la guerre / car le feu anéantit la vie ».
[2] Sedo, guitariste du célèbre orchestre Saïf El Watwan.